2 – 1945-1947 : des témoins pour écrire l’histoire ?

Les auteurs qui prennent à leur compte l’écriture de l’histoire du Vercors ne sont pas encore des historiens de métier. En revanche, tous ceux qui prennent la plume à cette époque ont participé aux combats du Vercors, à la description desquels ils s’attellent. Témoins et acteurs plus ou moins engagés, leur but annoncé est cependant toujours d’écrire l’histoire la plus objective possible 1558 . Parmi les six ouvrages qui paraissent en deux ans, le plus abouti reste celui de Pierre Tanant qui fait évidemment la part plus que belle au Vercors militaire 1559 . A les considérer dans leur ensemble, on trouve trois principaux points communs à ces ouvrages.

Tout d’abord, le Vercors illustre parfaitement l’efficacité militaire des maquis mis en place par la Résistance, c’est un fait encore incontestable. Si l’on parle de sacrifice, c’est pour souligner alors combien il fut utile, doublement utile même comme le dit avec force Tanant : ‘ « Mais [...] il est quelque chose de plus important que de savoir si le Vercors est justiciable sur le plan stratégique, c’est de savoir s’il l’est sur le plan moral. Et là, j’affirme que cela ne fait pas le moindre doute ’ ‘ 1560 ’ ‘ . » ’ Ensuite, l’épopée du Vercors fournit en ces temps de reconstruction et de retour à la vie politique le modèle d’une vie placée sous le signe de l’unité nationale , d’où toute dissension serait définitivement bannie. Là encore, c’est Pierre Tanant qui a les mots les plus forts pour tirer les leçons actuelles de cette expérience : ‘ « L’idéal pour lequel ils ont donné leur vie doit rester le nôtre [...]. Ils ont aimé passionnément la France. Le message qu’ils nous ont laissé est une leçon d’union et d’amour. C’est à nous, qu’attendent des tâches constructives, de nous en souvenir ’ ‘ 1561 ’ ‘ . »

Enfin, ces livres font tous une description au plus près de la vie matérielle des combattants dans la « République Libre du Vercors ». Multipliant les évocations des bivouacs, de ces tranches de vie quotidienne, ils participent tous d’un certain style, qui codifie pour longtemps les représentations de la vie au maquis, faite de virile fraternité et de rustique précarité, de simplicité et même d’une certaine forme mystique de communautarisme 1562 . Comme l’écrit le commandant Lemoine : ‘ « Grâce au bon vouloir, à l’enthousiasme patriotique de chacun, à l’énergie des chefs, tout fonctionnait à souhait dans cette république minuscule [...]. Quel sentiment de joie vous saisissait alors, lorsque, revenant de la plaine, on revoyait, dans les barrages d’entrée, ces troupes pour la plupart revêtues du traditionnel uniforme français ! ’ ‘ 1563 ’ ‘  »

Notes
1558.

« Dans ces souvenirs que je me suis efforcé de faire apparaître aussi vivants que possible, j’ai voulu avant tout demeurer dans la vérité. C’est pourquoi je ne raconte que ce que je sais. D’autres, sans doute, se chargeront un jour de les compléter, car je ne sais pas tout », écrit par exemple Pierre Tanant à la page 12 de son ouvrage (édition de 1983, Lavauzelle).

1559.

Pierre Tanant, Vercors . Haut-lieu de France, Grenoble, Arthaud, collection « Témoignages », 1947 pour la première édition. Pierre Tanant, fils d’officier et Saint-Cyrien, capitaine au 13è et 53è Bataillon de Chasseurs Alpins, participe en 1940 à la campagne de Norvège. Affecté au 6è BCA à Grenoble, il entre dans la Résistance en 1943, participe à la Bataille du Vercors et commande le 6è BCA de 1948 à 1950 en Autriche, avant d’occuper différents postes en Algérie. Il se retire à Grenoble, où il sera longtemps Délégué Général du Souvenir Français.

C’est cependant le livre du lieutenant Rey, Pierre Belledonne . Féret, héros obscur (Bibliothèque d’Étude de Grenoble, V 16619), paru en 1947, qui illustre le mieux la mise en place d’une mémoire du Vercors propre aux militaires, même si le destin du héros qui donne son nom au livre ne permet pas à l’auteur d’écrire longuement sur le massif : « Il ne fut pas donné à l’adjudant devenu le sous-lieutenant Féret, de participer à la lutte dans le Vercors, qu’il avait si bien préparée, et souhaitée de tout son cœur de soldat. La prison, l’atroce vie des camps épuisent graduellement ses forces à Natzweiller , Dachau , Mauthausen , Melk , où il meurt le 13 mars 1945, après avoir parcouru tous les cercles de l’enfer terrestre » ; p. 16-17.

1560.

Vercors . Haut-lieu de France, p. 238 de l’édition de 1983. Souligné par nous.

1561.

Ibidem, p. 12.

1562.

Sur ce plan de la chronique, le livre du lieutenant Stephen est très riche : Vercors premier maquis de France, Buenos-Aires, Viau, 1946, réédition par les Pionniers du Vercors en 1985 et 1991.

1563.

Commandant Lemoine, La vie secrète du Maquis. Vercors , citadelle de la Résistance, Paris, Fernand Nathan, 1945, p. 8-9.