A – Les mémoires fortes et rénovées.

Le premier cercle est celui que composent ces mémoires qui sont sûres d’elles-mêmes parce qu’elles savent d’où elles viennent et qu’elles savent où elles veulent aller. Elles vertèbrent solidement l’identité des groupes qui ont connu les expériences les plus tranchées et historiquement les plus claires durant le conflit. A ce titre, la mémoire que ceux-ci développent est d’une certaine manière une continuation a posteriori de leur guerre. Sans celle-ci en effet, la plupart de ces mémoires n’existeraient pas, puisque la majorité d’entre elles n’ont pas d’antériorité historique. Leur principale raison d’être est de s’afficher publiquement, pour éternellement continuer de témoigner de l’importance historique objective du dernier conflit mondial, et pouvoir ainsi rappeler la place centrale qu’ont occupée les groupes qu’elles représentent au sein de cette séquence.

Cette première sensibilité au passé est bien de l’ordre de la tradition qui, entretenue fidèlement, peut seule établir, contre les ravages du temps qui passe, la légitimité de l’identité continuée du groupe. Cette conception est partagée par l’ensemble des mémoires de la Résistance. Par celles de la Déportation également, quelle que soit la « nature » de cette dernière. Quand le propos mémoriel est d’asseoir une identité, tous les groupes qui ont à voir avec la Seconde Guerre mondiale fonctionnent de la même manière – y compris d’ailleurs ceux qui sont situés au revers moral du conflit (« collabos », etc.).

En revanche, vouloir et savoir passer de la mémoire sédiment à la mémoire dynamique n’est pas à la portée de tous. Cette articulation « passé/présent » n’est d’ailleurs pas une obligation. Des groupes n’y pensent tout bonnement pas. D’autres ne sont pas disposés à assumer volontairement les risques de dilution de leur identité mémorielle qu’un tel passage à l’utilisation objective du passé implique peu ou prou. Non pas que ces mémoires-là soient craintives ou même frileuses ; elles savent hausser le ton quand elles estiment être menacées dans leur essence même (on l’a vu par exemple avec les Pionniers du Vercors). Simplement, elles s’astreignent à ne pas déborder du cadre qu’elles se sont fixé de fidélité à leur histoire. Elles entendent militer pour une manière d’irrédentisme mémoriel, faisant le choix de ne réduire leur identité à rien d’autre qu’à son éternelle défense.

Penser à rénover la tradition existentielle du groupe suppose au contraire qu’on change consciemment de registre et qu’on veuille exciper de son passé pour agir en son nom dans le présent. Quoi qu’en disent ceux qui optent pour ce passage, le ressort de cette motivation supplémentaire est toujours politique (mais en revanche, il n’est pas obligatoirement « bassement » électoraliste).

Bien entendu, on pense alors immédiatement, et avec raison, aux deux pôles politiques majeurs autour desquels s’organise la vie politique nationale. Communistes et Gaullistes structurent également le débat politique grenoblois, d’autant que dans la capitale du Dauphiné comme ailleurs, leur opposition ne s’arrête pas au seul domaine politique et déborde dans le champ culturel par exemple. D’accord sur l’essentiel, c’est-à-dire sur l’obligation de mémoire, ces deux mémoires partisanes sont logiquement opposées pour s’en disputer le profit et si elles trouvent rapidement leur assiette, elles ne sont cependant pas équivalentes.