Annexe IV
Les accusations de Grenier vues depuis Grenoble : de Gaulle en accusation 1968 .

« Le 11 novembre a réveillé des souvenirs

Qui donc a trahi le Vercors ?

Pour les gens qui l’ont approché aux temps néfastes, le Vercors est un mot d’épopée. Ceux-là se souviennent d’une lutte qui laissait les cœurs en suspens, le souffle coupé, et l’espoir en alerte dans la ville et dans les chaumières.

Il y avait là haut des Pionniers. Ils défendaient – à combien contre cent ? – les fois et les croyances. On se jurait, quand on n’était pas dans la mêlée que l’on n’oublierait jamais les vivifiantes angoisses dont faisaient les frais leur offrande ardente et leurs corps répandus.

On dit ça. Et puis...

Et puis il s’est trouvé qu’on a médit des Maquisards du Vercors. On s’est évertué à démontrer qu’ils étaient tombés en vain. On a prouvé que leur inexpérience, leur impulsion mal dirigée, équivalait à donner des coups d’épée dans l’eau.

Mais oui, on a dit cela. Et on le dit encore. On le dit surtout quand on a pris soin de se garder les pieds au chaud. On le dit, quand le Vercors, entré tout droit dans la Légende de France, après Roncevaux et après Oradour, fait figure de sacrifice consenti. On le dit quand on passe devant le Mémorial de Saint-Nizier, devant les ruines de Vassieux. On le dit en détournant ses regards du côté de la forêt reposante : “ne parlons plus du Vercors. Nous avons enseveli ses morts. Ils ont une nécropole. Nous avons partiellement reconstruit les foyers. En faut-il plus ? Que l’on ne nous parle plus de cette histoire ?”

Ah ! Mais permettez ! Il faut que l’on en parle encore.

Il faut que l’on reparle du Vercors, de ce Vercors qui a été fait de muscle et d’âme, de sang et de feu, de jours sans lendemains et de splendeurs éternelles.

Il faut que l’on reparle des gens du Vercors, abandonnés à leur destin lumineux et misérable. Par quels Ganelon ?

La bagarre passée, il est d’usage de faire bon marché de l’héroïsme. Quand on en a profité, c’est une traite dont l’échéance est lourde.

XXX

On en a parlé à l’Assemblée Nationale. Monsieur Fernand Grenier a dressé un terrible réquisitoire. Il a prouvé que Londres, Alger, et leurs représentants laissaient tomber entre Villard-de-Lans et la Drôme, des garçons qui croyaient à la République, à la sainte Liberté, à la France.

On les laissait tomber.

Ils tombaient. Sans parachutages. Sans avions. Sans aide.

Ils réclamaient des appuis. On les laissait tomber.

On se refusait à croire que des Français, venus d’un horizon politique opposé à l’horizon de M. Billotte, de M. Soustelle et de M. Passy, dit Wavrin, puissent défendre la France.

Ah ! général de Gaulle, j’espère pour vous qu’un entourage de profiteurs provisoires vous aura bouché les oreilles. Ce serait trop laid que vous n’ayez pas entendu, vous qui êtes grand, et qui le dites, l’appel des hauts lieux.

Pauvre Maquis du Vercors ! Tu as été trahi par tant de monde ! Ce sont les tiens qui ont ouvert les portes du plateau. Ce sont tes profiteurs lointains qui t’ont abandonné à ton sort de défense désespérée et de fuite éperdue. Je parlais tout à l’heure de Roland, de Roncevaux... Et c’est en vain que tu sonnais du cor.

Mais qui est donc Ganelon ? Qui a trahi la foi de tout un Dauphiné ? Qui a été sourd ? Qui a été frappé d’impéritie ? Qui n’a pas entendu l’appel obstiné des amis d’outre-mer ? Qui a refusé de t’envoyer quelques avions ? Qui t’a laissé tuer ?

Il est possible que l’on sache un jour le nom qui est déjà sur bien des lèvres. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on lui gardera quelque rancœur.

J.D. »

Notes
1968.

Les Allobroges,numéro du 13 novembre 1947, deuxième page.