A – Enseignants et documentalistes.

La première occurrence administrative officielle, c’est-à-dire préfectorale, est datée du 4 juin 1963 et met d’emblée l’accent sur le rôle joué par ceux des enseignants grenoblois qui sont les plus au fait des méthodes modernes de pédagogie. Le préfet 1250 adresse en effet à cette date une demande au ‘ « [...] Commissaire Principal Chef du Service départemental des Renseignements Généraux à Grenoble » ’, lui enjoignant ‘ « [...] de bien vouloir [lui] faire tenir d’urgence une note sur ’ ‘ ’ ‘ le musée de la Résistance ’ ‘ ’ ‘ , que se propose de constituer à Grenoble, l’Institut Dauphinois de l’École Moderne ». ’Cette demande de renseignements fait elle-même suite à une requête 1251 qu’adresse au préfet, en mai 1963, l’Inspecteur d’Académie Pierre Dubois, lui demandant s’il l’autorise à diffuser auprès des maires du département un ‘ « appel [...] pour leur demander de faire rechercher des documents sur la Résistance » ’, précisant auparavant qu’il en a fait de même auprès des instituteurs et prenant le soin par ailleurs d’indiquer qu’il « patronne » certes l’initiative de l’IDEM, mais que cette dernière a ‘ « été approuvée par diverses organisations des Résistants et par la Ville de Grenoble ’ ‘ 1252 ’ ‘  ». ’ La volonté de contrôle de l’État est là manifeste, mais guère surprenante. On verra plus avant cependant qu’elle est surtout attentive à l’éventuelle influence au sein du Comité du musée d’une certaine composante politique...

Le fait majeur, l’aspect novateur essentiel de ce projet, réside dans son assise pédagogique délibérément « avant-gardiste » qu’incarne à Grenoble le sigle IDEM. Le rapport n° 2922 des R.G. (daté du 8 juin 1963) précise que ‘ « [...] l’Institut Dauphinois de l’École Moderne (IDEM) est une association (non déclarée à la Préfecture de l’Isère) qui a été constituée avec le patronage de Monsieur l’Inspecteur d’Académie de l’Isère et qui est présidé par M. Guillard ’ ‘ Henri [...], Directeur de l’École Primaire, 33, rue Lesdiguières ’ ‘ à Grenoble, sympathisant communiste ’ ‘ 1253 ’ ‘  ».

Le rapport insiste sur le travail que deux enseignants surtout, au sein de l’IDEM, fournissent ‘ « depuis le début de 1963 [en vue de] la création d’un ’ ‘ ’ ‘ musée de la Résistance Dauphinoise ’ ‘ ’ ‘  » ’. Il s’agit en premier lieu de Henri Guillard, directeur à l’école Lesdiguières, « pionnier des techniques Freinet à Grenoble » comme le rappelle Jean Paquet 1254 et de son supérieur hiérarchique, ‘ « l’Inspecteur de l’Académie de l’Isère Pierre Dubois ’ ‘ 1255 ’ ‘  ».

L’initiative est enseignante, clairement. Nous avons écrit « avant-gardiste » parce que, comme le rappelle le rapport des Renseignements Généraux : ‘ « en résumé, l’IDEM a pour but de constituer à Grenoble une ’ ‘ ’ ‘ école FREINET ’ ‘ ’ ‘ qui vise notamment à l’ ’ ‘ ’ ‘ utilisation du document dans l’enseignement de l’Histoire ’ ‘ ’ ‘ et c’est d’ailleurs dans les projets de l’IDEM d’organiser d’ici la fin de l’année un colloque ’ ‘ ’ ‘ sur l’utilisation du document dans l’enseignement de l’Histoire ’ ‘ ’ ‘ 1256 ’ ‘ . »C’est bien dans l’utilisation centrale du document à une époque où l’histoire ne s’enseignait guère que comme histoire-récit et où d’ailleurs la Seconde Guerre mondiale n’était officiellement inscrite au programme que depuis très peu de temps 1257 , que réside l’innovation pédagogique. Ce projet de partir de la récolte des documents, c’est-à-dire de constituer objectivement le fonds avant d’exposer, dénote une vraie réflexion scientifique en amont. L’article 3 des statuts déposés à la Préfecture en 1964 le dit d’ailleurs très bien : ‘ « L’Association a pour objet de recueillir des documents concernant la Résistance et la Déportation, et de favoriser les recherches historiques relatives à cette période, ceci dans l’intérêt de l’Histoire et de la Paix ’ ‘ 1258 ’ ‘ . » ’ Pour logique et fondée que cette démarche puisse paraître de nos jours, elle est cependant anachronique à l’époque. Surtout, elle prouve que le musée de Grenoble n’est pas d’initiative résistante. Les présupposés qui président à sa création sont d’abord d’ordre scientifique et pédagogique, ce qui suppose un traitement le plus objectif possible de la période, en tout cas a priori désengagé des enjeux de mémoire propres au temps. A preuve, l’aide concrète qu’apporte l’Inspecteur d’Académie à Henri Guillard 1259 , cheville ouvrière du projet, dont témoigne la lettre-circulaire que dès janvier 1963 Pierre Dubois adresse ‘ « à de nombreux instituteurs [...] et dans laquelle il précise notamment avoir accordé son patronage à l’initiative de l’IDEM, de créer à Grenoble un tel musée ».

