3 – Lacunes et manques.

Le constat est dans ce domaine encore plus simple. Des principales rafles antisémites qui eurent lieu à Grenoble et dans l’Isère, aucune stèle ni aucun monument ne perpétue le souvenir avant qu’en 1992 on n’appose une plaque sur les murs de l’école Bizanet, à l’endroit où furent regroupés les raflés en instance de Déportation 1702 . Sans souvenir visible des événements, sans lieux concrets du souvenir où puissent s’incarner matériellement la mémoire, pas de reconnaissance publique de cette mémoire.

Parfois, on peut même se demander si l’oubli est vraiment dicté par des considérations d’exacerbation du patriotisme propres à l’après-guerre ou s’il est purement accidentel. Ainsi, à La Tour-du-Pin, un monument rappelle le souvenir des personnes qui furent arrêtées le 10 mai 1944. Parmi celles-ci, au moins huit noms furent identifiés comme étant ceux de Juifs déportés pour cette seule raison 1703 . Leurs noms ne figurent pas sur le monument alors que sont inscrits ceux des « aryens ». Il s’agit donc là d’un choix délibéré d’oublier des victimes qui ne cadrent pas avec le schéma alors en vigueur de l’héroïsme résistant. Et en l’occurrence les biffer de la mémoire de la commune et du département, c’est bien les « tuer » une seconde fois.

Car c’est bien là le pire. Parfois, le sursaut d’intérêt et de vigilance manifesté à l’orée des années soixante-dix, grâce au travail des associations communautaires les plus actives 1704 , a permis de retrouver la trace de ces « deux fois morts » et de réparer le manque (et le manquement ?) dont ils furent les victimes. Dans la région, la récente (re)découverte de la rafle des enfants de « La Martellière » est l’exemple parfait de cette reconnaissance certes tardive, mais réelle, de la réalité de la Déportation juive 1705 . Mais dans beaucoup d’autres cas, le silence continue de l’emporter. Qui sait qu’à Pont-de-Beauvoisin, le 20 mai 1944, plusieurs arrestations de Juifs 1706 furent opérées, suivies d’une exécution ? Quel Isérois est au courant de l’arrestation de 47 Juifs à Uriage le 6 février 1944 ? Sûrement quelques-uns 1707 . Mais il n’y a aucune trace publique de ce souvenir. Aucune mémoire de l’événement. Et Saint-André-le-Gaz, le 8 juillet ? Et le Sappey, Allevard, Saint-Pierre-de-Chartreuse 1708  ? Rien non plus pour Seyssins, Meylan, La Tronche, Décines ou Vienne.

Et rien surtout pour Grenoble. Le monument de la Déportation qui se dresse place Paul Mistral ? Érigé au début des années cinquante (cf. supra, « La Pierre et les murs »), il est dédié aux ‘ « volontaires de l’Isère déportés et internés qui périrent assassinés dans les bagnes du fascisme » ’. Et si une urne contenant de la terre et de la poussière humaine provenant des ‘ « camps de concentration allemands ’ ‘ 1709 ’ ‘  » ’ est plus tard scellée dans le sol près du monument, ce dernier n’est certainement pas pensé pour honorer la mémoire des centaines de Juifs qui furent arrêtés à Grenoble puis déportés.

Un autre manque est frappant eu égard à l’importance du rôle qu’a joué et que continue à remplir cet organisme. En effet, rien ne rappelle à Grenoble qu’ici fut créé en 1943, dans la clandestinité et alors que la région était occupée par les Italiens, le Centre de Documentation Juive Contemporaine. Nulle part n’apparaît 1710 le nom d’Isaac Schneerson, ce qui peut sembler stupéfiant 1711 .

La seule exception à cette règle de l’omission factuelle ou de l’oubli volontaire est celle de Vizille. Et encore. Le monument en mémoire des 19 déportés vizillois qui s’élève sur laplace du Château mentionne certes le nom des trois Juifs qui furent arrêtés, et dont on suppose fortement qu’ils le furent au titre de leur « race ». Mais cela n’apparaît pas en regard de leur nom, ce qui revient à les inclure de fait au sein de la mémoire patriote résistante locale.

