B – Disqualifier l’autre.

C’est évidemment une figure classique de la rhétorique politique quand elle cherche à utiliser le passé, que de tenter de rabaisser les valeurs de son concurrent, voire de l’identifier à l’ennemi d’hier. En l’occurrence, l’AMR – ou plutôt les FTPF– et la FNAR agissent encore une fois de conserve en attaquant directement les figures du « camp d’en face » à propos de leur parcours au sein de la Résistance. Trois réunions de l’Union Départementale des Organisations de Résistance de l’Isère sont consacrées à vider une querelle de personnes qui, en s’envenimant, menace le fragile édifice mémoriel grenoblois (séances du 30 octobre, du 27 novembre 1947 et du 4 décembre 1947). Il semble bien que ce soit le Commandant Nal qui ait le premier publiquement brisé la règle d’or qu’il jurait pourtant avec solennité s’être fixée, de ne pas confondre activité de défense de la Résistance et action politique partisane. Il a nommément attaqué Pierre Flaureau, membre influent des anciens FTPF, dans un tract que Chavant – lui-même mis en cause par les FTP pour son manque de condamnation de De Gaulle ; on est alors en pleine polémique à propos du Vercors... (cf. infra, le chapitre II de cette partie) – appelle le « tract vert 1332  ».

Les extraits de dialogue qui suivent sont révélateurs des rivalités énormes qui animent l’Union de la Résistance. Nous avons choisis de les citer longuement et de les faire figurer ici dans leur forme initiale afin de mieux rendre compte de l’esprit du temps 1333 .

‘« Séance du 30 octobre 1947 : Sont présents : CHARTREUSE, CHAMBARRANDS, F.F.L., F.N.A.R., F.T.P.F., GRESIVAUDAN, MEDECINS de la RESISTANCE, MERLIN GERIN, RESEAUX, RESISTANCE FER, SUPPLICIES de la GESTAPO, VERCORS, ROBIN, VALOIS, PERDRIAU, THOMAS, SEGAL, R. BUISSON, RUGER, LEYSSARD, MICHALLON, KATZ, FAGOT, GAMONNET, NAGENRANFT, REYNAUD, COLI, CHAVANT, BRISAC, GUILLET.

La Séance est ouverte à 21 heures [...].

ORGANISATION DE LA RESISTANCE UNIE
Le Président demande si quelqu’un désire faire une déclaration au sujet du mémorandum remis par Robert BUISSON au nom des F.T.P.F.
SEGAL au nom de la FNAR lit un texte qui définit la position de cette Association vis-à-vis du mémorandum (texte joint en annexe).
COLI au nom de l’U.M.R. lit également un texte (joint en annexe).
BRISAC au nom du Vercors déclare que le mémorandum contient beaucoup de bonnes choses à côté desquelles malheureusement on trouve des manifestations et des attaques politiques. Il ne peut donc, dans sa forme actuelle, être accepté par ceux du Vercors dont la ligne de conduite est invariable : pas de politique au sein des organisations de résistance.
REYNAUD demande alors, pour écourter et éclaircir le débat que les représentants des Associations prennent nettement position pour ou contre le mémorandum.
BRISAC accepte la proposition de REYNAUD mais il estime que chacun doit pouvoir commenter son vote.
Les réponses sont les suivantes :
FNAR NON pour les raisons énumérées dans le texte joint en annexe.
U.M.R NON---------------------------d°-------------------------
RESISTANCE FER aucune décision n’a été prise car nous faisons partie d’une Association Nationale.
VERCORS NON pour les raisons citées ci-dessus.
CHARTREUSE NON parce que nous ne voulons pas mêler la politique à la Résistance.
MERLIN GERIN NON parce que nous ne voulons pas faire de politique au sein de l’Amicale.
CHAMBARRANDS Les membres de cette Association n’ont pu être consultés en Assemblée Générale mais ceux d’entre eux, avec lesquels la question a été traitée, estiment que les statuts actuels doivent être révisés parce qu’ils vouent l’Union Départementale à l’impuissance.
RESEAUX Il n’y a pas eu de réunion générale du Bureau des Réseaux. En ce qui concerne le Réseau F. 2 le Mémorandum serait accepté si certaine phrase à Tendance politique était supprimée.
GRESIVAUDAN NON A cause de la tendance politique du manifeste. RIONDET qui assiste aux délibérations fait remarquer que LEYSSARD parle en son nom personnel. En effet ajoute-t-il, je fais partie du Grésivaudan et à ma connaissance il n’y a pas eu d’Assemblée Générale depuis plus d’un an.
SUPPLICIES DE LA GESTAPO NON Nous sommes pour le statu quo qui sauvegarde notre indépendance et n’admet pas de tendance politique.
F.F.L. Nous appartenons à une Organisation Nationale ce qui nous interdit une prise de position ou d’engagement.
MEDECINS DE LA RESISTANCE Nous n’avons pas eu le temps de consulter nos membres

