I – Stèles, plaques et monuments commémoratifs : pesée globale.

A – Enquêtes et méthodologie.

Établir un état numérique définitivement juste du fait commémoratif monumental dans l’Isère est pratiquement impossible et prétendre à l’exhaustivité en la matière serait prétentieux. D’ailleurs, dès 1948, répondant à une demande de renseignements sur l’état du parc monumental isérois émanant du directeur du Dauphiné Libéré, le préfet écrivait qu’en un peu plus d’un an, il n’avait autorisé l’érection que de cinq monuments, concluant significativement que ‘ « les autres monuments érigés, dans le département, antérieurement au dit décret ont échappé, de ce fait, à mon contrôle et il ne m’est pas possible de vous en faire tenir la liste ’ ‘ 1078 ’ ‘  ».

Plusieurs enquêtes se sont attelées à cette lourde tâche. La toute première, menée avec un souci scrupuleux par la 8ème Légion ter. de Gendarmerie a duré 15 jours ; elle fut officiellement remise par le lieutenant-colonel Rodet en juillet 1960 au préfet. Constituée de deux albums de photographies accompagnés de fiches très précises sur la localisation des « édifices », elle concerne l’Isère (152 clichés) et la Drôme (94 clichés) : un exemplaire fut remis aux ADI en juillet 1965, un autre au secrétaire de l’Association du musée de la Résistance d’Ivry-sur-Seine en mars 1966 1079 .

Près d’un quart de siècle plus tard, sous l’égide du ministère des Anciens Combattants dirigé par Jean Laurain, et dans le cadre du quarantième anniversaire de la libération du territoire, un recensement des lieux du souvenir liées à la Seconde Guerre mondiale fut commandité dans tous les départements. Des « Commissions départementales d’information historique pour la Paix » se mirent alors au travail. Dirigée en Isère par Richard Zaparucha, directeur de l’office départemental des Anciens Combattants et Victimes de Guerre, cette commission a adressé à chaque commune du département une manière de questionnaire-type que, malheureusement, bien peu ont pris la peine de renseigner 1080 .

Récemment, le major Claude Fouyat , du groupement de gendarmerie de l’Isère, a à son tour entrepris une vaste campagne photographique afin de répertorier l’ensemble des « Pierres de Mémoire » dédiées à la Deuxième Guerre mondiale dans le département. Complétant l’album que ses collègues avaient consacré aux lieux du souvenir isérois, il a remis son enquête à l’Association du musée de la Résistance et de la Déportation.

Enfin, après que nous avons nous aussi tenté un modeste premier comptage 1081 , Olivier Vallade a essayé de synthétiser ces enquêtes. La vue d’ensemble – établie selon une thématique très différente de la nôtre parce que fondée sur un présupposé de narration de l’épopée de la Résistance iséroise illustrée par les monuments – à laquelle il aboutit ne permet cependant pas de lever certaines apories méthodologiques 1082 , qui sont de trois ordres.

On peut résoudre le problème de la dépendance par rapport aux seules sources iconographiques citées plus haut, en élargissant l’enquête aux archives officielles. En effet, qu’il s’agisse des ADI ou des AMG, nombreux mais rarement exploités sont les dossiers qui permettent de compléter nos connaissances 1083 . De même, il ne faut pas craindre de recouper encore et encore les résultats, quitte à imiter le procédé méthodologique employé par exemple par la ‘ « Commission départementale d’information historique pour la Paix ’ ‘ 1084 ’ ‘  ».

La principale difficulté est clairement celle de la datation . Rarement, la date d’érection des monuments ou celle de l’apposition des plaques et stèles est mentionnée directement sur le support. Jamais aucun des deux vastes inventaires photographiques entrepris par la gendarmerie ne précise à quelle date fut construit, ou même inauguré, tel ou tel monument. On est alors réduit à accorder un crédit statistique à trois expédients méthodologiques : le dépouillement au quotidien de la presse locale ; les périodiques demandes de récapitulation émanant des maires, préfets ou directeurs successifs de l’Office Départemental des Anciens Combattants et Victimes de Guerre ; le dégagement d’une loi générale à partir du mince échantillon que fournissent les 128 réponses au questionnaire de 1984. Malgré ces difficultés, malgré les carences et des lacunes pratiquement obligatoires, et pour la seule période qui nous intéresse (1944-1964) nous pourrons cependant présenter un état des lieux relativement fiable.

