B – Un espace polysémique.

L’aspect essentiel, déjà souligné, est qu’il n’y a pas de choix problématique nettement arrêté, ou plutôt que le musée, évoluant dans le temps, a appartenu successivement à plusieurs types de musées.

Il fut d’abord un « musée diptyque 1280  », consacré à la Résistance et à la Déportation. Trois salles sont ouvertes le 23 avril 1966. D’abord celle de la Résistance, puis celle de la Déportation. Située entre les deux, assurant en quelque sorte la triple fonction d’incarner la Résistance locale au combat, la valeur des maquis locaux et la Répression dans toute son horreur, mais servant aussi d’ « articulation » entre ces deux phénomènes reconnus comme majeurs que furent la Résistance et la Déportation, la troisième salle a du mal à trouver sa place.

Deux ans plus tard – on excède là c’est vrai la date butoir choisie pour notre étude – le musée s’agrandit ; sa surface passe à 170 m2. C’est alors l’occasion d’ouvrir une salle consacrée aux « Résistances étrangères ». Une autre, plus petite, sera elle dévolue à la « vie sous l’Occupation » et aux « expositions temporaires », ce qui fait entrer le musée dans le cercle plus restreint des « musées trilogie » (Occupation/Résistance/Déportation), ces trois volets tendant en outre à s’équilibrer spatialement. En même temps, le souci pédagogique constant du Comité vise à raconter l’histoire, et donc à faire remonter chronologiquement très en avant le visiteur, surtout à l’aide de documents écrits (majoritairement des articles de presse). S’éloignant ainsi de la seule représentation de l’épisode « Résistance/Déportation », le musée appartient en même temps à ces « musées-fresques » dont parle Emmanuelle François. Le récit des événements logique parce que chronologique (l’entre-deux-guerres, les ligues, Munich, etc.) qu’il propose fournit au visiteur/spectateur un fil directeur téléologique qui, de manière fatale, conduit à la Guerre, puis à la Résistance, la Déportation et enfin à la Libération, la dernière de ces séquences emboîtées ne possédant d’ailleurs pas sa propre salle.

Le musée voulait donc beaucoup montrer, et peut-être trop dire, ne parvenant pas à faire son choix entre des présupposés scolaires (qui lui font multiplier les panneaux surchargés de textes explicatifs, lesquels sembleraient par trop indigestes au visiteur contemporain) et des tentations et tentatives de reconstitution (on pense là au diorama de la salle de la Déportation où le mannequin de cire revêtu de la tenue de déporté de Gustave Estadès, sur fond d’Appelplatz, est menacé par la corde qui pend d’une potence) 1281 . Cette coexistence entre une « exposition–livre » où l’objet est second, soumis au discours qu’il illustre, et une ‘ « exposition–spectacle ’ ‘ 1282 ’ ‘  » ’ où l’objet occupe le devant de la scène, répond à un double objectif : montrer/exposer, dire/enseigner. Ce balancement traduit bien l’intervention constante des enseignants, à l’avant-garde de la pédagogie certes mais pas de la muséographie ; ils sont des professionnels extérieurs au milieu résistant qui entendent développer un discours global sur la Seconde Guerre mondiale. L’impression reste malgré tout celle d’une surabondance étouffante des pièces, quelles qu’elles soient. C’est d’ailleurs ce que rappelait déjà l’article consacré par Le Dauphiné Libéré à l’inauguration de l’exposition préfigurative 1283  : ‘ « [...] Il y a là beaucoup de documents photographiques (trop peut-être) [...]. C’est là un premier essai. Il reste à souhaiter que le futur musée de la Résistance perde cet aspect général pour devenir vraiment le reflet poignant et authentique de ce que fut la lutte dauphinoise, une lutte acharnée contre l’oppresseur. »

Notes
1280.

La typologie qui suit doit beaucoup à l’analyse d’Emmanuelle François, op. cit.

1281.

Enseignant débutant, nous avons accompagné une classe de troisième d’un collège « difficile » de la banlieue grenoblois visiter le musée en 1993. Le résultat fut sans appel : tous préférèrent de loin le diorama (et les vitrines pleines d’armes, et aussi les photographies des massacrés du Vercors...) aux pages des journaux.

1282.

Marie-Hélène Joly, op. cit., p. 193.

1283.

« En attendant le musée de la Résistance. Une évocation des heures sombres de la lutte clandestine », article accompagné d’une photographie, Le Dauphiné Libéré, 20 août 1963.