R. BUISSON prend la parole :
« Je regrette dit-il que toutes les Associations ne se soient pas prononcées. Un délai largement suffisant a été prévu. »
« SEGAL reprochait au manifeste une prise de position. Il a raison puisque nous prenons la défense du programme du C.N.R., des C.D.L. et de la République. Il s’agit donc bien de politique de la Résistance. »
« DE GAULLE le 18 Juin 1940 a eu une attitude patriotique. Une légende veut qu’il soit le premier résistant de France. En la propageant on oublie volontairement que la résistance au fascisme et au nazisme ne date pas du 18 Juin 1940. »
« Je crois que le mémorandum qui vient d’être rejeté en bloc par la plupart des Associations n’a pas été lu assez attentivement. J’attendais à la suite d’une étude sérieuse, des réponses aux propositions concrètes formulées. »
« Tout d’abord le mémorandum examine les raisons de la Division et de l’affaiblissement de la Résistance, permettant ainsi d’en désigner les responsables. »
« Quant aux propositions, auxquelles il n’a pas été donné de réponses claires, elles sont au nombre de trois. 
« La première demande la coopération avec le C.D.L.N. et le C.N.R., pour l’application du programme du C.N.R. Ce programme n’est pas apolitique, puisqu’il prévoit la défense des Institutions Républicaines. 
« Son application est demandée pour servir de plate-forme à la politique de la résistance.
« La deuxième prévoit la création d’un Comité d’entente F.F.I. L’intention des F.T.P.F. est de réaliser la fusion dans une Organisation Unique groupant tous les Résistants.
« Cet objectif sera atteint :
1°/ - en réalisant la fusion des Organisations clandestines, fusion facile à réaliser puisqu’elle intéresse seulement ceux qui ont mené le même combat dans les mêmes conditions.
2°/ - en rassemblant tous les autres.
« La troisième demande le respect des principes démocratiques au sein de l’Union Départementale.
« Sans l’application de ces principes il n’est pas possible de réaliser harmoniquement. »
« L’usage a montré qu’il était difficile sinon impossible de prendre des décisions, à l’unanimité, sur des questions importantes. Dans ces conditions, il apparaît que des statuts, même acceptés par tous, peuvent et doivent être modifiés. »
« Si cette révision n’est acquise, il n’est pas possible d’aller de l’avant. La révision est nécessaire pour sortir de la stagnation. »
« MICHALLON fait remarquer qu’il y a toujours eu unanimité pour solutionner les questions traitant uniquement la Résistance. »
Le problème qui se pose actuellement est de savoir si l’Union Départementale va faire de la politique partisane ou travaillera dans l’intérêt de la Résistance et des Résistants.
[...]
COLI croit que les réponses résultent de la crainte d’une politique partisane. Cette crainte vient peut-être de ce que certaines organisations résistantes représentent des tendances politiques.
Les Résistants, unis contre l’Allemand, ont repris leurs discussions et si cela continue, dans cinquante ans il n’y aura rien de changé. En attendant, le pays en crève et tous les partis politiques en sont responsables. Il paraît pourtant possible de faire en dehors des partis quelque chose sur le plan départemental puis de gagner le plan national.
THOMAS approuve les déclarations de COLI. Il reconnaît que le mémorandum fait des propositions constructives, mais aussi qu’il cite un homme et un parti. Cela ne peut être admis, cela ne serait admis si le parti Communiste était lui-même attaqué.
COLI ajoute que l’Union Départementale devrait chercher et trouver sa politique, pour le bien commun, en dehors des Partis.