La conclusion que l’on peut tirer de cette rapide analyse de la mémoire juive à travers le vecteur lapidaire et monumental confirme donc notre hypothèse initiale. Morts à Grenoble les armes à la main, les combattants juifs ne sont pas pour le souvenir des Juifs combattants et sont rattachés à l’ensemble de la mémoire résistante. En revanche, les déportés « raciaux », eux, n’existent pas. Même si elle voulait y regarder de près, et si pour mesurer la réalité du phénomène dans sa région elle se fondait sur ses traces monumentales et lapidaires, l’opinion ne pourrait que conclure qu’à Grenoble comme dans tout l’Isère, il n’y eut pas un seul Juif déporté parce que Juif 1712 . Ils sont tout simplement absents. Y compris – même si dans une moindre proportion – des synagogues ou des carrés juifs des cimetières, lesquels sont des lieux du souvenir semi-publics 1713 . Au passage, il faut d’ailleurs mentionner l’extraordinaire discrétion des autorités religieuses juives grenobloises en matière de mémoire. Qui sait en effet à Grenoble que ‘ « de 1928 aux premiers jours de la guerre, M. de Ciavez et M. Pinhas, accomplissaient, l’un en Sepharadith, l’autre en Achkenasith, les fonctions de ministres du culte » ’ ? Et surtout qu’‘ « ils furent tous deux assassinés par les nazis » ’, comme le mentionne Le Mémorial du Jubilé publié en 1978 par l’Association Culturelle Israélite 1714  ? Aucune plaque ni stèle ne le proclame nulle part dans l’espace public grenoblois 1715 .

Même si cette situation du déni de mémoire publique et officielle que subirent jusqu’aux années 1970 les Juifs de France est loin d’être propre à Grenoble 1716 , gageons que cette absence plus ou moins choisie a contribué à aggraver une perception minimisée de la réalité de la Shoah, dans une région qui se souvient de la guerre uniquement à travers le prisme de la mémoire de la Résistance.

‘Tout patriotisme repose sur une inculcation, et celle-ci sur des simplifications édifiantes.
Maurice Agulhon, Histoire vagabonde 1717 .’

Il serait vain de chercher à tordre en tous sens la chronologie propre à la mémoire juive grenobloise, dans l’espoir par exemple qu’elle puisse différer de celle établie par Annette Wieviorka et acquérir ainsi un semblant d’originalité. La situation mémorielle des Juifs grenoblois telle qu’elle se structure après-guerre s’intègre parfaitement au découpage général établi si justement par l’historienne. Les cadres sociaux de la mémoire juive se mettent en place entre la Libération et la fin du procès de Nuremberg pour ne pas bouger jusque dans les années 70 et même 80. Passant successivement dans ce temps court par trois stades distincts mais qui chronologiquement se recoupent (l’espoir d’une reconnaissance précoce placée sous les auspices de la République renaissante ; le regroupement associatif pour pallier la peur du vide ; l’arasement mémoriel imposé par la mémoire de la Résistance à la mémoire de la Déportation raciale et de la Shoah), la communauté juive grenobloise ne parvient pas à faire entendre sa différence. Il est certain qu’elle-même ne cherche pas à trop se distinguer, optant largement pour un retour à la normale qui, marquant sa réintégration officielle au sein de la communauté nationale, sanctionne dans le même mouvement l’impossibilité pour cette mémoire-là d’être reconnue publiquement comme radicalement différente. C’est ce qui explique par exemple l’absence de mises en accusation de Vichy et la focalisation sur l’ennemi nazi. C’est aussi ce qui explique le repli associatif et peut-être (mais comment enquêter efficacement sur celui-ci...) le repli sur la sphère privée de la famille, voire du plus intime encore, c’est-à-dire de la seule mémoire individuelle. La situation d’atonie de la mémoire juive vue depuis Grenoble ne correspond pas à l’image que la littérature et l’historiographie ont pour habitude de ménager à la région. On reconnaît en effet souvent et partout et très tôt que Grenoble a joué un rôle important pendant la guerre, mais c’est comme si Grenoble l’ignorait. Le décalage entre les visions locale et extra-locale de la spécificité grenobloise est patent qui induit une forte distorsion dans la représentation de la mémoire juive, pour le moins paradoxale puisque c’est à l’« extérieur » que la mémoire juive grenobloise est la mieux traitée.

