Chapitre IV
Le Musée de la Résistance (et de la Déportation) de Grenoble.

‘Musée [...]. Etablissement dans lequel sont rassemblées et classées des collections d’objets présentant un intérêt historique, tecxhnique, scientifique, artistique, en vue de leur conservation et de leur présentation au public 1232 .’

Alors que la plupart des vecteurs de la mémoire de la Deuxième Guerre mondiale (cérémonies commémoratives, monuments et plaques, productions éditoriale et cinématographique, etc.) et quasiment toutes les instances de diffusion qui les organisent (État, associations, partis) semblent à présent assez bien étudiés et connus, il est une forme de codification institutionnelle de cette mémoire qui l’est encore peu. Il s’agit des musées de la Résistance 1233 , dont l’importance dans notre pays, tant par leur nombre – puisqu’« il existe en France une soixantaine de musées de la Résistance, ce qui est considérable », nous apprend une spécialiste de la muséographie, Marie-Hélène Joly 1234 – que par la variété de leur taille, la différence des buts et des ambitions qu’ils s’assignent, la pluralité des statuts juridiques qui les définissent ou encore l’écart des moyens financiers dont ils disposent, est une véritable exception 1235 .

L’Isère possède très logiquement, étant donnée l’importance objective de la période pour le département, un musée de la Résistance et de la Déportation (MRDI), un des plus anciens (inauguré en 1966, les travaux et démarches qui aboutirent à sa création débutèrent en 1963, selon des modalités que nous allons étudier de près), actuellement un des plus importants (1200 m2), un des mieux conçus et pensés également (il est reconnu par la très exigeante Direction des musées de France 1236 ).

Les musées d’histoire, on le sait, font partie intégrante du fait patrimonial 1237 . A ce titre, le musée de la Résistance de Grenoble, devenu à une date récente le musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère, est bien une des composantes majeures du patrimoine mémoriel grenoblois de la Deuxième Guerre mondiale – ou de la Résistance, ou de la Résistance et de la Déportation, l’importance de l’identification par le nom, laquelle évolue en outre dans le temps, se révélant essentielle, comme on le verra.

A notre sens, quatre éléments entrent très précisément en compte ici, que l’on doit identifier au plus près si l’on veut mesurer le rôle tenu par le musée de Grenoble dans le paysage mémoriel grenoblois de la Deuxième Guerre mondiale : la date de sa création tout premièrement ; son système d’organisation politico-culturel ensuite, c’est-à-dire l’endroit exact où il se situe entre associations, ville et État ; la conception proprement dite du musée, sa grammaire muséale, qui doit elle aussi être envisagée ; enfin, le rapport au passé qu’entretiennent ses concepteurs, l’interprétation qu’ils en délivrent et les divergences qui se font jour à ce moment-là.

D’autres interrogations évidemment connexes se rattachent à ce quadruple questionnement : le musée est-il apparu à ses créateurs/concepteurs comme le médium le plus adéquat ? Que signifie pour eux la volonté de muséographier ce processus historique si particulier que fut la Résistance ? Faut-il placer le musée à côté, ou contre, en concurrence, d’autres modes de transmission de la mémoire ? Vient-il au contraire à la place de quelque chose, manière de substitut par exemple de ce grand monument aux morts de la Deuxième Guerre mondiale qu’on ne parvient décidément pas à ériger à Grenoble ? A qui s’adresse le musée de Grenoble, d’abord aux anciens résistants, ou aux générations qui suivent la guerre et qui ne l’ont pas connue ? Ou bien – pari difficile – simultanément à ces deux groupes, numériquement inégaux ? Où est-il situé dans l’espace urbain ? A-t-il une place réservée dans la géographie mémorielle urbaine, dont on a vu qu’elle est très strictement et très tôt contingentée et compartimentée (cf. supra notre partie sur la toponymie urbaine) ?

Notes
1232.

Dictionnaire Robert.

1233.

