1 – Trois dates et trois lieux.

Si l’on suit le déroulement chronologique annuel, il est évident que la période faste pour les cérémonies commémoratives du Vercors se situent à l’été. Elle s’articule autour de trois dates et de trois lieux qui font chacun office de référent mémoriel historique distinct, les trois s’emboîtant pour aboutir à une construction logique de l’image mémorielle du Vercors, située entre combat et martyr.

C’est la cérémonie de Saint-Nizier-du-Moucherotte qui ouvre, en juin, le temps des cérémonies. Il s’agit là d’honorer le Vercors dans sa dimension combattante en rendant hommage aux maquisards tués au combat lors des affrontements de juin 1944, comme le rappelle Yves Farge lors de la cérémonie du 17 juin 1945 ‘ : « [...] sa mission a été accomplie puisque deux des meilleurs divisions allemandes ont été immobilisées il y a un an, par les F.F.I. du Vercors ’ ‘ 1538 ’ ‘ . » ’A partir de 1947, la cérémonie se tiendra au cœur de la Nécropole de Saint-Nizier, qui fait figure de lieu du souvenir central notamment pour le Vercors combattant isérois 1539 .

Dans un deuxième temps, normalement 1540 au cours de la troisième semaine de juillet (le plus proche possible de la date du 21 juillet qui vit, en 1944, les troupes allemandes investir le plateau), les cérémonies se font itinérantes, le centralisme mémoriel voulu par les autorités concédant quelques minutes aux principaux villages-martyrs et lieux de combat. Ainsi en 1947, venant de Grenoble (après une première étape au Monument des Fusillés du Cours Berriat et l’inauguration du Cimetière national de Saint-Nizier, le cortège isérois s’arrête-t-il sur la route qui le conduit à Vassieux, successivement à La Chapelle-en-Vercors‘ « où une minute de silence fut observée à la Cour des Fusillés », puis « au Cimetière de la Mure ’ ‘  » et enfin, donc, « à celui de Vassieux ’ ‘ 1541 ’ ‘  ».

La presse aime d’ailleurs souvent à parler de ‘ « pèlerinage ’ ‘ 1542 ’ ‘  » ’ pour évoquer ces longs cortèges, ce qui lui permet d’insister à la fois sur la dimension votive des cérémonies et sur la spécificité locale de chaque étape de ce calvaire.

Enfin, la place qu’occupe d’emblée Vassieux est particulière puisqu’on l’a dit, le nom du village devient dès 1944-1945 synonyme de martyr et fait office de deuxième « Oradour ». C’est par là que commence et s’achève le dernier volet – éminemment drômois – des cérémonies, le 21 juillet 1945. C’est là que se rejoignent souvent les cortèges venus de Die ou de Romans ou de Valence, et de Grenoble. C’est devant son église que les personnalités civiles déclament leur discours, en général après que les militaires et les Pionniers se sont exprimés dans la Nécropole. Vassieux, contrairement à Saint-Nizier, n’est pas qu’un lieu du souvenir, un endroit prévu pour se recueillir mais bien un lieu de mémoire à part entière. Le nom de Vassieux est en soi évocateur de la double tragédie du Vercors considéré en son entier : le combat et le martyre. C’est notamment ce que met en avant l’article que publie Le Monde le 7 août 1945 :

‘« Monsieur Georges Bidault, représentant le général de Gaulle, a parcouru hier le massif du Vercors, où se déroulèrent, pendant les deux mois qui précédèrent la Libération, d’âpres et douloureux combats.
Le ministre des affaires étrangères s’est rendu successivement aux Barraques en Vercors, à La Chapelle en Vercors, où il inaugura, au milieu des ruines du village dévasté, une plaque commémorative, puis sur le terrain d’aviation de Vassieux en Vercors, où les SS atterrissant en planeurs se livrèrent aux joies sadiques de la double pendaison. Devant le front des troupes et une énorme assistance, le colonel Huet retraça les héroïques combats de juin et de juillet, et Monsieur Bidault, après avoir remis à la commune de Vassieux la croix de la Libération, exalta les héros qui tinrent en arrêt plusieurs divisions allemandes.
La cérémonie de Vassieux s’est terminée par une revue où avec le quatrième Spahis, ont défilé les deux belles unités constituées avec les maquisards du Vercors, le sixième bataillon de chasseurs, et le onzième cuirassé. A la grotte de la Luire, où les nazis fusillèrent des blessés FFI sur leurs civières et abattirent des médecins qui les soignaient dans cette retraite transformée en hôpital, le professeur Debré, au nom du service médical de la Résistance a rendu un hommage aux martyrs. Enfin, par Valchevrière, le ministre des affaires étrangères descendit sur Sassenage où tombèrent cinq officiers, à la mémoire desquels il inaugura une plaque.
Parmi ces officiers, se trouvait l’écrivain Jean Prévost, grand animateur du maquis dauphinois, connu dans le Vercors sous le nom du lieutenant Goderville 1543 . »’

Il n’est d’ailleurs pas douteux que dès l’époque (attribution de la croix de la Libération dès 1944 et remise en 1945 par Bidault) jusqu’à nos jours (c’est au col de la Chau qui surplombe le village qu’a été inauguré en 1994 le Mémorial National de la Résistance en Vercors) Vassieux exerce ainsi sans faillir une véritable fonction de syncrétisme à l’échelle de l’ensemble du Massif.

Notes
1538.

Les Allobroges, 18 juin 1945, 2ème page ; trois mémoires se chevauchent ce jour-là, comme le montrent bien les titres des articles du journal : « 18 juin 1940-18 juin 1945. Grenoble a fêté l’anniversaire du premier appel à la Résistance » ; « La commémoration des combats de juin 1940 à Voreppe  » ; « L’anniversaire de l’attaque à Saint-Nizier ».

1539.

D’ailleurs, l’intitulé du programme des cérémonies de Saint-Nizier établi par la Préfecture de l’Isère est la plupart du temps libellé ainsi : « Programme des cérémonies commémoratives du X ème Anniversaire des Batailles du Vercors  » ; ADI, 2696 W 61. Souligné par nous.

1540.

Pour diverses raisons (la principale étant la non disponibilité à cette date des personnalités nationales annoncées dans le programme ; cf. en 1945, par exemple), les cérémonies sont parfois reportées au début août.

1541.

Les Allobroges, 26 juillet 1947.

1542.

Ibidem. Intertitre : « Pèlerinage aux cimetières. »

1543.

Le Monde, « La résistance du Vercors », 7 août 1945.