2.1. Les caractéristiques des biens publics purs

Il faut attendre les articles intitulés The pure theory of expenditures et Diagrammatic exposition of a theory of public expenditure de Samuelson en 1954 et 1955 et Theory of public finance de Musgrave en 1959 pour trouver une formalisation précise de la distinction entre les différents types de biens, à savoir d’une part les biens privés et d’autre part les biens publics purs (ou collectifs purs). Trois caractéristiques distinguent les biens publics purs des biens privés, à savoir l’indivisibilité, l’absence de rivalité et la production jointe à utilisateurs multiples.

Samuelson (1954, 1955) définit les biens privés comme des biens dont la consommation peut être partagée entre différents individus de telle manière que la somme des consommations est égale à l’offre de ces biens. Cette caractéristique est formalisée par l’équation suivante :

(1.1)

avec k les biens de consommation privée et i les différents consommateurs.

Samuelson s’intéresse également à la définition des biens publics. Il affirme qu’ils se caractérisent par le fait qu’une consommation par un individu n’entraîne aucune diminution de la consommation de ces biens par les autres individus. Ceci est représenté de la manière suivante :

avec i et j deux consommateurs et g le bien public local

Cette première caractéristique des biens publics dits purs correspond à l’absence de rivalité entre agents économiques. Cette propriété relève de l’indivisibilité des biens publics. En effet, chaque consommateur bénéficie du bien dans son ensemble. Ce dernier ne se partage pas en quantités additives. L’indivisibilité de consommation d’un bien entre les individus est le critère fondamental de définition des biens collectifs. L’indivisibilité de consommation distingue les biens privatifs des biens publics. Les biens privatifs sont totalement divisibles.

L’absence de rivalité des consommateurs ou des producteurs (ou l’absence d’exclusion d’usage) est l’une des caractéristiques des biens publics. L’offre d’un bien public conduit à sa mise à disposition de l’ensemble des consommateurs ou des producteurs. En effet, une fois produits, les biens publics sont à la disposition de tout usager potentiel à un coût marginal nul. Cette caractéristique des biens publics purs est qualifiée de production jointe à utilisateurs multiples. Ainsi, la consommation du bien par un individu n’obère pas sa consommation par un autre individu.

Il est nécessaire de distinguer les biens collectifs à consommation automatique des biens publics à consommation facultative. En effet, les biens publics à consommation automatique sont consommés en totalité par tous les individus. Les agents économiques bénéficient, intégralement, de ces biens publics et de façon non intentionnelle. De plus, ils ne peuvent pas se soustraire à cette consommation. La défense nationale est un exemple de ce type de biens. Toutes les personnes se trouvant sur le territoire national sont protégées contre l’agression d’une puissance étrangère, même les pacifistes.

Les biens publics à consommation facultative correspondent aux biens mis à disposition des individus, mais dont la consommation nécessite un acte volontaire des agents économiques. Les chaînes de radio et de télévision (non payantes) sont des exemples de ce type de biens. Les émissions sont à la disposition du public, mais elles ne bénéficient aux consommateurs qu’à la condition que ces derniers décident de les écouter et de les regarder.

L’absence de rivalité conduit à ce qu’aucune procédure marchande ne permet d’exclure un individu de la consommation d’un bien public (à consommation automatique).

Jusqu’ici les bénéficiaires de l’offre des biens publics n’ont pas été définis de manière précise. Pourtant la consommation du bien public est conditionnée à l’appartenance à une collectivité. Cette collectivité est souvent circonscrite à l’aide de critères géographiques et techniques. Pour bénéficier de l’offre d’un bien public, il ne faut pas forcément résider à proximité de celui-ci. D’autres agents économiques peuvent également en profiter. En effet, c’est la présence sur le territoire de la collectivité qui conditionne la consommation des biens publics purs. L’exemple type est la défense nationale ou la justice qui protègent à la fois les citoyens et les autres individus présents sur le territoire national. L’éclairage public correspond également à la définition du bien collectif pur puisque tous les automobilistes, les riverains et les passants en bénéficient.

La consommation d’un bien public n’est pas forcément égale pour tous les membres de la collectivité. La participation à une collectivité ne signifie pas que les membres consomment le même montant du bien public pur, même si tous en bénéficient automatiquement. Par exemple, le niveau de consommation peut être proportionnel au risque d’occurrence d’un événement dont le bien public protège. La distance au bien public peut expliquer également la différence de consommation des individus membres de la collectivité.

