Le titre de l’article que consacre Fernand Grenier au Vercors dans les pages du numéro du 23 octobre 1947 des Lettres Françaises sonne comme un signal pour la presse communiste. En effet, celle-ci entame fin octobre, depuis donc Les Lettres Françaises jusqu’à Ce Soir en passant par L’Humanité et localement bien sûr, mais plus tard et surtout mezza voce, Les Allobroges, une vaste opération contre de Gaulle. Cette entreprise de propagande n’est cependant qu’une réponse des communistes à une provocation lancée par Rémy. Dans l’organe du RPF, Carrefour, le 1er octobre 1508 , ce dernier accuse nommément l’ancien Commissaire à l’Air du GPRF d’avoir personnellement échoué dans l’organisation de l’aide qu’Alger entendait apporter au plateau. Ce sont donc les gaullistes qui, contrairement à ce que l’on continue encore de croire parfois, sont à l’origine de « l’Affaire ». Et l’on peut, au passage, se demander si la controverse aurait éclaté, le ton n’ayant pas ainsi monté entre deux hommes que tout opposait 1509 ...
La thèse du Parti est simple et s’exprime dans tous les journaux de la galaxie communiste : le Vercors a été sciemment sacrifié par de Gaulle, par anticommunisme. Au hasard de cette revue de presse, citons L’Humanité du 2 octobre 1947 qui titre : ‘ « La tragédie du Vercors. Monsieur Fernand Grenier ’ ‘ , ancien Commissaire à l’Air, rend publics des documents qui mettent en lumière la responsabilité du général de Gaulle. » L’article continue alors : « Un dossier est désormais ouvert devant l’opinion française. Un dossier dont les pièces sont terribles pour certains hommes, certains clans, ceux précisément dont s’affiche en ce moment même la prétention à régenter notre pays. Ce dossier c’est celui du Vercors. On pourra parler du ’ ‘ ’ ‘ dossier du Vercors ’ ‘ ’ ‘ comme on parle du ’ ‘ ’ ‘ J’accuse ’ ‘ ’ ‘ de Zola ’ ‘ [...] » ’ et, citant plus loin les propos de Grenier : ‘ « [...] par anticommunisme, le général de Gaulle abandonne froidement toute aide aux F.F.I. de la zone sud et tout spécialement au Vercors ’ ‘ 1510 ’ ‘ . » ’
Un des points d’orgue de cette campagne est constitué par ce portrait à charge que donne de De GaulleL’Humanité du 24 octobre 1947, dans un article intitulé ‘ « A la mémoire des sacrifiés du Vercors ’ ‘ » : « Le sang chaud qui a coulé dans les monts du Vercors, et ailleurs, accuse celui qui, par un anticommunisme encore inavoué et déjà évident, condamnait au nom de ’ ‘ ’ ‘ L’État c’est moi ’ ‘ ’ ‘ nos jeunes garçons à mourir dans un combat désespéré... Silencieux et hautain, machiavélique et méprisant, il caressait le rêve de domination qui s’est depuis lors brutalement exprimé dans notre vie publique ’ ‘ 1511 ’ ‘ . » ’
Évidemment, en contrepoint, tous les articles que publient les journaux communistes établissent non seulement l’innocence de Fernand Grenier, mais aussi sa hauteur de vue et sa vertu : ‘ « Juin 1944 : les Allemands commencent à investir le Vercors ’ ‘ . A Alger ’ ‘ , le Commissaire à l’Air, Fernand Grenier, a préparé une force aérienne destinée à apporter d’urgence une aide aux maquisards. Il a obtenu – il s’en croit assuré – l’accord du Comité de défense national et du général de Gaulle ’ ‘ lui-même ’ ‘ 1512 ’ ‘ . » ’
Et s’il n’a pu intervenir, c’est qu’il a été victime d’un véritable complot du silence.