Apublique, elle même différenciée à l’intérieur de la communauté (un rescapé d’Auschwitz n’a pas les mêmes souvenirs qu’un combattant de la MOI, Simone Lagrange n’est pas Henri Hertz ), déniée par la Résistance et la République dans son volet le plus atroce, la mémoire juive grenobloise est pendant tout le temps d’une génération une mémoire interne, intériorisée et en attente 1718 .

Le préjudice de reconnaissance publique de la mémoire juive, pour assumé qu’il soit par ceux qu’il concerne en priorité, dure, même s’il connaît quelques anicroches. Ainsi on pourrait penser que l’éclatement en 1948 de « l’affaire des enfants Finaly  », qui va connaître un formidable retentissement national jusqu’à son dénouement finalement heureux en 1953, est le prototype du « bel » enjeu de mémoire, scandaleux à souhait qui plus est. L’« affaire » est à présent bien connue et il ne servirait à notre avis de rien d’en reprendre ici l’étude 1719 . D’autant plus qu’il nous semble que si elle est en effet révélatrice d’une profonde ligne de fracture, celle-ci n’illustre pas notre thématique.

Dans l’« affaire Finaly  », ce ne sont pas directement la mémoire de la Déportation raciale et sa reconnaissance publique qui sont en jeu 1720 . C’est plutôt l’affrontement entre, d’une part, « la Synagogue et l’Église 1721  » , et, d’autre part, deux conceptions du monde qui opposent irrémédiablement catholiques et laïques 1722 qui se donne à voir publiquement pendant cinq ans. La controverse et les polémiques qui en découlent se déroulent certes dans un contexte qui est celui des « années noires », mais il ne s’agit justement que d’un contexte, et certainement pas du cœur de l’« affaire ».

Et Jérusalem , où s’ouvre en avril 1961 le si important procès Eichmann 1723  ? C’est loin, vu de Grenoble. Sûrement trop loin pour intéresser les Grenoblois, préoccupés par les derniers soubresauts de la crise algérienne – et notamment l’ouverture des négociations d’Evian 1724 . Cependant, le quotidien local fait bien, et même très bien les choses. Dès avant le début du procès proprement dit, il consacre une série de quatre articles conséquents sous la plume de François de Montfort , aux circonstances de la capture du bourreau nazi 1725 mais aussi et surtout à l’histoire et au bilan de la « Solution Finale ». Nul doute : le grand public isérois est désormais bien informé, d’autant que François de Montfort, envoyé spécial du Dauphiné Libéré , se transporte à Jérusalem pour suivre quotidiennement le procès 1726 .

Mais, alors que depuis plusieurs semaines déjà Eichmann est interrogé par ses juges, le compte rendu que donne le Dauphiné Libéré de la « commémoration du souvenir des héros et martyres de la Déportation » est l’exacte réplique de ceux des années précédentes 1727 . On ne cite jamais la Déportation raciale, ni les « Juifs » ; on ne parle pas de génocide, ou d’holocauste, ou de Shoah, et les personnalités présentes continuent d’exalter dans leur discours la seule dimension patriotique de la Déportation. Ce silence prouve qu’en « province » en tout cas, il y a un net décalage entre l’actualité (le déroulement du procès), la prise de conscience qu’elle pourrait permettre (la Shoah dans son ampleur) et l’action de revendication mémorielle qu’elle aurait pu immédiatement déclencher (rien de la part de la communauté juive grenobloise). Et ce décalage perdure tout au long de la première moitié des années 1960. L’histoire est certes connue (encore une fois grâce à un procès au retentissement mondial), mais les pratiques de mémoire qui devraient logiquement en découler ne sont pas encore à l’œuvre. La mémoire juive est donc encore dans une période de latence.

De même, que penser de la visite que fait Xavier Vallat 1728 dans l’Isère à la fin de la période que nous étudions, en 1965 ? Comment l’interpréter ? Elle ne motiva qu’un très faible rassemblement, composé de quelques-uns de ces « nostalgiques » d’un Ordre ancien encore plus nauséabond quand il se regroupe autour de l’ancien Haut-Commissaire aux Questions Juives. Surtout, la soirée ne donna lieu à aucune contre manifestation. Personne ne s’opposa à la venue de ce chantre de l’antisémitisme français le plus jusqu’au-boutiste. L’occasion était pourtant belle d’enfin dénoncer les responsabilités spécifiquement françaises dans la Shoah, mais on ne la saisit pas. Cela prouve à notre avis que le temps de l’apurement mémoriel n’est pas encore venu à Grenoble. La mémoire juive dans sa globalité n’est pas encore suffisamment réactive pour s’insurger publiquement contre un tel « meeting », dont elle doit pourtant ressentir l’injure 1729 . En 1965, perdure encore ce schéma de la discrétion mémorielle, fondée sur une auto-représentation de leur spécificité elle-même minorée et compliquée sûrement par la structure de la démographie communautaire grenobloise 1730 .

