I – La Résistance, héritage trahi ? 1946-1947, une année charnière.

Si les relations entre les diverses associations d’anciens résistants, y compris au sein de l’Union départementale des Organisations de Résistance de l’Isère, ne furent que rarement sereines (cf. supra, notre partie sur les associations), il semble qu’à partir de la fin de l’année 1945, elles s’aigrissent subitement. En effet, le préfet Reynier, qui assiste parfois « en camarade 1323  » aux réunions, a beau essayer de calmer les esprits, les querelles qui toutes ont pour origine des volontés concurrentes de captation de l’héritage de la Résistance, non seulement se multiplient, mais gagnent en virulence.

C’est en fait l’échec du projet de fusion entre les deux principales associations d’anciens résistants, politiquement opposées, l’antenne grenobloise de la Fédération Nationale des Anciens de la Résistance (FNAR) et l’Amicale des Militants de la Résistance (AMR) qui, scellant la fin du rêve d’union de la Résistance, débouche sur un climat de tension mémorielle permanente 1324 . Cette hypothétique union, toujours rêvée et jamais réalisée, est le véritable « poil à gratter » de la Résistance grenobloise et iséroise. Les pourparlers entre les deux associations les plus puissantes de la région ne purent au mieux qu’aboutir à la création, difficile, au début de l’année 1947, du Comité de coordination de la Résistance, et jamais d’une seule et unique organisation, qui aurait représenté la Résistance dans toute sa diversité.

Il est évidemment hors de question de dresser ici un inventaire exhaustif des oppositions qui sont le lot habituel des réunions du Comité 1325 , lesquelles prennent parfois un tour finalement purement anecdotique, tant les arguments des uns et des autres ne parviennent pas à s’élever au dessus du niveau de la pure polémique. Néanmoins, on peut considérer que le conflit entre la FNAR et l’AMR (aidée parfois des anciens FTPP) qui se double politiquement immédiatement d’une opposition entre le RPF et le PCF, est exemplaire de ces querelles de mémoire, de « second ordre » disons. Mais quand celles-ci ne mettent pas aux prises de grandes figures nationales, qu’elles ne se nouent pas à propos d’enjeux de mémoire nationaux, quand elles s’ancrent donc dans un contexte éminemment provincial et se font plus quotidiennes, elles n’en conservent pas moins une structure intéressante. Cette dernière comporte principalement trois items, qui s’emboîtant l’un l’autre, aboutissent à une construction à la logique démonstrative imparable (à défaut d’être impartiale) et dont le mécanisme est exactement commun aux deux camps.

Notes
1323.

C’est son expression, par exemple lors de la réunion du Comité de Coordination du 12 juin 1947 ; ADI 2797 W 92, « Résistance : mouvements ou groupements organisés à la suite de celle-ci. 1945-48 ».

1324.

C’est lors du congrès de la FNAR du 8 septembre 1945 que l’idée d’une union entre les deux associations (proposée lors du Congrès Régional de l’AMR du 2 septembre) est définitivement rejetée ; cf. rapports des Renseignements Généraux n° 4943 du 6 septembre et n° 5006 du 10 septembre 1945 ; ADI, Ibidem. Ce schéma d’opposition à propos de la mémoire de la Résistance, à travers le face à face de deux organisations d’anciens résistants, se reproduit à l’identique au sujet de la mémoire de la Déportation (cf. infra).

1325.

On dispose des procès-verbaux des réunions du Comité (qu’on continue d’ailleurs d’appeler indifféremment Union départementale des Organisations de Résistance de l’Isère) depuis le 11 mars 1947 jusqu’au 29 juillet 1948. Au total, dans ce laps de temps, le Comité se réunit dix fois. Évidemment, son existence excède l’été 1948 puisque la dernière convocation est par exemple datée du 29 septembre 1948 et prévoit une réunion pour le jeudi 14 octobre. Malheureusement, on ne possède pas les PV de ces réunions ; ADI, ibid.