Absent par exemple en tant qu’objet d’étude des préoccupations des organisateurs du colloque de Metz en octobre 1983, Mémoire de la Seconde Guerre mondiale, actes publiés par le Centre de Recherche Histoire et Civilisation de l’Université de Metz en 1984 (Alfred Wahl dir.), ou de la vaste enquête de l’IHTP dont les résultats sont publiés en 1986, La Mémoire des Français. Quarante ans de commémoration de la Seconde Guerre Mondiale, Paris, Éditions du CNRS, 1986. En revanche, 5 des 18 contributions ont pris le musée comme objet de leur analyse lors des rencontres de Dijon, en 1995 ; lire notamment la deuxième partie (« Transmission du savoir historique et mémoire ») de la publicatin, Les images collectives de la Résistance, Wolikow(Serge) (dir.), Dijon, numéro 3 des Cahiers de l’IHC (Territoires contemporains), EUD (Études Universitaires de Dijon), 1997, 160 p.

1234.

Les chiffres avancés tant par Marie-Hélène Joly que par Jean-Yves Boursier se recoupent à peu près. Lire, sous la plume de la muséographe, « Des musées de la Résistance » (in actes du colloque de Saint-Denis, Résistants et Résistance, L’Harmattan, collection « Chemins de la mémoire », sous la coordination de Jean-Yves Boursier, 1997, p. 173-216), et, de Jean-Yves Boursier « Les musées de la Résistance », dans La Nouvelle Alexandrie (colloque sur les musées d’histoire et d’ethnographie dont les actes ont été publiés en mai 1992 dans Les Cahiers de publics et musées , p. 145-150 pour l’étude qui nous intéresse) et surtout « Les enjeux politiques des “musées de la Résistance”. Multiplicité des lieux » (in actes du colloque d’Annecy, L’esprit des lieux. Le patrimoine et la cité, sous la direction de Daniel J. Grange et Dominique Poulot, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, collection « La pierre et l’écrit », 1997, p. 287-303). Jean-Yves Boursier préfère parler de « près de soixante-dix musées consacrés à la Résistance [qui] existent aujourd’hui » (in colloque d’Annecy, p. 287). A noter que Marie-Hélène Joly fonde une grande partie de sa communication au colloque de Saint-Denis sur le travail d’Emmanuelle François, Les musées d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale (rapport au ministère de la Culture, direction des musées de France, janvier 1996, 146 p.) qui comptabilise elle cent quatre musées traitant du sujet, dont cinquante et un dédiés au sujet et cinquante-trois consacrés plus largement à la Deuxième Guerre mondiale. Cette dernière étude est consultable au musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère.

1235.

Marie-Hélène Joly, op. cit. L’auteur évoque également la différence fondamentale entre la muséographie française et la muséographie anglo-saxonne, plus « ludique » et « interactive ». On lira avec profit des éclairages sur le cas italien sous la plume d’Ersilia Allessandrone Perona qui insiste sur « l’anomalie remarquables [des musées de la Résistance en Italie ] : ils sont absents au niveau national, bien qu’ils soient présents au niveau local » ; in « Les musées de la Résistance en Italie », actes du colloque d’Annecy, p. 448.

1236.

Jean-Claude Duclos, le conservateur du musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère, rappelle ainsi que « sur les quelque cent musées français de la Seconde Guerre mondiale, une dizaine seulement sont reconnus par l’administration centrale compétente : la Direction des musées de France » ; in actes du colloque de Saint-Denis, p. 218.

1237.

C’est ce qu’a brillamment démontré Dominique Poulot : « Le fait patrimonial touche à trois questions : celle de la destinée générale des œuvres et des objets matériels, celle de la représentation d’une collectivité, celle enfin de l’herméneutique ou de l’interprétation du passé » ; in « Le sens du patrimoine : hier et aujourd’hui », note critique, Annales ESC, novembre-décembre 1993, n° 6, p. 160.