Quatre autres dates-clés nous permettent de repérer les trois principales étapes de cette construction difficile de la mémoire de la Shoah à Grenoble, effectivement très tardive 1731 . Il ne s’agit évidemment là que de quelques jalons d’une histoire de la mémoire juive de la Seconde Guerre Mondiale après 1965 qui reste à écrire.

Notes
1702.

Cf. infra pour le texte qui figure sur la plaque.

1703.

Ces précieux renseignements grâce à l’aide de Tal Bruttmann.

1704.

On pense en premier lieu bien entendu à celle que dirige Serge Klarsfeld.

1705.

Sur cet épisode, lire l’analyse de Delphine Deroo, Les enfants de La Martellière, Paris, Grasset, 1999, 285 p.

1706.

Au moins 5, peut-être une dizaine selon Tal Bruttmann.

1707.

Olivier Vallade en parle dans la publication du MRDI, Mémoires de déportés, situant l’étiage du nombre de Juifs arrêtés (6 selon lui) au plus bas, mais rappelant fort à propos que parmi eux figure « l’ancien ministre et député-maire du Havre , Léon Meyer  » (p. 14). En l’espèce d’ailleurs, nul déni de mémoire. Si l’ancien ministre du Front Populaire n’a pas de plaque à son nom, c’est qu’expédié à Bergen-Belsen avec sa femme et sa fille (ensuite, ils auraient été envoyés à Theresienstadt), tous trois sont rentrés de déportation.

1708.

A Saint-André-le-Gaz, au moins trois arrestations de Juifs qui finissent en camp de concentration par dysfonctionnement allemand. Pour le Sappey, Allevard et Saint-Pierre-de-Chartreuse, le nombre de raflés est à chaque fois supérieur à 10 personnes.

1709.

Souligné par nous. Cet endroit est un véritable complexe du souvenir de la Déportation, où se sont accumulées dans le temps les strates de plusieurs mémoires. Le texte que l’on trouve près de l’urne déjà évoquée dit ceci : « Cette urne contient la terre et les cendres des camps de concentration allemands » ; le jardin des « roses dédiées à la Déportation et à la Résistance par l’amicale de Ravensbruck », baptisé Résurrection, encadre la colonne de Gilioli ; une plaque commémorative rappelant la responsabilité de « l’État Français » dans les « crimes contre l’humanité » est venu compléter le paysage mémoriel depuis peu. Voir annexe n° XXX.

1710.

Si ce n’est au sein de l’exposition permanente du MRDI. En 1978 Le Mémorial du Jubilé publié par l’Association Cultuelle Israélite de Grenoble rappelle bien entendu sa création ainsi que la création à Grenoble d’un « Comité général de Défense des Juifs qui rassembla les mouvements de la Jeunesse Sioniste, Communistes, Socialistes, Eclaireurs Israélites, le Mouvement National Contre le Racisme et l’Antisémitisme, l’Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide, etc. ». L’ouvrage signale d’ailleurs qu’à la suite de la constitution de ce Comité « un appel fut placardé sur les murs sous le titre “la Gestapo déchaînée à Grenoble : Juifs de Grenoble, gagnez la montagne, défendez-vous contre les déportations et l’extermination” » (p. 40). Qui, à part une partie de la communauté garde le souvenir de ces tracts, distribués par l’UJJ après les représailles de décembre 1943 ? Il faut attendre le 26 août 1997 pour que, sous la plume de Claude Muller, Le Dauphiné Libéré publie un « article-mémorial » : « Les rendez-vous de l’histoire. Le Centre de Documentation Juive Contemporaine ». Sur l’activisme des associations juives les plus engagées politiquement après-guerre, voir annexe n° XXVI.

1711.

