1 – Ensemble par et pour la mémoire.

Nous disposons d’un formidable exemple de la force d’adhésion que conserve, par delà tous les antagonismes politiques, la mémoire de la lutte et des souffrances communes qui en sont résulté. On a déjà dit que la commémoration en règle générale, mais également tout ce qui affère à l’expression de la mémoire de la Résistance (on se souvient que tous étaient unis pour réclamer des autorités l’érection d’un monument grenoblois aux Morts de la Résistance ; cf. supra , « la Pierre et les murs ») permet de resserrer les rangs. Mais on a souligné également que parfois, le fossé est tellement large entre certains qu’il paraît improbable qu’on puisse un jour rapprocher ceux qui campent de chaque côté. Ainsi donc de la haine farouche que se vouent, à partir de 1949, les déportés de la FNDIRP et ceux de l’UNADIF : ceux-là paraissent définitivement irréconciliables.

Il leur faudra en fait quinze ans. Cette décennie et demie, c’est en effet exactement le temps que mettront à se retrouver les déportés grenoblois. Surpris, à la veille de la « Journée nationale de la Déportation » d’avril 1964, le préfet Doublet reçoit une note d’information qui lui communique que ‘ « pour la première fois depuis leur constitution l’UNADIF et la FNDIRP de l’Isère ne manifestent aucune hostilité l’une envers l’autre, et les bons rapports qu’elles entretiennent depuis leur congrès respectif, se sont exprimés publiquement par l’élaboration et la signature d’un appel commun à participer aux cérémonies officielles du 26 avril 1964 à Grenoble ’ ‘ 1418 ’ ‘  » ’. Le texte de cet appel, qui parle du « dernier carrés des rescapés », dans sa simplicité même, est d’ailleurs assez beau 1419 .

« Le dernier Carré des rescapés »… ’ Le temps passe effectivement. Cette expression n’est-elle d’ailleurs pas la preuve que c’est, pour partie, la prise de conscience de l’irréversibilité de cette fuite temporelle qui pousse les anciens déportés à tenter un rapprochement, malgré leur culture de la détestation ? Tout bien pesé, ces hommes – qui prennent de l’âge –, ne se disent-ils pas qu’en ce vingtième anniversaire de la Libération du territoire, il est grand temps d’enterrer des rancœurs décidément vieillies. N’est-il pas urgent d’assurer à la mémoire de la Déportation un semblant de sérénité, de la désengager d’enjeux politiques qui la tirent vers le bas et déprécient le message d’universelle vigilance que tous ceux qui ont connu la Déportation veulent faire passer ?

Bien entendu, se pose la question de la sincérité de ces « retrouvailles » : doivent-elles effectivement leur existence à un sursaut de mémoire ou plus trivialement ne font-elles qu’épouser parfaitement le rythme, décroissant, des oppositions politiques ? Nous faisons pour notre part le pari de la sincérité.

Evidemment, on ne peut faire l’économie de cette autre interrogation : comment l’opinion publique perçut-elle cette (ré)union ? Elle y fut à vrai dire indifférente parce que depuis longtemps déjà, elle avait déserté les esplanades et les places publiques le jour des cérémonies commémoratives (cf. supra , notre chapitre sur la commémoration). Mais cela ne signifie pas grand-chose, si ce n’est que la mémoire et ses expressions « publiques » concernent surtout, vingt ans après, ceux qui ont vécu l’histoire.

Notes
1418.

Rapport des RG n° 407 du 24 avril 1964 ; A.D.I., 4332 W 307, « Journée de la Déportation. 1961-1971 ».

1419.

Cf. annexe n° IX.