C – Typologie(s).

Avant d’essayer de dresser une typologie purement formelle des monuments, stèles et plaques, on doit envisager d’en dresser un inventaire raisonné en posant quatre questions.

1 – La question de la date : typologie chronologique.

Il faut déterminer comment ces 200 lieux du souvenir isérois se répartissent par rapport à la chronologie des « années noires ». Les années 1940, 1941 et 1942 sont très faiblement représentées, pour ne pas dire pas du tout. Mise à part la notable exception du monument de Voreppe, conçu par Émile Gilioli et inauguré en 1946, qui pour moitié seulement de son inscription fait directement référence à l’année 1940 ( ‘ « A cette porte des Alpes que les Armées d’invasion n’ont pu franchir en juin MCMWL [...] ’ ‘ 1088 ’ ‘  » ’), les autres monuments, stèles et plaques ne rappellent aucun souvenir lié de près ou de loin à ces trois années.

Pour l’année 1943, ils sont plus nombreux (7 dans l’Isère et 4 pour Grenoble : buste de « Gaston Valois , héros de la Résistance. 1888-1943 » ; plaque commémorant l’assassinat d’André Abry, « première victime de l’occupation de Grenoble » ; plaque en hommage aux raflés du 11 novembre 1943 ; plaque ‘ « à la mémoire d’Abel ’ ‘ Chatonnay ’ ‘ [...] et Henri Parrat ’ ‘ [...] assassinés par les Allemands dans la nuit du 13 au 14 novembre 1943 ’ ‘ 1089 ’ ‘  » ’). En 1945, en revanche, on ne trouve logiquement plus que deux occurrences 1090 .

L’écrasante majorité des pierres de mémoire iséroises et grenobloises concerne donc l’année 1944, ce qui n’est évidemment pas pour surprendre. Les érections des monuments, édifications de stèles et appositions de plaques suivent et collent fidèlement à la chronologie locale du conflit, en épousant les rythmes historiques propres à la région. En ce sens, nous sommes bien plutôt en présence de lieux du souvenir de la progression chronologique du conflit dans la région, plutôt que face à des lieux de mémoire es qualités. Où rencontrer en effet la capacité d’abstraction symbolique et de concrétion temporelle propre aux lieux de mémoire, qui suppose un détachement de l’ancrage local si l’on veut atteindre un surcroît de sens, parmi ce vaste corpus ? Peut-être certains y atteignent-ils, mais c’est alors avec difficulté, comme nous le verrons plus avant.

La différence numérique minime qu’on note entre le total général et celui auquel on aboutit en additionnant les chiffres que l’on vient d’annoncer est due à ces quelques monuments qui, soit qu’ils sont globalement dédiés aux Morts de 1939-1945 (plaque du quartier grenoblois de « la Capuche » : ‘ « le quartier de la Capuche à ses morts de la guerre 1939-1945. Leur souvenir restera parmi nous » ’) soit qu’ils concernent des mémoires corporatistes (plaque des agents P et T) ou « sectorielles » (maquis du Grésivaudan), soit que par choix ils ne portent pas mention de date (Monument « aux martyrs du Vercors  » de Gilioli situé à Vassieux-en-Vercors, route du col de La Chau), échappent à toute classification chronologique.

Notes
1088.

« [...] les armées allemandes d’Occupation harcelées par le maquis de Chartreuse ont torturé et tué d’innocents otages au mépris de tout droit humain. Vous qui passez, souvenez-vous », continue l’inscription lapidaire, synthétisant ainsi 5 années de guerre et 3 types de mémoire différents (les Militaires, la Résistance, les Exactions) ; in ADI, 13 R 988.

Sur Voreppe, on peut consulter Serge Barcellini et Annette Wieviorka, op. cit., p., 75-77, photographie p. 94. Robert Frank parle aussi d’un des monuments de la ville ; « La mémoire empoisonnée », in La France des années noires, tome 2. De l’Occupation à la Libération, Jean-Pierre Azéma et François Bédarida (dir.), Paris, Le Seuil, collection « L’Univers Historique », 1993, p. 499. Cf. infra pour une étude esthétique approfondie du monument de Gilioli.

1089.

ADI, ibidem.

1090.

ADI, ibid. Ces références concernant lescommunes de Domène et Saint-Martin-le-Vinoux. Il s’agit de mentions à propos d’une personne décédée pendant les combats en Allemagne en mai 1945 et d’une autre survenue des suites de sa déportation.