1 – Comparaison n’est pas raison...

La première a trait à l’évidente proximité historique que voient tous les protagonistes entre la « matrice » et les « épigones », même si bien entendu ils interprètent cette ressemblance dans des sens opposés. Le tout est de savoir si le paysan viêt-minh entre 1947 et 1954 et le fellagha algérien jusqu’en 1962 sont les mêmes que le maquisard français des « annéesnoires ».

A propos de l’Indochine, la question est posée très tôt. Mais Le Travailleur Alpin, s’il ne s’embarrasse guère de précautions de style quand il répond en décembre 1945 au Réveil à propos du ‘ « problème indochinois ’ ‘ 1377 ’ ‘  » ’, semble encore hésiter à établir une filiation directe et à construire une équation d’égalité entre les deux processus.

‘« “Le Réveil” devant le problème indochinois.
Dans son numéro du 20 décembre, “Le Réveil” a consacré un long article sur l’Indochine, article rempli de mauvaise foi, et destiné à tromper le public sur le véritable caractère du problème indochinois.
Tout d’abord, on veut présenter l’amiral Decaux comme un résistant. Quand on sait que Decaux était un homme de confiance du maréchal Pétain, qui avait limogé le général Catroux trop peu vichyssois pour le remplacer par Decaux, on sait à quelle source est allé se renseigner “Le Réveil”.
Mais malheureusement, “nous n’avons pas la mémoire courte”, Monsieur le Directeur du “Réveil”. Car nous nous rappelons très bien que c’est l’amiral Decaux, qui en 1940, a signé le protocole franco-japonais ouvrant la porte de l’Indochine aux Nippons. C’est encore le même amiral Decaux qui, en 1941, a signé l’armistice franco-siamois, livrant les provinces cambodgiennes et laotiennes au Siam. Un drôle de résistant, cet amiral Decaux !
“Le Réveil”, ensuite, conteste au gouvernement du Viet-Minh son caractère d’unanimité nationale. Il veut le présenter comme une sorte de dictature, ayant usurpé le pouvoir à la faveur des événements troubles qui ont suivi la capitulation du Japon. Sans craindre de se contredire, il envisage un peu plus loin l’envoi d’un corps expéditionnaire de 100.000 hommes pour reconquérir l’Indochine. 100.000 hommes pour débarrasser un pays d’une dictature exécrée de la population ! Il faut croire que cette tyrannie a des partisans assez nombreux, puisqu’il faut un tel déploiement de force pour en venir à bout. Il faut croire que ce régime détesté est assez populaire pour imposer à ses hommes une guerre de guérilla, concentrer des canons, des tanks, des avions et des cuirassés.
En France, le Parti Communiste est le seul a avoir assez de courage pour élever la voix en faveur du Viet-Minh, c’est pour cela que “Le Réveil” l’accuse d’obéir à des slogans japonais tels que “l’Asie aux Asiatiques”. En fait, c’est plutôt “Le Réveil”qui obéit aux slogans des capitalistes, tels que “l’Indochine aux Trusts”.
Mais où “Le Réveil” atteint les limites de l’ironie, c’est quand il parle de l’œuvre splendide de civilisation en Indochine. Civilisation de l’opium et de l’alcool ! Ou bien civilisation des plantations de caoutchouc où meurent 70 % des ouvriers qui y travaillent ! A moins que ce ne soient celle des bagnes de Poulo-Condor, de Léo-Bao et de Son-La !
Pour justifier la reconquête de l’Indochine, “Le Réveil” invoque le sang français versé pour la possession de ce pays. Malgré son apparence, cet argument est un signe d’indigence intellectuelle. “Le Réveil” oublie en effet qu’il est des guerres injustes et que la valeur du sang versé dans une belle guerre de conquête n’est pas identique à celle qu’un patriote verse dans une guerre de libération nationale. Sinon, la Charte de l’Atlantique ne serait qu’un chiffon de papier, et la destinée des nations se trouverait à la merci des peuples les plus sanguinaires.
En admettant même que le sang versé justifie le droit de possession du pays du Viet-Nam, ce droit appartiendrait incontestablement au peuple annamite qui a dû se saigner à blanc pour défendre cette terre au cours de ses deux mille ans d’histoire contre de multiples invasions : combats meurtriers contre les hordes mongoles de Khoubilaï-Khan, au 13ème siècle ; guerres contre les empereurs Ming, au 15ème siècle, etc. Les quelques gouttes de sang français versées en 1862 et 1884, ne sont rien par rapport aux flots de sang qu’ont dû répandre les Annamites pour fonder leur empire.
La vérité, c’est que ceux qui livraient l’Indochine aux Japonais, veulent aujourd’hui la reprendre aux Indochinois pour la rendre aux Trusts.

HUYNH NGOC CHAU »’

Le Réveil,lui, va beaucoup plus loin dans l’assimilation, mais en sens inverse, comparant en 1946 le rôle de la toute nouvelle armée française en Indochine, rebronzée au feu des combats de la Libération et de la campagne de 1944-1945, à celui qu’elle joua deux ans plus tôt à Paris ! Pour le journal MRP, il s’agit d’illustrer cette idée que le combat que mène la France là-bas, loin, pour la défense de l’Empire (sur lequel de Gaulle a fondé une part de sa légitimité entre 1940 et 1944 alors que Pétain arguait de sa défense pour justifier la Collaboration) est du même ordre que celui qui permit à la France de se libérer de l’occupation allemande. C’est bien le sens de cette photographie qu’il publie en première page de son numéro du 4 avril 1946.

Le titre (« Hanoï accueille les troupes de Leclerc  ») et la légende (« Les troupes françaises ont fait une entrée triomphale à Hanoï. Les voici, acclamées par la Libération ») qui accompagnent le cliché disent sans ambages au lecteur que le grand homme qui, dans son half-track, s’émeut de voir autant de drapeaux français dans les rues d’Hanoï, rejoue la scène de la Libération de Paris d’août 1944. D’ailleurs, au sein de cette armée qui défend le drapeau français sous les cieux plombés de l’Asie, ne voit-on pas combattre les mêmes hommes, questionne Le Réveil, quand il publie dans son numéro du 23 janvier un article intitulé ‘ « De son lit d’hôpital à Ventianne ’ ‘ , dans le Laos ’ ‘ , le jeune sergent-chef vizillois André Saïd ’ ‘ nous raconte une phase de l’attaque à laquelle il prit part » ? ’On y apprend entre autre que c’est ‘ « dans le maquis de l’Oisans ’ ‘ où il se fit de nombreuses amitiés que les premières armes d’André Saïd furent forgées ’ ‘ 1378 ’ ‘  » ’. Cette thématique de la défense de la légitimité impériale au nom de la Résistance, Le Réveil lui restera fidèle tout au long du conflit, ne craignant pas, semble-t-il, les grands écarts historiques.

Notes
1377.

« Le Réveil devant le problème indochinois », 27 décembre 1945, 2ème page.

1378.

Le Réveil, 23 janvier 1947, 2ème page.