Mais ce type de bien demeure indivisible puisque :

Cela conduit à l’existence d’une différentiation du bien en fonction de la localisation de l’individu. Musgrave (1968) appelle ces biens des biens collectifs à effet externe géographique limité.

Par ailleurs, les membres de la collectivité ne retirent pas le même niveau d’utilité de l’offre de biens publics. Les consommateurs ont une fonction d’utilité qui a pour arguments les biens privés et publics purs. L’absence de rivalité des consommateurs et l’indivisibilité des biens publics ne signifient pas l’égalité des utilités marginales des individus pour les biens publics. En effet, les préférences des consommateurs ne sont pas forcément les mêmes. Ainsi, reprenons l’exemple de la défense nationale. Si tous les individus sur le territoire national bénéficient de la sécurité, les individus ne retirent pas la même utilité de l’existence de ce bien. En effet, un individu pacifiste ne retire aucune satisfaction de ce bien, alors que le militariste connaît une hausse de son utilité parallèlement à l’accroissement de l’équipement militaire de défense nationale.

La non-rivalité des consommateurs signifie que les biens publics peuvent être consommés par plusieurs individus sans que cela modifie l’utilité retirée par les autres. Cette caractéristique conduit à la gratuité des biens publics. En effet, la mise en place d’un paiement pour consommer un bien public vise à empêcher certains agents économiques à renoncer à en bénéficier. Cette situation n’est pas compatible avec l’équilibre parétien puisqu’il est possible d’améliorer la situation de ces derniers sans nuire à la situation des autres consommateurs en cas de gratuité des biens publics. L’état ou la collectivité doit lever des impôts pour financer l’offre de biens publics. Cette contribution fiscale doit être proportionnelle à la disposition à payer des consommateurs pour l’offre de biens publics.

Pour les biens privés, l’existence du marché oblige les consommateurs à révéler leurs préférences. Les mécanismes de marché conduisent à ce que les consommateurs par leurs enchères indiquent le montant qu’ils sont prêts à payer pour bénéficier des biens publics. Dans le cas des biens publics, aucun mécanisme oblige les consommateurs à révéler leur disposition à payer pour les biens publics. Le bien public est à la disposition de l’ensemble des individus. Aussi, les consommateurs n’ont-ils aucun intérêt à révéler leurs préférences. Un individu rationnel se comporte en free rider. Nous verrons dans le chapitre III sur la capitalisation de l’offre des biens publics locaux que Tiebout propose une solution à l’impossibilité de révélation des préférences des individus pour les biens publics.

Une caractéristique des biens publics purs est de générer des effets externes. Nous savons que le bien public pur est un bien indivisible et dont la consommation se révèle parfois inintentionnelle. Dans ce cas, les biens publics purs figurent obligatoirement dans les attributs de toutes les fonctions d’utilité des consommateurs. Ceci résulte de l’indivisibilité de ces biens et non d’une décision des individus. Afin de définir cette situation, le terme concernement collectif est utilisé. Kolm (1971) est un des auteurs à montrer la parenté des effets externes et des biens collectifs.

L’état peut également posséder une fonction d’utilité indépendante de celles des individus, mais pour laquelle les consommations des individus et les productions des firmes sont des attributs de celle-ci. L’état est parfois concerné par ces attributs, le concernement est alors qualifié d’étatique. Si les préférences de l’état sont différentes de celles des individus avec un arbitrage de l’état en faveur de ses propres préférences, alors les consommations et les productions sont considérées en tutelle.

Cette tutelle revêt différentes formes en fonction de la nature des biens concernés. Ainsi, elle se manifeste par la modification des prix de marché des biens privatifs en contraignant physiquement la production ou en prenant la production à son compte. Pour les biens collectifs, l’état prend en charge la production de ces biens ou met en place une fiscalité adéquate de telle manière que ce sont les préférences de l’Etat qui conditionnent cette production.

La tutelle peut revêtir la forme d’un plafond ou d’un plancher de consommation. Dans le cas de la sécurité routière, le taux d’alcoolémie toléré au volant d’un véhicule est de 0,5g/l. L’obligation de scolarisation des adolescents jusqu’à 16 ans en France est également une illustration des contraintes de consommation édictées par l’Etat.

Les caractéristiques des biens publics présentées jusqu’ici concernait les biens publics purs. Il est difficile de trouver de nombreux exemples de ce type de biens. En revanche, il existe de nombreux biens publics mixtes qui comportent certains traits des biens privés. Par ailleurs, de plus en plus de biens publics sont fournis et financés au niveau des collectivités territoriales. Ces biens publics sont alors qualifiés de biens publics locaux.