C – L’État.

L’État semble regarder de haut et de loin les travaux du Comité, ce qui nous amène à nuancer à la marge ce que nous disions plus haut. Si l’État gaulliste (d’accord d’ailleurs en cela avec la IVème République) crée bien un contexte propice à la mise en avant d’une mémoire de la Seconde Guerre mondiale et à son « institutionnalisation » comme nous l’avons écrit, il est tout à fait clair qu’il ne s’est guère engagé dans la voie des musées, qui ne représente qu’une part très minime de sa politique de la mémoire 1268 , préférant investir le plus gros de son action dans l’organisation de gigantesques commémorations, à l’image de ces grandes journées commémoratives nationales dont la panthéonisation de Moulin fournit le prototype.

Le préfet Doublet est parfois sollicité (le 24 juin 1963, par Henri Guillard, afin d’obtenir ‘ « [...] une subvention en vue de l’organisation à Grenoble, dans la grande salle des Archives Départementales d’une exposition temporaire des souvenirs de la Résistance ’ ‘ 1269 ’ ‘  » ’), toujours averti (les statuts d’un « Comité du musée de la Résistance Dauphinoise » rédigés par Pierre Dubois, du type association loi 1901, sont déposés en préfecture le 7 janvier 1964 1270 ) et finalement bien entendu invité à l’inauguration du musée, le 23 avril 1966 1271 . Mais, à vrai dire, comment aurait-il pu en être autrement ?

La véritable action de Doublet est en fait à la fois plus secrète et plus politique. Il diligente en effet un très grand nombre d’enquêtes, que mènent avec célérité les RG, afin de se renseigner tout prioritairement sur les accointances politiques des membres du Comité. L’entreprise de surveillance est réelle qui vise en tout premier lieu les communistes.

Dès réception du premier rapport demandé aux RG (remis au préfet par ces derniers le 8 juin 1963), on trouve deux notations qui vont dans ce sens : ‘ « [...] bien que l’IDEM ne soit pas rattaché à un quelconque parti politique, il apparaît que ses dirigeants sont manifestement assez ’ ‘ ’ ‘ gauchisants ’ ‘ ’ ‘ ou progressistes. » ’ Déjà, plus haut dans le texte et à propos d’Henri Guillard, les inspecteurs des RG précisaient qu’il était « sympathisant communiste », ces deux mots ayant particulièrement attiré l’attention du préfet.

Une nouvelle fois, un mois jour pour jour avant l’inauguration de l’exposition temporaire, Doublet demande aux RG d’enquêter 1272 . La réponse lui parvient le 30 juillet et est très révélatrice de l’état d’esprit de l’époque. Il s’agit en effet de ne pas commettre d’impair, en laissant passer par exemple, sous le couvert d’une telle exposition, une entreprise de propagande politique : ‘ « Bien que son principal animateur [de l’IDEM] et président actif, M. Henri Guillard ’ ‘ , soit connu pour ses sympathies pour le PCF et l’URSS ’ ‘ où il a récemment effectué un voyage d’information, cette exposition n’aura pas un caractère politique orienté. » ’Il convient également de rester en phase avec l’opinion : ‘ « Étant donné la part active qu’a pris la population grenobloise dans la résistance et l’aide apportée pour constituer cette exposition par des personnalités qui ne manifestent pas d’activité politique, telles M. l’Inspecteur d’Académie et M. l’Archiviste Départemental, la présence de M. le préfet de l’Isère apparaît opportune. »

Encore, quant à la suite du décès de l’Inspecteur d’Académie, Robert Avezou prend la présidence du « Comité du musée de la Résistance Dauphinoise », les RG informent le préfet, le 22 octobre 1964 que ‘ « le Comité comporte des personnalités communistes qui occupent les véritables fonctions de direction [...] MM. Katz ’ ‘ Karl (Docteur, P.C.F., également Président de l’ANACR) et Guillard ’ ‘ (PCF et membre du bureau départemental de France-URSS) occupent les véritables fonctions dirigeantes du Comité. Ce sont des militants communistes actifs. Les autres personnalités sont, soit représentatives, soit à même d’apporter leur collaboration technique, mais ne se sont jamais manifestées sur le plan politique ».

Derrière cette pratique « policière » somme toute classique, que lire ?

Un besoin de renseignements certainement. Une volonté de surveillance également. Mais certainement pas d’entreprise claire de coercition et encore moins d’interdiction. A preuve, la présence de Doublet, systématique, à toutes les manifestations publiques d’envergure organisées par le Comité du musée. Le 23 avril 1966, il figure au premier rang des personnalités qui assistent à l’inauguration du musée au 14, rue Jean-Jacques Rousseau, en la compagnie œcuménique notamment de Laure Moulin (la sœur de Jean) et du maire Hubert Dubedout (opposé politiquement à ses propres convictions).

Notes
1268.

Qui n’est « elle-même qu’une part négligeable de l’action gouvernementale en faveur des anciens combattants », écrit Marie-Hélène Joly ; in op. cit., p. 204-205.

1269.

Dans la même lettre, Guillard rappelle qu’il compte bien « transformer cette exposition temporaire en musée permanent de la Résistance » et que « l’inauguration de l’exposition a été fixée au 22 août prochain ». Doublet accordera 1000 francs en mai... payés fin décembre 1964. ADI, 4332 W 180, « musée de la Résistance . 1963-1966 ».

1270.

Jean Paquet, op. cit., p. 53.

1271.

A cette occasion, Guillard demande au chef de cabinet du préfet de lui fournir toutes informations utiles afin de pouvoir évoquer, lors de cette manifestation, « la mémoire du père de M. Doublet , préfet de l’Isère, mort en déportation ». L’assistant de Doublet écrit à l’épouse du préfet auprès de qui il apprend que « le Colonel Charles Doublet n’est pas mort en déportation mais quelques années après son retour de Plansec , annexe du camp de Dachau où il a séjourné en 1944 et 1945 jusqu’à son retour à Bordeaux en mai 1945 »... Doublet remerciera Guillard de cette attention ; ADI, 4332 W 180, « musée de la Résistance. 1963-1966 ».

1272.

Le libellé de sa demande est savoureux : « Voulez-vous avoir l’obligeance de me donner votre sentiment sur l’opportunité de la présence du préfet à l’inauguration de l’exposition des souvenirs de la Résistance qui doit avoir lieu le 22 août prochain ». Note datée du 22 juillet 1963, émanant du chef de cabinet ; ADI, ibidem.