A – La première séquence est celle des années 1947-1948.

La controverse pointe le bout de son nez dès l’été 1947, c’est-à-dire quelques mois avant la série d’articles accusateurs publiés par Grenier. Et alors que ce dernier ferraillera avec Rémy à distance, par articles de presse interposés, dont les vecteurs sont des journaux d’audience nationale, en juillet 1947, c’est sur le terrain même du Vercors, et qui plus est au cours des cérémonies commémoratives censées l’honorer, qu’apparaissent les premières lézardes dans l’édifice mémoriel consensuel patiemment édifié au cours des trois années précédentes. N’hésitant pas, sous prétexte de défendre la Résistance et ses membres, alors en but à la justice, à briser un tabou devant François Mitterrand, le jeune ministre des Anciens Combattants, Les Allobroges nous apprennent ainsi que ‘ « M. Clergé ’ ‘ , président des Pionniers du Vercors, prit le premier la parole à Vassieux ’ ‘ . Il dit en débutant sa déception présente et celle de ses camarades de la Résistance. ’ ‘ ’ ‘ La Résistance est oubliée, affirme-t-il à haute voix, les traîtres ne sont pas châtiés. Nous pensons que la trahison d’hier laissée en place, mise sur la trahison d’aujourd’hui afin de préparer celle de demain ’ ‘ ’ ‘ 1503 ’ ‘  » ’. L’intervention qui suit donne d’ailleurs du poids à ses remarques, car elle est celle d’un haut responsable, qui n’est plus ministre et se rapproche à l’époque du Parti communiste : ‘ « Après lui, M. Yves Farge ’ ‘ reprend à peu près la même idée, et conclut : ’ ‘ ’ ‘ Si la République était encore une fois menacée, il appartiendrait à tous les résistants de se dresser une fois encore pour la défendre ’ ‘ ’ ‘ 1504 ’ ‘ . » ’ Bien sûr, les mots de Clergé doivent d’abord se comprendre dans le cadre de la ‘ « motion votée à l’unanimité du Congrès des Pionniers et combattants volontaires du Vercors », le 26 janvier 1947 (« [...] les délégués des 2 500 Pionniers [...] s’indignent des poursuites dont sont l’objet certains de leurs camardes, authentiques résistants, pour des faits se rapportant à la lutte clandestine ’ ‘ 1505 ’ ‘  » ’). Mais ils sont tranchants et surtout à double sens. Remarquons au passage qu’outre celles du ministre des Anciens combattants, ce virulent discours de Clergé dut choquer les oreilles de Chavant qui à Saint-Nizier avait lui rappelé ‘ « dans une sobre allocution ce qu’était le Vercors et ce que représente la Résistance. Les résistants, dit-il, doivent rester unis afin de parfaire l’œuvre dont ils avaient jeté les bases au temps de la libération, c’est-à-dire l’établissement d’une France résolument républicaine et démocratique ’ ‘ 1506 ’ ‘  » ’. A notre avis il n’est cependant pas innocent que ces paroles viennent d’un responsable drômois des Pionniers, sûrement agacé que le cimetière de Vassieux ne soit pas encore achevé... Triple manquement à la règle du consensus qui avait prévalu jusque là, de la part de Clergé : contre l’État, qui défend mal les anciens résistants ; dans une moindre mesure contre le Président des Pionniers, puisque son discours entre en contradiction avec le sien ; contre de Gaulle enfin, à mots à peine couverts. Cette prise de parole publique, pour n’être pas encore une mise en cause directe et nominative du général, semble cependant bien, à travers son insistance notamment sur le terme de « trahison », préfigurer la ‘ « bataille littéraire ’ ‘ 1507 ’ ‘  » ’ de l’automne.

Notes
1503.

Les Allobroges, le 28 juillet 1947, troisième page. M. Clergé (Clerget dans un article du même journal, la veille) est le Président de la section des Pionniers de La Chapelle-en-Vercors.

1504.

Les Allobroges, ibidem.

1505.

ADI, 2696 W 18, « Associations de résistance », pochette 3, « Amicale des Pionniers combattants du Vercors ».

1506.

Les Allobroges, 28 juillet 1947, troisième page.

1507.

L’expression est de Gilles Vergnon ; in art. cité, p. 88.