II – Un enjeu de mémoire aux dimensions du monde : le Vercors dans la guerre froide (1947-1964).

A considérer le Vercors dans sa dimension d’objet de mémoire, l’étonnant est de constater qu’il ne parvient pas à acquérir de véritable indépendance mémorielle ni à vivre sa postérité légendaire selon ses propres rythmes. Ainsi, alors que le fameux télégramme de Chavant 1502 pouvait faire croire que, dès la Libération, la controverse verrait le jour, les deux grandes forces politiques du moment firent le choix de ne pas polémiquer autour de la thèse qu’il développait. Le général de Gaulle, pour les raisons que nous avons évoquées plus haut, s’abstint de tout commentaire, et le Parti communiste préféra ne pas embrayer immédiatement sur la prise de position du commissaire à l’air du GPRF, le communiste Fernand Grenier. L’accord tacite était au consensus dans l’héroïsation globale du plateau, par dessus le plateau lui-même et les acteurs locaux de mémoire.

Trois ans après, c’est encore une fois pour des motifs qui le dépassent que le Vercors se trouve brusquement en position d’être instrumentalisé, devenant à la fois objet et enjeu d’une mémoire de la Seconde Guerre mondiale devenue de part et d’autre, dans le contexte de la guerre froide, subitement agressive. A partir de l’année 1947, l’image consensuelle du Vercors vole en éclat, redéfinissant complètement la donne mémorielle.

Notes
1502.

D’après Chavant lui-même, c’est la version rendue publique par Fernand Grenier qui est la plus proche du document original (lire Fernand Rude, « Le dialogue Vercors-Alger. (Juin-Juillet 1944) », in Revue d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, n° 49, janvier 1963, p. 79-110 ; cette précision en référence infrapaginale n° 2, p. 100-101). La voici : « La Chapelle, Vassieux , Saint-Martin , bombardés par l’aviation allemande. Troupes ennemies parachutées sur Vassieux. Demandons bombardement immédiat. Avions promis de tenir trois semaines ; temps écoulé depuis la mise en place de notre organisation : six semaines. Demandons ravitaillement en hommes, vivre et matériel. Moral de la population excellent, mais se retournera rapidement contre vous si vous ne prenez pas dispositions immédiates, et nous serons d’accord avec eux [sic] pour dire que ceux qui sont à Londres et à Alger n’ont rien compris à la situation dans laquelle nous nous trouvons et sont considérés comme des criminels et des lâches. Nous disons bien : criminels et lâches. »