1 – La France, toujours.

Et pour (re)commencer, la France. Cette entité magique et transcendante, au-dessus, au-delà. Loin des contingences de la politique évidemment, et même de l’histoire, puisque c’est elle qui la mène et qui la forge. La surplombant, la dominant, elle est tout à son destin, définie de toute éternité, une fois pour toutes. Quel que soit celui qui l’incarne, toujours provisoirement, elle est puissante ( ‘ « Non, la France est bien vivante. Son empire, d’Afrique ’ ‘ du Nord ’ ‘ , est venu lui montrer toute la vitalité de ses enfants » ’). Évacuée, comme évincée de sa description du 22 août 1944 (Gimel ne pouvait l’y reconnaître), elle renaît évidemment le 5 novembre 1945 : de Gaulle, nouveau démiurge, l’a entre-temps rebronzée. Blessée, elle est cependant présente, et c’est sur son propre sol que tout est dit de cette guerre, le 8 mai 1945 ( ‘ « A l’écoute de la TSF, on avait bien appris qu’à Reims ’ ‘ , à 2 h 41, la reddition de l’Allemagne ’ ‘ était signée en présence des représentants de toutes les puissances alliées, y compris, donc, notre France meurtrie » ’). On devine là une adhésion complète et très opportuniste à la vision du conflit que de Gaulle a, en août 1944, proposée aux Français, c’est-à-dire à tous les Français, y compris ceux qui se compromirent, comme c’est le cas de Gimel, avec Vichy. La guerre ? Un classique France contre Allemagne (et pas France contre France, Résistants contre Collaborateurs, la hiérarchie politique et les préférences de Gimel lui interdisant de parler de Vichy 1763  ; à le lire, la « culture exécrée » à laquelle ont résisté les déportés grenoblois du 11 novembre, c’est la « manière boche », et sûrement pas la Révolution nationale...). Ce qui fut commencé en 1914 s’achève en 1944. Cette guerre a bien duré « Trente ans » et Vichy est « nul et non avenu », une « parenthèse »... La tentation d’y croire est trop forte : Gimel s’y coule et s’y moule, archétype du rallié, modèle du converti et du « reclassé », mais menteur à lui-même et finalement relaps. Il oublie de faire le bilan, André Gimel, celui de Vichy et de ses hommes. Le sien.

Certes, il rend hommage aux ‘ « déportés, les disparus, les fusillés, artisans de notre libération – notre joie se trouvait teintée de regret, pour tous ces hommes héroïques, qui n’étaient présents ce jour-là que dans nos cœurs » ’, mais comme en passant. Et puis surtout, comment le croire ?

Oui, d’accord, il filme ‘ « la plaque des fusillés du cours Berriat ’ ‘ , les héros de la Résistance dauphinoise » ’, mais il oublie de dénoncer les responsabilités françaises dans ces crimes.

Très bien, il a vu un ‘ « homme muni d’un seau et d’un pinceau [qui] efface l’inique ’ ‘ ’ ‘ . C’est une joie de le voir faire au grand jour, on respire mieux... et il semble qu’on soit délivré d’un grand poids » ’. Ce « gamma », c’est l’emblème et le symbole de la tueuse Milice dont il ne dit pas qu’il l’a si complaisamment filmée en 1943, quand Darnand, son chef, a visité l’École des Cadres à Uriage 1764 .

Choix sélectif. Mémoire lacunaire. Oubli volontaire et révélateur de sa « weltschauung ». Refoulées très loin, ces images-là. Niées et réfutées même. Pense-t-il vraiment que ses films de novembre 1944, de mai et d’août 1945 sont son rachat ? Rêve-t-il d’amnésie ou d’amnistie ? Quel poids soudain, cette phrase, en bas de la page 51 de ses cahiers, qui clôt le bref commentaire qu’il consacre à la Résistance, après avoir filmé à deux reprises ses martyrs : ‘ « C’était le moindre hommage qu’on leur doive » ’. Ne pas entendre là la voix de l’humilité, mais bien comprendre, en quasi inaudible fond sonore, bien voir, pâles images subliminales, bien lire, entre les lignes : « C’est toute la place qu’ils méritent »...

Notes
1763.

Une fois, mais une fois seulement, il mentionne la défaite de Vichy, ne se cantonnant alors plus à celle de l’Allemagne. Cf. l’extrait déjà cité : « Il y a du changement dans la ville... On procède au nettoyage à grandes eaux des panonceaux de publicité où doivent disparaître toutes les affiches de Vichy et pro-allemandes. »

1764.

Ce film est intitulé « Prestation de serment. Ecole des cadres de la Milice à Uriage , vendredi 14 mai 1943 ». Lire la contribution de Tal Bruttmann dans le catalogue de l’exposition, « L’École des cadres de la Milice d’Uriage : les chevaliers du Maréchal », op. cit., p. 93-101.