Enfin, notre recherche se complique en fonction des changements d’échelle spatiale que l’on adopte. Même si nous pensons que les chiffres auxquels nous aboutissons illustrent parfaitement notre hypothèse d’une sureprésentation mémorielle de Grenoble par rapport au reste de la région et du département, on ne doit pas borner notre comptabilité à la seule « capitale des Alpes ». C’est pourquoi nous avons en l’occurrence élargi l’aire géographique de notre prospection à l’ensemble du département.

Notes
1078.

C’est nous qui soulignons. Les cinq monuments dont il est question sont celui érigé à la mémoire des anciens FFI de l’Oisans, sur la commune de Livet et Gavet ; celui qui honore la mémoire d’André Moch, à Corenc ; la stèle à la mémoire de Joseph Serlin, à Crachier ; et les monuments des victimes de la guerre des communes de Crémieu et d’Autrans. Réponse du préfet (via le chef de bureau Pouzal) au directeur du Dauphiné Libéré, le 10 mars 1948 (ADI, 2696 W 75, « résistance. Érection de monuments »).

1079.

Ces deux albums sont cotés comme suit : pour les clichés, 13 R 988, « Albums photos. Tombes, stèles, monuments de la Résistance » ; pour les fiches qui établissent l’emplacement des monuments, plaques et stèles : 13 R 989, « liste des Monuments aux Résistants victimes de l’Occupation dans le département de l’Isère » (un exemplaire a été remis à la mairie d’Echirolles le 22 novembre 1968). Les brigades de gendarmerie ont reçu « leur ordre de mission » le 30 mai (note légion n° 773/2 du 30 mai 1960) et le chef d’escadron Fraisse a remis la synthèse établie par lui à son supérieur le 14 juin ; ADI, 13 R 1989. On peut également consulter ces documents au musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère.

1080.

Sur plus de 500 communes iséroises, seules 128 ont dénié répondre ! C’est ce qui ressort des archives de M. Zaparucha que nous avons pu étudiées (il existe un double aux Archives Municipales de Grenoble, 4 H 30). Cf. en annexe n° XXV, un exemplaire (renseigné) de cette fiche. C’est cette enquête très carentielle qui est à l’origine de l’édition de l’ouvrage d’Albert Oriol-Maloire, Les Pierres de la Mémoire, Amiens, Martelle Éditions, 1993.

1081.

Cf. mémoire de maîtrise, Mémoire(s) et enjeux de mémoire. Grenoble à la Libération, , op. cit., sous la direction de Jean-Pierre Viallet ; les pages 213 à 237 sont plus particulièrement consacrées à ce sujet.

1082.

Ce sont les quelque 400 vues qu’il a prises qui fournissent la matière principale à la présentation d’Olivier Vallade, Des combats aux souvenirs. Lieux de résistance et de mémoire. Isère et Vercors, avant propos de Jean Paquet, préface du général Le Ray, cartographie de Nora Esperguin, Grenoble, PUG/MRDI, 1997, 131 p. Cf. notamment, p. 13-15, « L’activité commémorative en Isère ». Cet ouvrage fournit notamment un pratique aperçu cartographique du fait monumental et permet de constater que, sans surprise (c’est d’ailleurs pourquoi nous n’avons pas tenté ce genre d’exercie), cette géographie-là recoupe celle des « actions ».

1083.

Outre les dossiers 13 R 988 et 13 R 989, les ADI conservent des cartons très intéressants. Notamment : 2696 W 75, « Résistance. Érection de monuments » ; 13 T 3/26, « Monuments aux Morts 1939-1945. P.V. de commissions. Communes de A à G. 1946-53 » et 13 T 3/27, « Monuments aux Morts 1939-1945. P.V. de commissions. Communes de L à V. 1946-1953 » ; ainsi que sur certains monuments importants : 51 M 28, « Police Générale. Événements notables. 1 – Mémorial du Doyen Gosse » ; 13 R 1021, « Guerre 1939-1945. Comité du souvenir à Vauban-le-Résistant. 1949-1952 ».

Les AMG ne sont pas en reste : 4 H 30, quatrième pochette, « Plaques et monuments commémoratifs. Victimes de la Résistance. Invitations inaugurations » ; 2 H 36 et 361, troisième pochette « Guerre 1939-1945 » ; 45 W 24, « Monument aux Morts » et surtout 1 M 86 à 1 M 901, la série « Monuments », ainsi que 1976 W 13.

1084.

Même si les résultats de la campagne épistolaire que nous avons menée à destination des mairies de l’agglomération grenobloise s’est à ce point révélée décevante que nous ne l’avons pas poursuivie pour l’ensemble du département.