[...]
Valois convient d’ailleurs de traiter d’urgence de graves affaires telle celle du Vercors qui fait actuellement grand bruit dans les journaux.
CHAVANT s’étonne de ce que cette affaire Vercors soit agitée de nos jours seulement, en pleine campagne électorale.
Il ne comprend pas pourquoi les uns et les autres, qui prétendent avoir agi dans l’intérêt des Résistants et qui affirment aujourd’hui vouloir servir la vérité, ont attendu trois ans pour faire connaître cette soi-disant vérité.
Tout cela, pour lui, n’est que manœuvre et propagande.
VALOIS affirme qu’il a prononcé le nom Vercors sans l’intention malveillante mais uniquement parce qu’il considère qu’il y a là une attaque contre les Résistants.
CHAVANT ne considère pas cette affaire Vercors comme une attaque contre la Résistance, mais plutôt comme une vilaine histoire entre résistants.
Il cite comme exemple d’attaque entre résistants l’affaire FARGE à qui le Vercors a donné son appui total dans la lutte qu’il mène contre la corruption.
SEGAL déclare qu’en de tels cas, les organisations intéressées doivent d’abord s’efforcer de traiter par leurs propres moyens et ne faire appel à l’Union Départementale qu’en cas d’insuccès.
THOMAS est d’accord avec SEGAL mais il estime que des affaires comme celle du Vercors actuellement évoquée vont agrandir le fossé qui se creuse entre les deux tendances de la Résistance.
R. BUISSON demande alors si les membres de l’Union Départementale sont d’avis que les questions de résistance doivent être traitées entre résistants.
Les membres présents sont de cet avis.
R. BUISSON montre alors un petit papillon vert, imprimé par le R.P.F. sur lequel on attaque le communiste FLAUREAU dit PEL en sa qualité de membre du Comité d’Épuration du C.D.L.
BATTAILH demande alors à SEGAL et à LEYSSARD s’ils ont eu connaissance de ce tract, au moment des élections.
LEYSSARD répond négativement.
SEGAL en a eu connaissance alors qu’il était déjà diffusé.
BATTAILH fait alors remarquer à LEYSSARD qu’il doit y avoir au R.P.F. des gens qui agissent contre les Résistants en général et à l’insu des résistants de ce Parti.
GAMONNET demande alors pour quelles raisons MERGEN, au cours de la campagne électorale, a fait état de sa qualité de membre du Bureau de l’Union Départementale.
SEGAL dit que MERGEN en a fait état, non pendant la campagne électorale mais après, lorsqu’il a adressé ses remerciements aux électeurs.
R. BUISSON insiste pour que l’Assemblée se prononce dans l’affaire du papillon électoral par lequel FLAUREAU et le Comité d’Épuration sont attaqués ; puis il demande la révision des statuts de l’Union Départementale.
THOMAS admet que les résistants doivent régler, entre eux, leurs affaires et il déplore l’incident FLAUREAU. Mais il fait remarquer qu’il ne s’agit pas de cas isolés et il demande à Robert BUISSON si les journaux d’extrême gauche peuvent admettre qu’il y a des résistants dans le R.P.F.
SEGAL demandera des explications au R.P.F. sur l’origine du papillon.
REYNAUD propose que l’Union Départementale s’engage, dès maintenant, à défendre, sur le plan départemental, les organismes de résistance et les résistants qui en faisaient partie, quand ceux-ci sont attaqués dans leur qualité de résistant, à condition qu’ils en fassent la demande.
EUGER demande à tous les membres présents de ne pas faire de jésuitisme et de parler franchement comme au temps des combats et de ne pas craindre d’élargir les débats.
Il ne faut pas chercher à noyer le poisson, dit-il, à tourner les difficultés. Au fond, nous savons tous ce que nous sommes et ce que veulent les uns et les autres. Expliquons nous donc franchement pour examiner les possibilités.
SEGAL parle franchement en disant que la FNAR refuse la fusion.
KATZ affirme au contraire que certains membres de la FNAR la désirent.
R. BUISSON veut que soit traité à fond l’incident FLAUREAU. Il propose la mise aux voix de la proposition REYNAUD.
SEGAL demande si la proposition REYNAUD concerne seulement les écrits. Il fait alors allusion au discours violent prononcé par PERINETTI contre des organismes composés en majeure partie de résistants.
VALOIS propose que la proposition REYNAUD concerne seulement les écrits. Il estime qu’il ne faut pas attacher une importance excessive aux propos tenus pendant la campagne électorale. Il cite un exemple.
[...]
La séance est levée à 23 h 45. »’

La polémique continue et s’amplifie même, comme en témoignent ces extraits de la séance du 27 novembre 1947.