Sur un plan individuel, quid de cette autre belle figure, Marc Haguenau ? Secrétaire général des Eclaireurs Israélites de France, tué en février 1944 à Grenoble lors de son arrestation par la Gestapo (on a longtemps débattu les circonstances de sa mort, pour savoir s’il s’est suicidé ou s’il est mort accidentellement pendant sa tentative d’évasion ; la lettre qu’Edith Pulver, sa secrétaire, arrêtée en même temps que lui, réussit à faire passer de l’hôtel Suisse et Bordeaux, où la détenait la Gestapo grenobloise – cf. le numéro du Monde Juif consacré aux EIF – confirme qu’il est mort en tentant de s’échapper), il prête son nom (« Compagnie Marc Haguenau ») au maquis que les EIF créent sous la direction de leur chef et fondateur Robert Gamzon (Capitaine Lagnès), au lendemain du débarquement, dans le Tarn, et qui contribue à la libération de Castres (cf. Jacques Lazarus, in Le Monde, 4 décembre 1987, correspondance à la suite du compte rendu par Stéphane Courtois du livre de Lucien Lazare, La Résistance juive en France).

1712.

Même la communauté s’y trompe. Dans la plaquette que l’Association Culturelle Israélite de Grenoble publie à l’occasion de son jubilé en 1978 (Mémorial du Jubilé 1928-1978, 80 pages écrites surtout par Robert Cohen-Tanugi), on peut lire au chapitre de « l’occupation allemande », p. 38 : « On ne peut dénombrer les assassinats commis par la Gestapo. Citons pour mémoire les plaques commémoratives du 12, rue de Bonne et du 30, cours Berriat à la mémoire de Juifs abattus par la Gestapo ou la Milice, ou les enfants Cohen-Faraggi sauvagement assassinés, la tête fracassée contre les parapets de l’Isère ». Zerman n’est pas honoré en tant que Juif. Et pourquoi ne pas citer Briewski ? La plaque du Cours Berriat (sise au 28 et pas au 30), est de fait dédiée aux « internés et suppliciés de la Gestapo » et pas aux Juifs. En revanche, on ne se souvient pas par exemple de Robert Blum, responsable de Combat et arrêté en tant que tel à Grenoble en janvier 1943 par la Gestapo de Lyon et gazé à Auschwitz à la fin de l’année (Robert Blum fut donc arrêté comme résistant et assassiné en tant que Juif).

1713.

Cf. Serge Barcellini et Annette Wieviorka, Passant, souviens-toi ! Les lieux du souvenir de la Seconde Guerre Mondiale en France, Paris, Plon, 1995, p. 455-456 : « Les communautés cultuelles juives, que ce soit à Paris ou en province, eurent très tôt à cœur de marquer le souvenir des leurs en érigeant des stèles ou en apposant des plaques, soit dans des cimetières, soit dans des synagogues. Le choix de ces lieux est loin d’être anodin : les synagogues comme les carrés juifs sont des lieux semi-publics. La plaque ou la stèle sont destinées à porter le deuil au sein de la communauté et ne s’adressent pas à l’extérieur. Elles s’inscrivent bien dans la tradition française du judaïsme née de la Révolution française, et qui le privatise. Des urnes de cendres sont placées dans ces mémoriaux, les cendres étant fournies par le Consistoire central qui s’était inspiré de l’exemple offert par l’Amicale d’Auschwitz [..] »

1714.

Mémorial du Jubilé. 1928-1978, p. 13, « Rabbins et officiants au service de la communauté » ; ADI, Périodique 4° 660. L’ouvrage continue ainsi : « M.Eichiski , aumônier général de l’Armée de l’Ain , occupait le siège de rabbin. A la Libération de Grenoble, ce fut le rabbin de l’armée américaine qui officia pour les solennités de Kippour. Le 9 septembre 1945, M. Ignace Kahan , aumônier militaire de la région Dauphiné Savoie depuis 1944, fut nommé rabbin de Grenoble, poste qu’il occupe toujours […] »

1715.

Pas plus, à notre connaissance, que dans les synagogues.

1716.

