1989 : création de l’« Amicale des Déportés d’Auschwitz et des camps de Haute-Silésie ».

C’est seulement en 1989 qu’est officiellement fondée la Section départementale de l’Isère de l’Amicale des Déportés d’Auschwitz et des camps de Haute-Silésie , soit quarante-quatre ans après la libération du camp. Le délai est évidemment très long, qui illustre on ne peut mieux le manque à gagner dont a souffert tout ce temps la mémoire de la Déportation raciale à Grenoble. Heureusement qu’à partir de cette date, le formidable enthousiasme déployé par Simone Lagrange a pu en partie rétablir l’équilibre mémoriel 1733 . Mais en cette année de bicentenaire de la Révolution Française, quand sont déposés en préfecture les statuts de l’Amicale, on doit remarquer que jamais tout au long des 25 articles qui les composent, le terme « Juif » n’est employé 1734 . L’article IV est en ce sens particulièrement intéressant. S’il évoque enfin la responsabilité de Vichy dans la Déportation (et encore a minima , c’est-à-dire dans sa seule dimension d’inféodation à l’Allemagne ), s’il emploie effectivement l’expression d’ « [arrestation] pour raison raciale 1735  » , il précise que l’Amicale n’est pas spécifiquement réservée aux déportés raciaux.

‘« L’Amicale est ouverte à tous les anciens déportés ayant séjourné au camp d’Auschwitz et dans ses kommandos et aux familles des morts de ces camps sous condition : 1 – Que l’adhérent ou le défunt ait été arrêté pour faits se rapportant à des actes de résistance ou d’activité politique et sociale opposée à la politique de l’Allemagne nationale-socialiste ou du gouvernement français à sa dévotion, pour raison raciale, comme otage, ou dans des rafles de représailles. 2 – Que l’attitude de l’adhérent ait été conforme à l’honneur, qu’il n’ait pas participé à la barbarie SS, qu’aucune action contraire à l’esprit de la résistance ne puisse lui être imputée. Les candidats devront être présentée par deux parrains déjà membres de l’Amicale ou connus du Conseil d’Administration. Un jury d’honneur fonctionnant auprès du Conseil d’Administration jugera les cas douteux et proposera l’acceptation ou le refus des candidats. Appel de la décision prise peut être porté devant l’Assemblée Générale. »’

Directement inspirés des statuts de l’Amicale nationale, fondée elle en 1945 à Paris, ceux qui donnent vie à son antenne iséroise héritent par la même occasion de la vision qu’à l’époque on développait de la Déportation 1736 . L’Amicale n’est donc pas, stricto sensu, une amicale chargée d’honorer la mémoire des victimes iséroises de la Shoah 1737 . Groupés autour de la forte personnalité de Simone Lagrange, l’intégralité des six membres du Conseil d’Administration de la Section 1738 sont bien juifs, même si cela n’apparaît évidemment pas expressément en regard de leurs noms dans le document qu’ils adressent à la préfecture, l’Amicale n’étant pas à vocation religieuse.

Le paradoxe, à l’époque déjà tardive où intervient sa création, est que cette dernière, qui se consacre pourtant quasi exclusivement à la promotion de la mémoire des victimes de la Shoah, ne le fait pas savoir 1739 . Cela illustre à notre sens encore une fois que la pleine reconnaissance de cette mémoire n’était pas encore acquise à Grenoble, à l’orée de la décennie quatre-vingt dix 1740 . En témoigne le très faible effectif qui, chaque troisième dimanche de janvier, tient à être présent au monument des déportés (ou parfois à l’école Bizanet), quand l’Amicale commémore la libération d’Auschwitz…

Notes
1733.

Depuis près de dix ans, nous entretenons avec Simone Lagrange des liens privilégiés. D’abord noués à l’occasion de ses interventions dans nos classes, ces liens sont depuis devenus des liens d’amitié.

1734.

Cf. en annexe n° XXIX la reproduction de ces statuts.

1735.

Souligné par nous.

1736.

Voir en annexe n° XXX le « lieu de mémoire grenoblois de la Déportation raciale » : la colonne des déportés de Gilioli, déjà évoquée.

1737.

Le terme – pas plus d’ailleurs que celui de génocide, d’holocauste ou d’extermination – n’est jamais employé dans la lettre qu’adresse le bureau de l’Amicale au préfet le 12 septembre 1989 ; cf. annexe n° XXXI.

1738.

Deux déportés ; trois autres membres sont soit fils, fille ou petite-fille de déportés ; la « qualité » du dernier membre n’est pas précisée.

1739.

Il serait hors de notre propos et surtout inconvenant de rapporter ici les propos pour le moins aigres que certains déportés politiques tiennent à l’égard de l’activisme de Simone Lagrange. Exemplaires des enjeux de mémoire actuels de la Déportation, ils n’en restent pas moins moralement condamnables, certains « flirtant » même avec l’antisémitisme le plus vil.

1740.

Grenoble qui vient d’ailleurs de découvrir, grâce au travail déjà maintes fois cité de Tal Bruttmann, qu’Aloïs Brunner, le si tristement célèbre lieutenant d’Eichmann, avait été en charge des persécutions raciales en Isère en 1944 et que son Kommando était basé à Grenoble. Comment ce fait a-t-il pu « échapper » à la mémoire juive grenobloise pendant si longtemps ?