‘« [...] A propos du P.V. de la réunion du 30 octobre, Robert BUISSON demande :
[...]
3°/ - Que figure au P.V. l’intervention de CHAVANT qui a déclaré qu’il était possible que le tract concernant FLAUREAU n’ait pas été lancé par le R.P.F. (page 6 et 7).
CHAVANT intervient pour faire remarquer qu’il n’avait pas l’intention en s’exprimant ainsi, de tendre la perche au R.P.F.. Il s’étonne de la demande de R. BUISSON car il n’avait pas attaché d’importance à sa phrase. D’ailleurs, il a des exemples prouvant que de tels incidents sont possibles.
R. BUISSON demande à nouveau que figure au P.V. l’intervention de CHAVANT. Satisfaction lui est donnée.
[...]
THOMAS après avoir déclaré que les F.F.L., généralement peu au courant de ce qui s’est passé en France au temps de la Résistance, demande qu’on veuille bien faire un court historique de ce programme [du CNR].
R. BUISSON propose alors que FLAUREAU, venu pour régler l’incident qui le concerne, fasse cet historique. Il est particulièrement qualifié pour le faire.
FLAUREAU fait un historique très rapide et lit le préambule qui prévoit que les Résistants devront rester unis après la Libération. Or, fait-il remarquer au passage ce n’est pas ce qui se produit actuellement. L’incident du tract vert le prouve.
Si l’Union des Résistants n’avait pas été un vain mot, cet incident eut été réglé ici.
Pour sa part, dans l’intention de ne pas salir la Résistance, il a fait preuve de modération dans sa réponse.
Puis il fait le récit de l’incident qui l’oppose au Commandant Nal.
THOMAS en sa qualité de Président demande qu’on ne s’écarte pas du sujet : le Programme du C.N.R.
R. BUISSON demande alors la liquidation de l’incident FLAUREAU/NAL.
Il s’étonne de ce que NAL, au courant, comme FLAUREAU, des délibérations de l’Union Départementale, ne soit pas venu à cette séance où une franche explication aurait eu lieu.
[...]
MICHALLON demande que l’incident soit traité en présence de NAL qui a pris la responsabilité de l’émission du papillon vert.
Il tient à préciser qu’il ne connaissait pas le tract incriminé avant sa distribution.
R. BUISSON est d’accord pour régler l’incident en présence de NAL. FLAUREAU est venu dans l’espoir de rencontrer NAL.
Le Président dit qu’il suffit donc de fixer la date prochaine pour le règlement de l’incident.
FLAUREAU accepte avec plaisir mais à condition qu’on décide dès maintenant que les affaires de résistance seront à l’avenir uniquement traitées par les Résistants.
Récemment le Vercors s’est prononcé dans une affaire. Il a dit : respect à nos morts, restons fidèles à la cause pour laquelle ils se sont battus. Je reviendrai sur cette affaire Vercors mais je demande dès maintenant que cette Assemblée recherche et désigne « les salopards » qui seraient parmi nous. Je veux qu’elle dise qui de NAL ou de FLAUREAU à tort.
MICHALLON déclare qu’il ne cherche pas à gagner du temps ou à étouffer l’affaire. il lui paraît normal de demander la présence des deux intéressés. Il admet bien volontiers que l’Assemblée se prononce dès maintenant sur la question de principe : Règlement des affaires de Résistance entre les Résistants.
REYNAUD estime que NAL et FLAUREAU ont eu tort, NAL pour avoir attaqué publiquement, et FLAUREAU pour avoir répondu dans les mêmes conditions. L’article de FLAUREAU laisse peser une suspicion sur NAL.
FLAUREAU demande alors à REYNAUD s’il croit également que l’attaque de NAL fait peser une suspicion sur lui.
Attaqué publiquement dans son honneur il a répondu publiquement mais il ne l’a fait, avec tristesse et modération, qu’après la séance du Conseil Municipal au cours de laquelle NAL a pris ses responsabilités.
Jusqu’alors il avait espérer que son ancien compagnon de lutte n’y était pour rien, malgré ses importantes fonctions au R.P.F.
Il doutait malgré tout et c’est la raison pour laquelle il a fait poser la question de responsabilité à NAL.
Selon REYNAUD l’Union Départementale aurait publiquement pris la défense de FLAUREAU si celui-ci, au lieu d’envoyer sa lettre ouverte s’était adressé aux résistants.
Le Président fait remarquer que l’Union Départementale se trouve mais maintenant devant le fait accompli.
CHAVANT partage l’avis de REYNAUD et fait la même constatation que le Président.
SEROUL demande que l’Assemblée désavoue publiquement celui des deux qui a tort.
FLAUREAU pour bien faire ressortir la réserve et la modération qui caractérisent sa lettre ouverte, la relit.
Il affirme ensuite qu’il est aussi bon patriote que NAL . Sans rien renier de son idéal communiste, il a lutté de toutes ses forces et sans répit pour la Libération de la Patrie.
SEROUL ayant fait une allusion à l’orientation politique de la FNAR est pris à partie par VERNET et TISSOT.
CHAVANT fait remarquer à FLAUREAU que personne, dans l’Assemblée ne met en cause son patriotisme et que personne n’a dit qu’un communiste n’était pas Français. Mais il demande qu’on attaque pas non plus la FNAR afin de faire cesser le jour des accusations réciproques qui dégénère toujours en propos injurieux.
FLAUREAU admet que SEROUL vient de commettre une erreur car lorsqu’on accuse il faut préciser, citer des noms.
Il admet aussi volontiers qu’il existe d’excellents résistants et de bons Français dans la FNAR et il demande aux autres membres présents d’avoir la même opinion du Parti Communiste.
Il espère que les membres présents voudront bien lui faire connaître les membres du Parti Communiste qui, à leur avis, seraient, du point de vue de la Résistance, des « salopards ».
Ce n’est pas parce que de tels salopards peuvent s’être infiltrés qu’il faut à priori jeter la suspicion sur les Organisations.
THOMAS insiste sur le caractère regrettable du fait accompli. Cet incident public fait douter de la Résistance et provoque la division dans son sein.
FLAUREAU fait alors remarquer que c’est NAL qui a tout déclenché.
ROUSSEAU trouve normale la réaction de FLAUREAU qui est celle d’un homme et d’un militant attaqué dans son honneur et dans son activité.
THOMAS demande qu’on évite l’emploi des mots communistes et gaullistes et que chacun s’abstienne, dans la mesure du possible, de faire, ici, état de sa position politique.
R. BUISSON déclare que FLAUREAU était à la fois Résistant et Communiste, il était résistant parce qu’il a été communiste et patriote. Il doit donc faire état de sa position politique.
De plus, comme homme, il a le droit et le devoir de se défendre publiquement puisqu’il a été attaqué publiquement. Aucune restriction à ce droit ne peut lui être imposée.
L’incident mettant ainsi en cause un organisme de la Résistance, il appartient à l’Union Départementale de défendre cet organisme [...] »’

