3 – Et Paris  ?

Enfin, constatons que la dernière opposition 1472 se noue après que nous avons de nouveau élargi la perspective géographique, autour des rapports qu’entretient le couple « Paris /province ». Ou est-ce plutôt le couple « État/Dauphiné » ?

Il est évident que Paris a immédiatement cherché à imposer sa vision du Vercors... au Vercors. Les préfets se font les relais locaux de cette volonté centralisatrice, pour ce qui ressort des « affaires courantes ». Mais lors des grands rendez-vous mémoriels (cérémonies d’août 1945 et de juillet 1946 et 1947 notamment), des personnalités en charge de la puissance publique « descendent » dire la parole officielle. C’est Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères, accompagné d’Yves Farge, Commissaire de la République pour Rhône-Alpes, qui se déplacent en 1945. C’est au tour de Marius Moutet, ministre de la France d’outre-mer 1473 et très attaché à la Drôme, toujours accompagné de son nouveau collègue Yves Farge (présent cette fois-ci en Vercors en sa qualité de ministre du Ravitaillement), de faire le voyage en juillet 1946 ; se joint à eux, pour le volet militaire, de Lattre de Tassigny. Encore en 1947, l’année de l’éclatement de la « polémique » 1474 , François Mitterrand, le ministre des Anciens combattants, est présent, comme on l’a dit, pour inaugurer le cimetière de Saint-Nizier-du-Moucherotte, toujours en compagnie d’Yves Farge, le plus fidèle.

Paris a donc rapidement pris conscience de l’importance objective du Vercors, dont tout le monde pressent, dès après le déroulement des événements, le destin symbolique et exceptionnel auquel il est promis. Marquant chaque année sa présence, la capitale entend exprimer à la « province » que le Vercors appartient à la mémoire nationale. Laquelle province on n’a d’ailleurs nullement besoin de forcer pour qu’elle accepte cette présence annuelle. Tout au contraire, elle considère comme une juste reconnaissance de son combat et de sa souffrance la venue des « Parisiens 1475  ». Mieux, elle la sollicite, sachant qu’ainsi, les cérémonies connaîtront un plus franc succès.

Il n’y a donc à ce niveau plus de véritable concurrence, mais plutôt une insertion pleinement acceptée et même clairement revendiquée de la mémoire locale au sein de la mémoire nationale. Le conflit se situera parfois ailleurs, c’est-à-dire à l’inverse, quand l’État, en manquant ce rendez-vous des cérémonies annuelles du Vercors (à partir de 1948), semble manquer en même temps à ses devoirs et à la mémoire du Vercors.

Notes
1472.

En effet, penser à un dernier couple « France/Monde » est intellectuellement stimulant, mais il est impossible d’en étudier ici les rapports.

1473.

Qui remplace depuis janvier 1946 le vieux ministère des Colonies qu’avaient encore conservé les cabinets de Gaulle.

1474.

Elle ne vient sur le devant de la scène qu’en octobre.

1475.

Pour reprendre encore une fois le terme du programme des cérémonies officielles de 1945 ; ADI, 2696 W 75.