Plaques, stèles et monuments commémoratifs ou la fonctionnalisation de la représentation de la mort.

Avant que Serge Barcellini et Annette Wieviorka n’établissent récemment un inventaire critique quasiment exhaustif 1031 de ce support de mémoire, aucune étude universitaire n’avait fait justice de ce lieu commun selon lequel les monuments commémoratifs de la Seconde Guerre mondiale seraient en France peu nombreux et peu intéressants. Par définition, cette minoration numérique et « esthétique » tiendrait à la nature même du conflit, d’évidence plus complexe que le précédent, la pluralité des expériences historiques qui l’ont traversé et la multiplicité des souvenirs qu’il a induite ne pouvant déboucher sur une mémoire nationale univoque. D’évidence, le paysage du souvenir monumental de la Seconde Guerre Mondiale ne peut cette fois-ci pas tenir tout entier résumé dans la mâle et patriotique stature d’un Poilu de bronze, répétée pratiquement à l’infini 1032 .

Mais il serait erroné de persister dans la pensée qu’après-guerre, on s’est contenté d’ajouter à la longue liste des noms des « Morts Pour la France » de 1914-1918 celle de leurs successeurs de 1939-1945. Ce dernier conflit existe mémoriellement pour lui-même et accède à une signalétique monumentale originale. Assurément moins visibles parce que fatalement moins nombreux et surtout moins centrales (au contraire des groupes sculpturaux de la Première Guerre mondiale, dressés au cœur des villes et villages), ces marques du souvenir sont cependant tangibles. L’évident effort d’inscription monumentale dans l’espace public (et parfois privé) qu’on consent après-guerre peut utilement nous renseigner sur les tentatives d’ordonnancement du paysage mémoriel global de la Seconde Guerre mondiale, nous dire quelles sont les lignes de tensions qui le parcourent et les oppositions qui le structurent.

Notes
1031.

Voir cet indispensable ouvrage, auquel nous nous référons souvent : Serge Barcellini et Annette Wieviorka, Passant, souviens-toi ! Les lieux du souvenir de la Seconde Guerre Mondiale en France, Paris, Plon, 1995, 522 p. Près de dix ans auparavant, Maurice Agulhon avait esquissé une étude comparative des monuments aux morts de la Première et de la Seconde Guerre Mondiale : « Réflexions sur les monuments commémoratifs », in La Mémoire des Français. Quarante ans de commémoration de la Seconde Guerre Mondiale, Paris, Editions du CNRS, 1986, p. 41-46.

1032.

Laquelle des quelque 36 000 communes françaises ne possède pas « son » poilu, le plus souvent figé dans une double posture de résignation/condamnation face à l’horreur de la guerre ou de résignation/glorification face à l’inexorable ? Ce patrimoine monumental-là est désormais très bien connu, notamment grâce aux travaux pionniers d’Antoine Prost, Les Anciens Combattants et la société française, 1914-1939, Paris, PFNSP, 1977, trois volumes (le troisième, Mentalités et Idéologies, est le plus utile pour nous). Du même auteur, voir sa contribution de synthèse, in Les lieux de Mémoire, (Pierre Nora dir.), La République, « Les monuments aux morts. Culte républicain ? Culte civique ? Culte patriotique ? », pages 199 à 223 de l’édition « Quarto/Gallimard », 1997. Il faut également lire sur ces aspects les deux ouvrages d’Annette Becker, Les Monuments aux morts : mémoire de la Grande Guerre, Paris, Errance, 1988, 158 p. et La Guerre et la foi. De la mort à la mémoire. 1914-1930, Paris, Armand Colin, collection « U. Histoire contemporaine », 1994, 141 p.