Enfin, l’incident est clos au début du mois de décembre. L’Union Départementale parvient à se mettre d’accord, au cours de sa séance du 4 décembre 1947 (là encore, après d’âpres discussions) sur un texte qu’elle demande aux journaux grenoblois d’insérer dans leurs colonnes.

‘« Monsieur le Directeur, J’ai l’honneur de vous adresser ci-joint un communiqué que vous voudrez bien faire paraître en bonne place dans toutes vos éditions de l’Isère, si possible le samedi 6 décembre 1947.
Ce communiqué a été rédigé à l’issue d’une séance à laquelle assistaient les anciens Chefs de la Résistance de l’Isère dont les noms suivent :
A.S., CHARTREUSE, F.F.L., F.N.A.R., F.T.P.F., MEDECINS de la RESISTANCE, MERLIN GERIN, OISANS Sect. I, OISANS Sect. V, GRESIVAUDAN, RESEAUX, RESISTANCE FER, SUPPLICIES de la GESTAPO, U.M.R., VERCORS, CHAMBARRANDS, AVIATEURS de la RESISTANCE, BATTAILH, ROBIN, FAGOT, THOMAS, SEGAL, FAVIER, BUISSON, SEROUL, RUGER, PERINETTI, MICHALLON, KATZ, RAGOT, RAVINET, BOIS, COLLOMB, ARNAUD, TISSOT, REGNIER, LEYSSARD, GAMONNET, NAGENRANFT, GARCHET, REYNAUD, LIARD, CASADELLA, CHAVANT, BRISAC, VALOIS.

La publication est fin à un regrettable incident qui a mis aux prises deux anciens compagnons de l’époque de la lutte clandestine.
C’est pourquoi je vous demande qu’il paraisse sans aucun additif et sans le moindre commentaire.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l’expression de mes sincères remerciements et l’assurance de ma plus haute considération.’ ‘“Les Délégués des Organisations de Résistance de l’Union Départementale de la Résistance de l’Isère, siégeant au Salon Rouge de l’Hôtel de la Préfecture le jeudi 4 décembre 1947, déclarent à l’unanimité :
1°/ - Que la diffusion, par le R.P.F., du tract incriminant FLAUREAU dit PEL, Ancien Président du Comité d’Épuration, tract dont le Commandant NAL, en qualité de Délégué Départemental du R.P.F. a pris la responsabilité, est très regrettable.
2°/ - Que Pierre FLAUREAU dit PEL, qui n’a jamais failli à l’honneur a bien mérité de la Résistance Française.
3°/ - Qu’est également regrettable la publication de la lettre ouverte de FLAUREAU dit PEL au Commandant NAL .
4°/ - Que le Commandant NAL, qui n’a jamais failli à l’honneur, a bien mérité de la Résistance Française.” »