Serge Barcellini et Annette Wieviorka écrivent ainsi que jusqu’en 1955, seules deux plaques (encore l’inscription de la première est-elle assez allusive) rappellent la Déportation des Juifs de Paris ! Il s’agit de celle du 43 quai d’Austerlitz (« En ces lieux pris et occupés/par l’ennemi ont été internées/des milliers de victimes des/persécutions nazies. Beaucoup/d’entre elles furent déportées/et périrent dans les camps d’extermination. Confédération générale des anciens internés et déportés victimes de l’oppression et du racisme et Fédération française de l’Union internationale contre le racisme »), apposée à la Libération. En 1946, à l’initiative de l’Alliance antiraciste, fut apposée une plaque au Vel d’Hiv’ : « Commémoration du 21 juillet 1942 où les enfants juifs furent arrachés à leur mère et dirigés sur les camps ». In Passant…, op. cit., « Le souvenir du génocide », p. 453.

1717.

In tome III, Paris, Gallimard, 1996, p. 252.

1718.

Jamais honorée comme pouvant être une date de commémoration de la Shoah, la libération d’Auschwitz est pendant vingt ans quasiment ignorée par la presse grenobloise.

1719.

Brièvement, en quoi consiste-t-elle ? Jean-Noël Jeanneney l’a parfaitement résumé dans un article du 1er août 1987 («Quand des enfants deviennent des enjeux »), publié par Le Monde dans son feuilleton d’été « Concordance des temps. Chroniques sur l’actualité du passé » : « Celle-ci concerne les deux fils, nés en 1941 et 1942, d’un médecin juif autrichien qui fut exilé avec sa femme près de Grenoble par les persécutions nazies, et avec elle déporté en 1944 à Auschwitz , d’où ils ne revinrent pas. Robert et Gérald Finaly sont alors recueillis, après un passage chez les religieuses de Notre-Dame de Sion, par une demoiselle Antoinette Brun , qui dirige la crèche municipale de Grenoble. Les sœurs du docteur Finaly, qui habitent la Nouvelle-Zélande et Israël , s’efforcent durant plusieurs années par toutes voies diplomatiques et légales de récupérer les enfants. En vain. S’étant fait instituer leur tutrice, M lle Brun s’acharne à les éloigner de leur famille naturelle et, de procès en procès, elle y réussit plusieurs années durant. Les garçons ont été circoncis à leur naissance : l’intention de leurs parents de les élever dans le judaïsme paraît claire. Or, en mars 1948, M lle Brun les fait baptiser catholiques. A l’issue de procédures interminables, la cour d’appel de Grenoble, en janvier 1953, tranche finalement en faveur de la famille naturelle. Me Maurice Garçon y consacre toute l’efficacité de son éloquence et de sa rigueur. Les enfants, dont on ignorait la résidence, sont retrouvés par hasard en février au collège Saint-Louis-de-Gonzague de Bayonne , où ils sont placés sous un faux nom. Et lorsque s’y présente le mandataire de leurs tantes, ils ont disparu – enlevés ! On saura plus tard qu’ils ont été conduits secrètement en Espagne grâce à une filière organisée des deux côtés des Pyrénées par les couvents de Notre-Dame de Sion ».

La principale étude reste celle publiée par Moïse Keller, L’Affaire Finaly telle que je l’ai vécue, Paris, Librairie Fishbacher, collection « écrits libres », 1960, 594 p. (merci à Roland Lewin pour le prêt de cet ouvrage et ses éclairages). Voir annexe n° XXVII.

1720.

Ainsi, le dossier des ADI, composé de coupures de presse locale, n’évoque que par la bande la période de la guerre. Selon le même processus, les articles que publie la presse grenobloise au moment de « l’affaire » de l’Exodus, même s’ils font directement allusion à la Shoah, ne « profitent » pas de l’occasion pour s’appesantir longuement sur la mémoire juive (lire notamment, dans les colonnes du Réveil, « Survivants des fours crématoires nazis », le 30 juillet 1947 et encore le peit article en première page, le 28 aoû).

1721.

André Kaspi, « L’affaire des enfants Finaly », in L’Histoire, n° 76, mars 1985, p. 40-53.

1722.

La Croix qui avait ignominieusement écrit le 27 février 1953, à propos de l’ « affaire » : « Ne s’agirait-il pas de l’héritage de 80 millions de francs (13 milliards) qu’avait laissé M. Finaly , mort en déportation ? Les enfants Finaly ne seraient pas les seuls héritiers » (cité par René Rémond, L’anticléricalisme en France de 1815 à nos jours, Paris, Fayard, 1976, p. 318), l’historien catholique Henri-Irénée Marrou répond dans le numéro d’avril 1953 d’Esprit : « N’y a-t-il pas dans trop d’ordres religieux, ces ordres si fortement unis par une hiérarchie intérieure, une tendance à se penser au dessus des lois et règlements des Etats dans lesquels ils exercent leur ministère ? […] Il y a là […] un état d’esprit difficile à définir avec précision, et donc avec justice, mais dont le citoyen a le droit de s’inquiéter… »

1723.

