1 – Identifier l’événement.

Que s’est il passé ici et pourquoi ?

Voilà la double question à laquelle les inscriptions qui sont gravées dans la pierre des monuments, stèles et plaques, sont chargées de répondre. La composition interne de l’inscription lapidaire est souvent de même structure. Elle comporte quelques rubriques indispensables à renseigner, qui, si l’on suit par exemple celle de la stèle de Froges, s’établissent ainsi :

Le but de la stèle : « A la mémoire
Nom des personnes BELLIN Eugène né le 25/03/1904
qu’elle honore :(agrémenté JULIEN Albert né le 02/12/1902
souvent, comme c’est le  
cas ici, de leur âge) : BRUTI Santé né le 31/10/1901
L’action : Fusillés par les Allemands
La date : le 22/08/1944 »

Des variantes existent évidemment. La plus courante est celle, déjà signalée, qui précise le lieu par l’adjonction le plus souvent du simple adverbe « ici » qui marque la fidélité topique du support. Très souvent également, l’inscription s’augmente d’une formule d’exhortation, d’un commandement mémoriel, comme nous le verrons plus avant.

Reste que l’essentiel consiste bien à dire et à écrire ce qui s’est passé. Là encore, on trouve d’après les inscriptions deux catégories d’événements qui s’ajustent exactement à celles qui se dégagent de la morphologie monumentale que nous avons esquissée plus haut. Placées génériquement sous le signe de la mort, ou bien les inscriptions parlent des combattants morts les armes à la main, ou bien des fusillés et exécutés. Bien qu’ils soient souvent associés, qu’il s’agisse de résistants ou de « civils » implique pour la catégorie des « exécutés » une nuance d’identification. Aux premiers est en général réservé l’expression « Martyrs (ou Héros) de la Résistance ». Pour les seconds, on parle plus volontiers de « Victimes » (c’est le cas sur la stèle de Charnècles) ou bien d’« otages » (par exemple, la plaque commémorative de Vif, intéressante par ailleurs puisque son inscription précise qui honore qui : ‘ « La Résistance de Vif en souvenir des onze otages ’ ‘ 1114 ’ ‘ ... » ’).

Parfois, on assimile volontairement les deux catégories, les embrassant dans un patriotique hommage global ( « A nos martyrs de la libération » clame le monument de Chanas , l’inscription rédigée par M. Berut, « Maire de la Libération » , précisant qu’ont été massacrés et brûlés « Nos habitants innocents » ).

« Martyrs ou/et Héros » donc, près de quarante-cinq fois . Mais aussi « Patriotes » pour un cinquième des inscriptions 1115 , « Français » pour le tiers d’entre elles. « Camarades » (et même « Nos camarades » précise la plaque apposée par l’AS à Meylan, privatisant en quelque sorte le souvenir des deux membres du groupe Biviers tombés là 1116 ) plus rarement. Et « Vaillants F.F.I. » (ou FTPF, ou GF, c’est selon) en une dizaine d’occasions.

Parfois, on précise le grade de la personne honorée (ainsi de la stèle en mémoire du « Capitaine Étienne Poitau  » inaugurée par les anciens de la Compagnie Stéphane en octobre 1953 à Laval). Très souvent, on mentionne l’âge, en général pour rappeler la grande jeunesse de ceux qui sont tombés, comme ici à Brignoud.

Toujours les formules évoquent la Résistance à travers son volet patriotique, que ces héros soient ‘ « tombés au champ d’honneur ’ ‘ 1117 ’ ‘  » ’, ‘ « morts au champ d’honneur ’ ‘ 1118 ’ ‘  », « morts pour la France ’ ‘ 1119 ’ ‘  » ’, ‘ « en accomplissant une mission dangereuse ’ ‘ 1120 ’ ‘  » ’, ‘ « victimes du devoir ’ ‘ 1121 ’ ‘  » ’ ; pour la ‘ « Libération ’ ‘ 1122 ’ ‘  » ’, ‘ « Mort pour la France et pour la Liberté ’ ‘ 1123 ’ ‘  » ’, « à l’ennemi » pour beaucoup des plaques du Vercors, ce qui implique une vision plus militaire du conflit. La mémoire communiste s’intègre parfaitement dans cette vision nationale (voire nationaliste) de la Résistance, comme le rappelle l’inscription qu’on peut lire sur le soubassement du monument de Pusignan : ‘ « Bataillon Henri Barbusse ’ ‘ 1124 ’ ‘ . F.T.P.F. tenant en échec l’ennemi ; par votre combativité et votre courage, vous avez donné une journée de gloire à la France. LA NATION VOUS ADMIRE ».

Après l’identification de l’événement, vient le temps de la désignation de l’ennemi.

Notes
1114.

Cette plaque rappelle que la rafle a eu lieu à Vif et renvoie explicitement à la stèle où furent fusillés les onze otages et qui se dresse au col du Fau, sur la commune de Monestier-de-Clermont : « Le Résistance de Vif en souvenir des onze otages [liste des noms] pris dans cette rue le 20 juillet 1944 de 16 heures à 18 heures et lâchement assassinés par les hordes nazies le jour même à 20 heures au col du Fau. » Laquelle stèle répond comme un écho à la plaque qui rappelle qu’« Ici dans cette carrière ont été fusillés les onze otages de Vif ».

1115.

Variante : « Nos Compatriotes » pour les six fusillés de Montalieu.

1116.

A Autrans, place Julien Bertrand, une plaque commémorative individuelle évoque, selon la même logique « Notre camarade Salliquet André ».

1117.

Stèle en l’honneur de Stéphane et des morts de la « Compagnie Stéphane ».

1118.

Plaque de Saint-Marcellin en souvenir du « Lieutenant Camille Monnier  » et de « Jean Rony  ».

1119.

Comme les « patriotes Louis Toussaint et Revol », à Malleval.

1120.

Deux membres du « Groupe Biviers  ».

1121.

Plaque en la mémoire des quatorze policiers grenoblois place de Gordes à Grenoble.

1122.

Chanas, déjà cité ; plaque commémorative du Champ-de-Mars, à Bourgoin-Jallieu : « Ici sont tombés pour la Libération de Bourgoin-Jallieu le 23 août 1944 Bourrelet Louis, Borgrivant Sébastien, Bianchi Louis. »

1123.

Stèle aux six fusillés de Saint-Paul-de-Varces.

1124.

Du nom de l’auteur du Feu, mort en 1935, prix Goncourt 1916, dont les derniers ouvrages célébraient la Russie soviétique.