On réussit donc à aboutir, cahin-caha, à une solution négociée (le texte, dans sa volonté d’égalitarisme forcené et artificiel, est à la limite du « jésuitisme »...) qui équivaut à une espèce de cessez-le-feu temporaire. Mais quoi qu’en disent toutes les associations qui sont parties prenantes dans cette « affaire », quel que soit leur niveau d’intervention, c’est bien l’enjeu politique qu’elles-mêmes attribuent à la mémoire de la Résistance qui, instrumentalisée négativement par le Commandant Nal (négativement parce que lui attaque pour disqualifier, alors que la majorité des autres associations se satisfont d’une simple tactique de la mise en avant) empêche l’union de la Résistance.

Parfois, l’opposition entre les deux principales associations d’anciens résistants prend un tour inattendu. Reynier, préfet de l’Isère, reçoit ainsi une lettre surprenante du docteur Mazauric, maire de la ville de La Mure, début février 1946.

‘« [...] Mon fils, inscrit à la session spéciale du baccalauréat, reçoit à ce sujet une lettre émanant de l’A.M.R. Cette Association prétend avoir le droit d’examiner le dossier de chaque candidat.
Faisant partie de la F.N.A.R., je proteste auprès de vous de l’immixtion unilatérale de l’A.M.R. dans l’examen des dossiers des candidats. L’attestation envoyée par mon fils et qui figure au dossier est signée du Colonel BOUCHER, commandant du secteur 5, dont vous connaissez, je le sais, la loyauté et l’esprit résistant [...] 1334 . » ’

Tout en adressant au docteur Mazauric un mot apaisant, Reynier tance vertement l’AMR, demandant, dans la lettre qu’il envoie à son président le 9 février 1946 ‘ « [...] de vouloir mettre fin à de pareils trafics [...] ’ ‘ 1335 ’ ‘  ».

Cependant, à Grenoble, malgré l’énergie déployée par l’un et l’autre camp, il semble que l’on aboutisse globalement à une situation d’équilibre dans l’abstention. Les efforts contradictoires des uns et des autres paraissent en définitive s’annuler, comme en témoigne ce rapport des Renseignements Généraux de mai 1947.

‘« [...] le 8 mai 1947, dans la soirée, s’est tenu à Grenoble une réunion du Comité Départemental de Coordination des Mouvements de Résistance de l’Isère [...] au cours de laquelle l’Association des F.T.P.F. représentée par M. BUISSON Robert, Conseiller Général, communiste, a essayé d’entraîner l’adhésion du Comité de Coordination précité au Comité de Vigilance de l’Isère.
Cette question n’était pas inscrite à l’ordre du jour de la réunion et elle avait été débattue discrètement les jours précédents entre les représentants des F.T.P.F., de Résistance-Fer, de Résistance Merlin-Gérin et de l’Amicale des Militants de la Résistance, toutes organisations communisantes, ainsi que par des représentants de l’Amicale de l’Armée Secrète, MM. ROUGET et BATTAIL, membres de la Fédération Nationale des Anciens de la Résistance (section de l’Isère) en conflit de tendance avec le Comité Directeur apolitique de cette organisation [...]. Il apparaît donc à peu près certain que triomphera la thèse générale apolitique du Comité en question et que ce dernier n’optera ni pour les Comités de Vigilance, ni pour le R.P.F. 1336 . »’

Mais le statu quo ne dure pas, puisqu’on a vu que le ton se durcit à l’automne...

Notes
1332.

« Procès-Verbal de la réunion de l’Union Départementale des Organisations de Résistance de l’Isère » du 27 novembre 1947 ; ADI, 2797 W 92. Nous n’avons pas pu – quel dommage ! – retrouver ce tract.

1333.

Pour l’intégralité de ces comptes rendus, voir annexe n° II.

1334.

ADI, 2797 W 92 ; lettre du 6 février 1946.

1335.

ADI, ibidem.

1336.

Rapport n° 3274, daté du 10 mai 1947 ; ADI, 2696 W 146, « R.P.F. 1947-1960 ».