c. Les enjeux de l’aménagement de l’espace public urbain

Les collectivités ont mené des politiques proposant un nouveau partage de l’espace public urbain. En effet, les communes ont tenté dès les années soixante-dix de mieux orienter la demande de déplacement sur le plan modal, spatial et temporel. Le trafic automobile provoque des phénomènes de congestion qui entraînent des dysfonctionnements importants notamment pour les transports collectifs (vitesse commerciale faible, non respect des fréquences, etc.). Aussi, les collectivités locales, également autorités organisatrices des transports collectifs, ont-elles extrait les transports collectifs de la circulation en développant des sites propres de transport collectif sur voirie. Pour la marche à pied et les deux roues, des communes ont privilégié dans certaines zones une diminution des vitesses des automobilistes par l’instauration de zones 30 où la vitesse est limitée à 30 km/h. D’autres communes ont transformé une partie de leur centre ville en espace piétonnier. En général, les politiques d’aménagement public ont réduit l’espace dédié à la circulation des voitures particulières afin de limiter les vitesses et de pouvoir consacrer l’espace ainsi dégagé aux usages alternatifs. Ces politiques ont résulté du constat de l’impossibilité de continuer la politique d’adaptation de l’espace urbain à l’automobile.

La prise de conscience résulte de l’apparition et simultanément de la nécessaire gestion de trois raretés depuis les années 1970, à savoir la rareté relative de l’espace public, de l’espace de transport et des finances publiques. La rareté relative de l’espace public résulte d’une urbanisation quasi achevée au cœur des agglomérations. Seuls les espaces périurbains peuvent encore connaître un développement du bâti et du réseau viaire, provoquant indirectement une progression de la demande de transport qui risque d’induire une augmentation de la congestion. Ceci conduit à une raréfaction relative de l’espace viaire, risquant de multiplier les conflits entre les usages. Le développement de l’espace de transport ne peut se faire en milieu urbain qu’à la condition de prendre les emprises sur le bâti existant, avec le risque de multiplier les nuisances pour les populations. Des solutions techniques sont parfois évoquées pour se soustraire à la rareté de l’espace en surface (autoroutes urbaines souterraines, tunnels urbains, etc.). Ces propositions se heurtent aux contraintes budgétaires des communes, qui ont vu leurs dépenses sociales fortement augmenter avec les problèmes économiques de la première partie des années quatre-vingt dix. Le recours aux financements privés de ce type d’infrastructures se heurte notamment au rejet par une partie de la population du paiement d’un péage pour un équipement viaire en milieu urbain, et aux difficultés de rentabilité de ce type de projets.

En outre, ces contraintes physiques et budgétaires s’accompagnent de contraintes politiques. La nécessité de lutter contre les nuisances dues à l’automobile est devenue incontournable. Alors que les industries ont considérablement réduit leurs émissions de polluants, les émissions en provenance du secteur des transports n’ont cessé de croître même si des mesures ont permis de restreindre le rejet de tel ou tel polluant. En 1996, les transports provoquaient 14 % des émissions de dioxyde de soufre, 75 % des émissions d’oxydes d’azote, 42 % des émissions de composés organiques volatils non méthaniques et 36 % des émissions de dioxyde de carbone (CITEPA, 1999). Entre 1980 et 1992, alors que les rejets industriels et ceux dus aux installations de chauffage ont diminué de 45 % à 65 % selon les polluants, les émissions dues aux transports ont augmenté de plus de 30 %.

Les pollutions sonores se rajoutent à la pollution de l’air. Selon une enquête du CREDOC (1989, cité par METL, 1998) relative à la satisfaction des individus vis à vis de leur environnement, 40 % des personnes interrogées déclaraient être gênées par le bruit à leur domicile. Sept millions de Français (12,3 % de la population) sont exposés à des niveaux de bruits diurnes extérieurs dépassant 65 dB(A) à leur domicile. A partir de 60 dB(A), le bruit interfère avec le travail, la parole et le sommeil. Au-delà de 80 dB(A), le bruit provoque fatigue et troubles d’audition. Il est courant de constater un bruit de 80 dB(A) sur une voie très fréquentée et 90 dB(A) aux carrefours.

Ces nuisances sont proportionnelles aux trafics. Depuis 10 ans, à Paris, à Lyon, à Marseille et dans l’ensemble des grandes agglomérations françaises, la congestion a augmenté de 240 %. En Ile-de-France, elle a progressé de 110 %. Le nombre de voitures devrait atteindre 160 millions en 2020 contre 135 aujourd’hui en Europe (METL, 1998). Ces chiffres indiquent que ces nuisances devraient encore progresser dans l’avenir, malgré les efforts des constructeurs automobiles en termes de diminution des émissions de polluants et de bruit.

Par ailleurs, la sécurité est également une revendication des habitants des espaces urbains. En 1990, 115430 accidents et 3629 tués ont été recensés, soit 71 % des accidents corporels et 35 % des tués sur l’ensemble du territoire national (CETUR, SETRA, 1992). Ces accidents impliquent souvent des piétons. La moitié des tués sont des enfants de moins de 15 ans ou des adultes de plus de 65 ans. Cette insécurité provoque des modifications de comportement importantes. Les piétons modifient leurs itinéraires et certains quartiers sont déstructurés par la présence de voies difficilement franchissables. Une fonction circulatoire prédominante dans l’aménagement qui conduit à un trafic de voitures particulières élevé entraîne à des nuisances croissantes.

Une autre contrainte politique s’impose aux collectivités locales à savoir la désaffection des ménages pour le centre des agglomérations. Les ménages ont eu tendance lors des deux dernières décennies à se localiser en périphérie des agglomérations. De nombreuses raisons expliquent ce comportement. La dégradation de l’environnement des espaces urbains centraux a participé à cette évolution. La diminution du nombre d’habitants des communes ainsi que la localisation des activités également en périphérie peuvent conduire les communes à une impasse budgétaire. Les collectivités locales essayent de lutter contre ces évolutions. Les premiers résultats du dernier Recensement Général de la Population (1998) montrent que la désaffection des ménages pour les centres des agglomérations a été stoppée, mais des raisons comme la situation économique difficile de la première moitié des années quatre-vingt dix et l’augmentation de la précarité de l’emploi peuvent expliquer cette récente évolution.

En outre, la volonté de privilégier un développement durable de l’espace urbain pousse à proposer de nouvelles politiques d’aménagement des espaces urbains. L’émergence de la problématique du développement durable appliqué à l’espace urbain date du début des années quatre-vingt dix et correspond à la préparation de la Conférence de Rio (1992) sur l’environnement et le développement. Le développement durable se veut un processus qui concilie l’écologique, l’économique et le social et qui établit un cercle vertueux entre ces trois pôles. ‘C’est un développement, respectueux des ressources naturelles et des écosystèmes, support de la vie sur Terre, qui garantit l’efficacité économique mais sans perdre de vue les finalités sociales que sont la lutte contre la pauvreté, contre les inégalités, contre l’exclusion et la recherche de l’équité’ (CDU, 1998). Ces préceptes doivent être intégrés dans les politiques de planification et d’aménagement urbain et de transports urbains.