Outre évidemment le livre d’Hannah Arendt sur la banalité du mal qu’elle a discerné sous les traits du fonctionnaire Eichmann, voir le superbe film de Rony Brauman et Eyal Sivan, tourné à partir des archives filmées du procès, Un spécialiste (1999).

1724.

Cf. entrevue du printemps 1993 avec Paul Dreyfus, alors envoyé spécial du Dauphiné Libéré en Algérie.

1725.

Voici les titres de ces quatre longs articles : « Le plus sensationnel procès du siècle (I). Adolf Eichman, levez-vous ! Quand s’ouvrira l’interrogatoire… » (6 avril, première et deuxième pages) ; « Le plus sensationnel procès du siècle (II). A 13 ans, Eichman organisait une agression contre son camarade juif Ulrich Cahn » (7 avril, première et onzième pages) ; « Le plus sensationnel procès du siècle (III). Quand Eichman, nazi souriant, traquait les Juifs autrichiens » (8 avril, première et deuxième pages) ; « Le plus sensationnel procès du siècle (IV). C’est la présence de Vera Eichman à Buenos-Aires qui a perdu le faux Ricardo Klement » (10 avril, première et deuxième pages). Tous ces articles comportent une ou plusieurs photographies.

1726.

« Ouverture du procès Eichman aujourd’hui à Jérusalem  », le 11 avril, pour l’ouverture du procès. « A Jérusalem, Adolf Eichman comparait devant ses juges pour répondre du massacre de six milliers de Juifs », le 12 avril. La fréquence des articles ira ensuite en diminuant, ce qui est logique, le procès étant très long. Ils connaîtront de nouveau un pic au moment du verdict, à l’automne : « Au procès de Jérusalem. Adolf Eichman déclaré coupable sur tous les chefs d’accusation », le 12 décembre ; « Verdict à Jérusalem. Eichman sera pendu », le 16 décembre. Et bien entendu, au moment de l’exécution de la sentence, en mai 1962 : « Justice est faite. Eichman pendu la nuit dernière » (petit encart en première page, le vendredi 1er juin 1962). A noter que pour la plupart ces articles ont leur accroche en première page, sont développés à l’intérieur du journal et s’accompagnent de photographies.

1727.

« Grenoble a honoré le suprême sacrifice de ceux qui ont écrit les plus glorieuses pages de son histoire », Le Dauphiné Libéré, mardi 2 mai 1961, page 8.

1728.

ADI, 4332 W 261, « Antisémitisme. 1960-1965 ».

1729.

Vallat « honore » l’Isère de sa visite quatre ans après le procès Eichmann.

1730.

« A compter de 1955, la communauté de Grenoble va se trouver grossie régulièrement par l’immigration de Juifs en provenance du bassin méditerranéen soumis aux secousses de la décolonisation. Quelques familles isolées immigrent de Tunisie en 1958 à la suite de l’affaire de Suez , environ 120 Juifs s’installent à Grenoble accueillis par l’A.C.I. […]. En 1961, ce fut la vague de fond des rapatriés d’Algérie . En quelques années la communauté va s’élargir de 300 à 1 500 familles environ », in Mémoriel du Jubilé, 1928-1978, p. 43.

1731.

Sur les conditions de maturation et d’émergence de la mémoire juive grenobloise de la Deuxième Guerre mondiale, on doit lire les quatre témoignages publiés dans Être Juif en Isère entre 1939 et 1945 (op. cit., p. 101-112). Emanant de porte paroles de la communauté à la personnalité et aux aspirations différentes, leur vision est évidemment contrastée (Rabbin Berdugo ; Edith Aberdam, fondatrice du Cercle Bernard Lazare de Grenoble ; Edwige Elkaïm, chargée de la culture et de la jeunesse au Comité exécutif du B’nai B’rith européen ; Simone Lagrange, Présidente de la section Rhône-Alpes de l’Amicale des déportés d’Auschwitz et de Haute-Silésie). Nous les reproduisons en annexe n° XXVIII.