‘« La forfaiture. Et l’on se bat au Vercors ! C’est le 24 juillet. Fernand Grenier reçoit pour la première fois une note qui indique la situation critique des combattants français. Elle se termine ainsi : La situation est donc grave ; tout dépend de l’appui, surtout aérien, qui est réclamé par les F.F.I.Son sens de l’honneur le pousse dès alors à mettre en cause le Président du GPRF, dans une lettre qu’il lui adresse dès le 27 juillet. Ce « crime de lèse-majesté » – comme le précise un des intertitres de l’article – lui vaut de s’attirer une mise en demeure de la part du général de Gaulle au cours du conseil des ministres du 28 juillet, ‘ « soit de démissionner, soit de désavouer sa juste lettre » ’ . La fin de l’article boucle cette longue évocation de l’attitude historique de Grenier : ‘ « Deux hypothèses : ou bien Fernand Grenier maintient les termes de sa lettre – et alors c’est la division de la Résistance, division qu’admet en pleine bataille le général de Gaulle ; c’est l’affaiblissement de la France devant ses alliés ; ce sont les F.F.I. désorientés – ou bien le commissaire à l’Air, conservant pour lui sa conscience, fait une fois encore passer l’intérêt national avant son amour-propre » ’ . Fernand Grenier prend alors sur lui, sauvant ainsi l’unité de la Résistance française. On sait que de Gaulle tranchera plus tard : Grenier sera remercié le 8 septembre...
Fait remarquable, Les Allobroges n’interviennent qu’une seule fois dans la polémique et assez tardivement. Dans son numéro du 13 novembre seulement, après avoir titré : ‘ « De Gaulle ’ ‘ dévoile les buts du RPF. 1 – Mettre la France à la remorque des U.S.A. 2 – Faire éclater le C.G.T. 3 – Relever l’Allemagne ’ ‘ » ’, il consacre un long article à ‘ « l’Affaire » ’ ‘ 1514 ’ ‘ . ’ Le ton en est d’ailleurs particulier. A la fois nostalgique et relativement peu accusateur, il affecte une manière de tristesse, mais pose quand même des questions précises. Peu virulent cependant, par rapport à ceux que nous venons de citer, il laisse à penser qu’à l’échelle locale, la polémique est paradoxalement moins forte ( ‘ « [...] Ah ! général de Gaulle, j’espère pour vous qu’un entourage de profiteurs provisoires vous aura bouché les oreilles. Ce serait trop laid que vous n’ayez pas entendu, vous qui êtes grand, et qui le dites, l’appel des hauts lieux [...] »). ’
Le bloc de référence historique ainsi forgé par la presse communiste est très cohérent. Sa signification est simple ; le Parti est celui de la vraie Résistance, déjà à l’époque et toujours de nos jours. Disqualifiant le général de Gaulle en 1944, on discrédite le candidat de Gaulle, chef du RPF, en 1947. Le Parti communiste, dans son empressement, frôle même la tentation du monopole, rétablissant de justesse (mais avec quelle maestria, trouvant même dans l’erratum que publie Ce Soir le 25 octobre l’occasion d’aggraver les charges contre de Gaulle...) la vérité : ‘ « N.D.L.R. – Une erreur s’est glissé dans notre précédente édition, parlant du Vercors ’ ‘ comme d’un maquis F.T.P. Le Vercors était essentiellement occupé par l’A.S., ce qui rend non pas plus grave, mais encore plus frappant le sabotage de l’aide à ce maquis par les milieux gaullistes d’Alger ’ ‘ . » ’
Le message est cependant clair pour tous : au nom de la mémoire du Vercors, il faut voter PCF contre le RPF.
Les deux hommes avaient déjà échangé quelques amabilités (Rémy mettant publiquement en cause le CNR et les CDL, Grenier lui avait répliqué, dans un article des Lettres Françaises daté du 3 septembre 1947 et intitulé : « Les silences et les ombres de Rémy »).
Gilles Vergnon écrit ainsi justement que « le point de départ de la polémique semble fortuit », ibidem.
Souligné par nous.
Article sous la signature de Pierre Hervé, « A la mémoire des fusillés du Vercors », in L’Humanité, 24 octobre 1947. Souligné par nous.
Ce Soir, samedi 25 octobre 1947.
Ibidem, comme toutes les citations qui suivent. Souligné par nous.
Lire cet article en annexe n° IV.