1 – Ellipses.

Non pas qu’on ne mentionne jamais le nom des Juifs morts à Grenoble. Les noms des combattants tués à l’ennemi et qui appartenaient notamment aux FTP-MOI sont lisibles à l’angle de quelques rues grenobloises. Cependant, il est bien certain qu’il ne s’agit pas là d’une claire reconnaissance de leur judéité, qu’eux-mêmes d’ailleurs ne revendiquaient pas comme la raison première de leur engagement combattant 1692 . Pour Grenoble stricto sensu, deux plaques commémoratives sont ainsi apposées très tôt après la fin de la guerre qui gravent dans le marbre le souvenir d’« Albert » Brozeck 1693 , puis de Julien Zerman et Ice Briewski 1694 . Les insignes symboliques qui « estampillent » leur pieux souvenir et le message de l’inscription qu’on peut lire sur la plaque valident cette idée qu’en France, des Juifs sont morts, mais pas en tant que tels, seulement par amour de la patrie française et de la liberté 1695 .

Il ne faut à notre avis voir là aucun scandale, ni aucune volonté forcenée d’oublier la mémoire juive combattante. Simplement encore une fois la confirmation que la mémoire patriotique de la Résistance est si forte qu’elle englobe tous les souvenirs individuels ou catégoriels, sans souci de distinction. Les exemples de cette surenchère patriotique abondent. Voici comment Le Travailleur alpin du 27 juillet 1945 considère le souvenir posthume que laissent deux combattants grenoblois : ‘ « Appel à la population. L’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide communique : Wolmark ’ ‘ Charles, adjudant-chef F.T.P.F., responsable régional de l’Union de la Jeunesse Juive, et Lombard ’ ‘ André, adjudant F.T.P.F., responsable régional des groupes de combat de l’U.J.R.E.. Pour honorer la mémoire de ces deux martyrs, qui ont donné leur vie pour la libération de la France, on se réunira sur les tombes, dimanche 29 juillet, à 10 h au cimetière du Sablon. Prendront la parole les divers représentants des pouvoirs publics et des organisations de la Résistance. Grenoblois, venez en masse ’ ‘ 1696 ’ ‘ . »

La Résistance ? Pour les Juifs, ce fut avant tout au sein d’une formation communiste pour la libération de la France 1697 . D’ailleurs, si l’on élargit légèrement la perspective géographique, et qu’on envisage l’inauguration d’‘ « une plaque à la mémoire de Léon Geist ’ ‘ , F.T.P.F. du groupe M.O.I. » ’, qui eut lieu à Saint-Martin-d’Hères en 1945, on constate qu’il n’y a aucun représentant communautaire et que l’évocation du combat de celui qui se faisait appeler « Marcel » dans la clandestinité est de nouveau l’occasion de rappeler son « patriotisme ».

‘« UN HEROS A L’HONNEUR. La Résistance, les sacrifices consentis par ses héros au salut de la nation ont été évoqués, samedi après-midi, au cours d’une cérémonie qui s’est déroulée aux établissements Brun, à la Croix-Rouge, à l’occasion de l’inauguration d’une plaque à la mémoire de Léon Geist, F.T.P.F., du groupe M.O.I.
D’origine polonaise, Geist, jeune étudiant à Montpellier, n’hésita pas le moment venu, à s’engager dans les Francs-Tireurs et à contribuer comme tant d’autres, à la libération de sa patrie d’adoption. Le 17 juillet 1943, il doit faire sauter un dépôt d’alcool aux usines Brun. C’est dans une des cours, en pleine mission, qu’il est abattu, au pied de l’échelle qui doit lui assurer la liberté. Tour à tour, MM. Collonge, secrétaire de la section syndicale des Établissements Brun ; Plat, au nom des F.T.P. ; Charreton, de la C.G.T. ; Buisson, au nom du parti communiste ; Tixier, maire de Saint-Martin-d’Hères et M. Abel, chef de cabinet, au nom de M. le Préfet, prirent la parole, rendant un hommage ému à « Marcel » dans la clandestinité. Sur l’estrade avaient également pris place : le colonel Neguier, représentant le colonel Pochard, commandant la subdivision de Grenoble ; MM. Dufour, député ; Genon et Arnoux, directeurs des établissements Brun, etc. 1698 . » ’

Notes
1692.

Voir les travaux de Claude Collin, déjà cités.

1693.

Au 2, rue Pierre Dupont.

1694.

Au numéro 12 de la rue de Bonne.

1695.

Ces trois combattants de la MOI n’étaient d’ailleurs pas français ; en outre, ils étaient des internationalistes convaincus : l’exemplarité de leur patriotisme s’en trouve ainsi décuplé.

1696.

Le Travailleur alpin, 27 juillet 1945, 2ème page. Déjà le 16 mai le journal communiste avait publié côte à côte la photographie et la biographie d’Antoine Polotti et du Commandant Lenoir, sous le titre « Peuple dauphinois, souviens-toi de ces martyrs » (1ère page). La belle figure du Commandant Lenoir fit l’objet d’une rapide controverse mémorielle au moment de la préparation de l’exposition « Etre Juif en Isère entre 1939 et 1945 », la famille continuant d’opposer aux espoirs de « récupération religieuse » de certaine organisation communautaire particulièrement active à Grenoble, que Lenoir – de son vrai nom Marco Lypzic – était mort en tant que Français et communiste et pas en tant que Juif. C’est là un exemple du renversement mémoriel au sein du rapport de force Résistance/Mémoire juive qui s’est produit depuis environ 10 ans (cf. infra). Quant à André Lombard, son vrai nom est Isaak Baumol, mais il ne lui fut jamais rendu, dans aucune cérémonie commémortaive...

1697.

Voir sur ce vaste sujet et pour une expérience qui concerne Grenoble, les souvenirs d’Annie Kriegel quise souvient avoir, comme le « Commandant Lenoir », résisté pour la Libération de la France puis la victoire de la Révolution, plutôt que parce qu’elle était juive ; Ce que j’ai cru comprendre, Paris, Robert Laffont, 1991, p. 158-243 pour les trois chapitres qui évoquent son action à Grenoble.

1698.

In Le Réveil, 1er avril 1946, 2ème page.