‘« Recherchez et faîtes rechercher par vos élèves tous documents intéressant la Résistance et l’Occupation. L’expérience montre qu’il suffit d’interroger et de solliciter les anciens résistants, maquisards, prisonniers, déportés, volontaires et patriotes pour obtenir des documents et constituer ainsi le premier musée de la Résistance et de l’Occupation 1260 . Voici à titre d’exemple ce qui peut être recueilli : tracts, imprimés émanant d’organisations patriotiques et de formations ennemies, ordres de mission, fausses cartes d’identité, lettres, plans, journaux clandestins, souvenirs de prisonniers et de déportés, débris de sabotages, photographies, postes de radio, brûloirs pour ersatz de café... Il s’agit de sauver de l’oubli le souvenir des heures tragiques et glorieuses 1261 . »’

A Grenoble, contrairement à la très grande majorité des cas, la collection est donc constituée de manière rigoureuse et planifiée ; peut-on déjà dire professionnelle ?

A coup sûr oui, même si on ne compte pas de muséographe au sein de l’équipe (mais ce métier existe-t-il en 1963 ?) car Henri Guillard et Pierre Dubois reçoivent très rapidement l’appui de ce spécialiste du document qu’est Robert Avezou, l’Archiviste Départemental. Membre du Comité de patronage de l’IDEM, il croit immédiatement au projet et le supporte tant par les conseils méthodologiques qu’il apporte au Comité que par l’aide matérielle qu’il lui fournit concrètement, proposant les locaux des Archives Départementales pour accueillir à partir d’août 1963 l’exposition temporaire du musée qui en préfigure la création définitive 1262 .

Notes
1250.

Maurice Doublet, très proche de De Gaulle.

1251.

A laquelle Doublet va répondre favorablement.

1252.

Manuscritement, sur ces feuillets, deux notations intéressantes de la part du préfet, sous la forme d’une sorte de pense-bête : « Avis officiel du maire ? Avis du ministre d’État Malraux  ? »

1253.

Les deux derniers mots sont soulignés de la main du préfet. Ce sont les seuls du rapport, qui compte pourtant trois pages...

1254.

In art. cité, p. 52.

1255.

Le rôle de l’Inspecteur primaire Petit doit aussi être rappelé – voir Jean Paquet, op. cit., p. 52 -, même si son nom n’apparaît pas dans les documents émanant des Renseignements Généraux.

1256.

Là réside l’avant-garde, la novation pédagogique. D’ailleurs, dans une lettre adressée le 20 août 1963 au préfet par Vital Chomel, conservateur délégué des Archives Départementales, à propos de l’exposition qu’abritent alors les locaux des ADI, on trouve cette notation : « [...] l’IDEM [...] se propose d’être à l’avant-garde de la recherche dans le domaine des réalisations scolaires ou post-scolaires [...]. » Dans cette même lettre, Chomel rassurait en ces termes le préfet : « [...] Je tiens d’autre part à vous signaler que le rôle des Archives Départementales s’est limité à la mise à disposition des organisateurs de leur salle d’exposition. Aucun des très nombreux documents conservés sur cette période dans nos séries, qu’ils soient de caractère administratif, politique ou judiciaire, ne pouvait être exposé au public en vertu de la règle qui prescrit le secret pendant cinquante ans d’âge. » ; ADI, 4332 W 180, « musée de la Résistance . 1963-1966 ».

1257.

Rappelons que les années 1939-1945 ne figurent au programme d’histoire de l’enseignement secondaire que depuis l’année scolaire 1961-1962 et seulement à partir de 1966 pour les classes terminales.

1258.

Voir annexe n° XXXI pour l’intégralité de ces statuts.

1259.

Sans que nous ayons été en mesure de le vérifier, il semble que « C’est à l’initiative d"un élève d’Henri Guillard que revient, en 1962 probablement, le déclenchement de l’opération musée. Cet élève ayant apporté à son maître, de la part de son père, ancien officier FFI, un drapeau de la Résistance, suscita un tel intérêt parmi ses camarades qu’Henri Guillard lança parmi eux une campagne de prospection de documents qui se révéla extrêmement fructueuse ». S’il est vrai que l’on doit insister sur cette pédagogie, nous ne faisons pas nôtres les assertions de Jean Paquet, qui note : « Et la naissance de l’idée du musée doit beaucoup à cette pédagogie très proche de l’esprit de la Résistance, puisqu’elle se fonde sur la liberté, l’initiative personnelle, et qu’elle fait une large place à l’auto-documentation » ; in art. cité, p. 52. Un tel raccourci nous paraît osé.

1260.

Le nom fait sens...

1261.

Rapport RG n° 2922 du 8 juin 1963 ; ADI, 4332 W 180.

1262.

Et qui restera dans les locaux des Archives Départementales jusqu’au 31 octobre.