L’exhortation, quelle que soit son registre, n’est pas obligatoire : on ne la trouve pas sur toutes les inscriptions. Quand elle existe, elle interpelle le « regardeur » d’une façon en général impérative, comme en témoigne le comminatoire point d’exclamation qui la ponctue parfois (à Montalieu, par exemple) ou la graphie différente et plus grosse dans laquelle elle est rédigée (Crémieu, Charnècles, etc.).
Quelle que soit leur formulation, les exhortations sont des commandements du souvenir. Elles peuvent intimer l’ordre, soudain, de s’immobiliser, la stature statique seule permettant de bien se recueillir ( « Passant, arrête-toi » , au pont Charvet , à Sassenage ). Le plus souvent, elles dispensent par le tutoiement dont elles usent à l’égard du « regardeur » un sentiment d’impérieuse égalité ( « Passant, souviens-toi » , à Saint-Martin-d’Hères, place du Château à Vizille , à Gresse-en-Vercors , etc).
D’ailleurs, l’expression la plus répandue est bien celle-ci, choisie à juste titre par Serge Barcellini et Annette Wieviorka pour intituler leur ouvrage, tant elle revient souvent (une quarantaine de fois pour le département) 1133 . Parfois, elle est destinée à qui passe, sans autre indication précise (« Vous qui passez, souvenez-vous » à Voreppe), ou alors à la communauté locale : « Saint-Marcellin Souviens-toi » sur les deux plaques du village. Presque toujours l’inscription est brève et vaut ainsi sommation. Elle claquer comme un absolu impératif. A noter trois des plus intéressantes exceptions à cette règle de la « contraction » : l’exhortation de la stèle de Crémieu, qui dit : ‘ « Passant souviens-toi qu’ils ont souffert pour que tu vives libre » ’ ; ‘ « Passants souvenez-vous que le sang de ces martyrs a coulé pour que vive la France » ’ à Bourgoin et surtout les deux longs paragraphes du monument de Chanas :
‘« Le 20 août 1944Dans l’écrasante majorité des cas, l’injonction est clairement mémorielle, qu’elle soit positive (« Passant, souviens-toi ») ou plus « négative », par la précaution qu’elle prend d’inciter le spectateur à un surcroît de vigilance (« N’oublions plus jamais »), à Seyssinet-Pariset, sur la plaque en souvenir d’André Balme ; « Français, n’oublions jamais ! » à Fontaine, sur le monument Paul Vallier. L’usage de la première personne du pluriel implique une notion accrue de communauté des « concepteurs » et des « regardeurs », réalisée dans le souvenir du héros. L’exhortation de la plaque de Murinais redouble même sa demande : « Vous qui passez Souvenez-vous [texte de l’inscription] Vous qui passez N’oubliez pas. » La citation renoue peut-être avec une certaine tradition religieuse quand elle fait appel au latin d’église (« In Memoriam » sur la stèle aux 48 martyrs du Polygone, à Grenoble 1134 ). Mais nous n’avons (mise à part l’exception notable du Chemin de Croix de Valchevrière) trouvé que très peu de demandes de prière si ce n’est cette citation de Victor Hugo, qui est aussi un éloge du sacrifice et de la mort consentie, à Corps, sur le monument en mémoire de Dominique Mounier.
‘« Ceux qui pieusement sont mortsLes exhortations qui n’incitent au souvenir parlent alors d’« Honneur » (Malleval, « Honneur à sa mémoire » ; « Honneur à un brave » au Versoud), d’« Hommage » (« Le personnel de la S.N.C.F. en hommage à ses glorieux morts », sur la plaque des cheminots inaugurée avec difficulté en 1947 1136 ), ou de « sacrifice » ( ‘ « Que leur sacrifice soit toujours vivant à nos yeux » ’, sur la plaque de la police grenobloise ; ‘ « leur exemple demeure, leur sacrifice ne sera pas vain » ’, sur la plaque du 12 de la rue de Bonne).
Une plaque commémorative atteint même à une certaine redondance, tant son texte est saturé d’ordres de mémoire :
‘« A la MémoireDe même, mis à part cet extrait tiré du verbe– ô combien adapté à la circonstance – de Péguy, qui figure sur le monument des déportés de Gilioli, à Grenoble, on ne trouve pas de citation littéraire, poétique, philosophique, historique ou religieuse :
‘« Que les pâles martyrs penchantAu total, bien peu de cesinscriptions optent pour une tonalité emphatique. Discrétion, pudeur et sobriété sont au contraire de mise. Mais les textes peuvent aussi être polyvalents, comme celui du monument de Pusignan, que nous avons déjà cité, parce qu’il évoquait la mémoire nationaliste du Parti communiste. Il faut le mentionner de nouveau ici car c’est le seul exemple isérois d’une exhortation, intégrée en outre dans le corps d’un petit développement, qui s’adresse non plus au « Passant », mais aux « Restants » en quelque sorte : ‘ « Bataillon Henri Barbusse ’ ‘ . F.T.P.F. tenant en échec l’ennemi ; par votre combativité et votre courage, vous avez donné une journée de gloire à la France. LA NATION VOUS ADMIRE. » ’
Pour être indirecte, la convocation est aussi, nous semble-t-il, plus efficace.
On trouve à peu près dans les mêmes proportions les termes « passant » (ou « passant s ») et « Français » (ou « Français » au pluriel).
Place de la Libération, à Rives, on a également un de ces « livres du souvenir » qu’on trouve à cette époque en grand nombre dans les cimetières : sur la page de gauche, en son travers, sous une couronne mortuaire en relief, l’inscription « Souvenir ».
Victor Hugo, Hymne, 1831.
La cérémonie d’inauguration est remise plusieurs fois en raison des grèves de cette « année terrible ». AMG, 1 M 90-1 M 901.
La devise de tel groupe de Résistance, à l’occasion (ici à Livet-et-Gavet), peut puiser dans le réservoir des citations historiques françaises : « La Section Peletier [...] Fidèle à la devise de l’A.S. : La liberté ou la mort ! » Souligné par nous.