3 – Vichy relève la tête.

Immédiatement corollaire de cette interrogation morale (pourquoi et comment nous combattons en Algérie ?), un autre point est âprement débattu qui fait rejouer les interprétations divergentes de la Deuxième Guerre mondiale. C’est celui qui pose la question de la nature du pouvoir et du danger que ses abus font peser sur la France. Beaucoup à gauche ont en effet l’impression de vivre les prodromes d’une nouvelle confiscation du pouvoir par la droite ultra-réactionnaire. L’OAS, c’est Vichy qui recommence. Par exemple, les motions que votent chaque année, à partir de 1960 notamment, les Pionniers du Vercors à l’issue de leur congrès annuel qui se tient chaque printemps à Pont-en-Royans, établissent clairement le lien de l’un à l’autre danger. En 1960, affichant clairement leur préférence, ils affirment leur : ‘ « volonté de se tenir en dehors de toute volonté partisane [ce qui] n’implique pas une neutralité qui ne serait que lâcheté et égoïsme [...]. Pour nous, aujourd’hui comme en 1945, la seule politique valable est celle qui aurait pour but les principes de la Résistance : liberté des peuples, des individus, justice sociale et paix générale. [Les Pionniers] s’élèvent enfin contre tous ceux qui n’ayant jamais fait de résistance cherchent aujourd’hui à l’exploiter pour leur profit avec une notoriété personnelle [...] ’ ‘ 1389 ’ ‘ . » ’ Deux ans après, alors que la rencontre d’Evian vient d’avoir lieu mais que l’OAS reste active, leur motion clame haut et fort leur volonté de vigilance et l’attention qu’il porte à ce que l’histoire ne bégaye pas 1390 .

‘« [...] Les Pionniers et Combattants Volontaires du Vercors, réunis en congrès à Pont-en-Royans, le 6 mai, assurent une fois de plus leur président Eugène Chavant de leur confiance et de toute leur sympathie.
S’engagent à commémorer l’armistice de 1945, le 8 mai de chaque année et à refuser d’assister aux manifestations officielles qui seraient reportées à une autre date.
Condamnent les crimes commis tant en Algérie qu’en France par une organisation secrète qui se prétend résistance.
Déclarent qu’il ne saurait y avoir aucune analogie entre ce mouvement séditieux et la résistance française de 1940 à 1945.
Se refusent à faire de la politique partisane, mais proclament leur fidélité à l’idéal de la Résistance qui peut se résumer en trois mots : paix, liberté, justice sociale.
Affirment qu’ils ont combattu et que des centaines de leurs camarades sont morts pour restaurer la République Démocratique étranglée par le pseudo gouvernement de Vichy et qu’ils sont prêts à reprendre la lutte s’il le faut contre ceux qui voudraient imposer à la France un régime dictatorial [...] 1391  ».’

Également très vigilante, la puissante antenne grenobloise de l’Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance. Elle n’entend effectivement pas qu’on instrumentalise la mémoire de la Résistance à des fins politiques qui puissent servir des projets exactement contraires à l’esprit de la Résistance. C’est ainsi par exemple qu’elle proteste de belle manière contre l’usage pour le moins abusif que fait Georges Bidault , en 1962, d’un sigle aux initiales évidemment glorieuses, pour justifier sa position radicalement favorable à l’ « Algérie Française ».

‘« La Résistance qui fut le combat de la patrie contre le nazisme doit, malgré son mépris pour les néo-nazis, dénoncer avec la plus grande rigueur l’imposture et la profanation dont Georges BIDAULT qui fut, hélas, le successeur de Jean Moulin à la tête du Conseil National de la Résistance, se rend doublement coupable en usurpant aujourd’hui ces initiales C.N.R. pour couvrir les crimes commis par les néo-nazis, auprès desquels il se range. L’armée française n’est pas l’armée allemande d’occupation, les assassins et les fêlons de l’O.A.S. ne sont pas les restaurateurs des libertés perdues L’idéal de justice, de liberté et de paix est inséparable de la France. Il est celui des accords d’Evian. Il demeure celui de la Résistance, et le Nazisme est toujours son ennemi 1392 . » ’

La section iséroise de la FNDIRP n’est pas en reste qui, en avril 1961, après avoir participé aux cérémonies officielles qui commémorent la « journée de la Déportation », organise à Grenoble une manifestation « contre le fascisme » avec dépôt de gerbe au Monument des déportés 1393 . La manifestation est calme et digne, ce qui ajoute à la force du message qu’entendent rendre public les anciens déportés de la FNDIRP ce jour là : ‘ « [Nous déclarons] solennellement, en raison des circonstances caractérisées par le putsch d’Alger ’ ‘ , que la F.N.D.I.R.P. place les cérémonies en premier lieu et conjointement au culte du souvenir et de ses revendications comme une manifestation contre le fascisme dont les déportés, internés et familles furent les victimes [...] ’ ‘ 1394 ’ ‘ . »

Cette trilogie de chassés-croisés parfois ambivalents entre passé et présent qui, à propos de la question centrale de la conservation ou de l’abandon de l’Empire, nourrit la vie politique française pendant près de vingt ans, confirme plus qu’elle ne modifie les positions des uns et des autres par rapport à l’héritage de la Résistance. Les clivages restent les mêmes si les questions de fond ont changé et ne recoupent plus que partiellement les enjeux de la période précédente. Même si la majorité des acteurs aux prises avec les complications indochinoises ou les problèmes de la « boîte à chagrin » ont assuré leur notoriété au moment de la Résistance, le dossier de la décolonisation est un autre dossier. Ce qu’il met en jeu ne peut pas s’ajuster parfaitement à ce qui l’est à propos de la Deuxième Guerre mondiale Des réminiscences et même des reviviscences se devinent, mais elles sont somme toute assez rares, tout simplement parce que les deux séquences ne sont historiquement pas identiques 1395

Notes
1389.

ADI, 4332 W 116, pochette 4, « Amicale Pionniers du Vercors. Archives 1959 à 1962 ».

1390.

ADI, ibidem.

1391.

Avant cela et comme on l’a dit dans notre introduction générale, on note dans le compte rendu du congrès, que l’on refuse, comme l’an passé, l’idée d’un jumelage d’une ville de la région du Vercors avec une ville allemande (l’an dernier, c’était Bourg-de-Péage, cette année c’est Valence qui s’est porté volontaire) et que « [...] pour l’année 1962, les Pionniers du Vercors ont décidé de décerner un prix à un élève qui aura, sur le plan national, le mieux rédigé une composition sur la Résistance du Vercors et exalté l’idéal des compagnons qui l’animèrent [...] ».

1392.

Émanant du Comité de Fontaine-Sassenage, ce communiqué traduit bien la position de l’ensemble de l’ANACR iséroise. ADI, 4332 W 180, pochette 2, « Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance. 1959-1966 ».

1393.

Rapport RG n° 622 du 28 avril 1961 ; ADI, 4332 W 307, « Journée de la Déportation. 1961-1971 ».

1394.

ADI, ibidem.

1395.

Malgré ce que certains nostalgiques, évidemment très proches de l’armée, s’échinent à vouloir démontrer périodiquement après 1964. Voir ADI, 4332 W 50, pochette 1, « Fédération Nationale des Anciens d’Algérie (F.N.A.C.A) 1964-1966 ».