2.3. Les typologies des biens publics

Les ouvrages anglo-saxons sur les biens publics ne se préoccupent pas de réaliser des typologies recensant les biens publics en fonction de leurs propriétés. En France, de nombreux auteurs ont tenté d’élaborer une taxinomie des biens publics comme Bénard (1985), Laffont (1982) et Picard (1987), Achour, Chung et Lapointe (1981) et Greffe (1994).

Nous présentons dans le Tableau 1.1 une des deux typologies des biens publics proposées par Terny qui croisent les caractéristiques des biens (la production, la consommation, l’indivisibilité, les effets externes) avec le type de concernement.

Tableau 1.1 : la typologie des biens publics de Terny
Types de biens
ou de services
Attitudes de
la puissance
publique
Services collectifs purs Services collectifs indivisibles à effets externes géographiques limités Services collectifs divisibles Biens et services privés
Tutélaire Défense nationale
Santé publique (certains équipements sanitaires)
Amélioration de l’état futur de la collectivité
  Éducation obligatoire
Éducation non obligatoire (partiellement)
Recherche fondamentale et appliquée (partiellement)
Santé (partiellement)
Logements sociaux
Assurances (maladies, accidents de la route)
Boissons alcooliques, stupéfiants, jeux, etc.
Recherche – Développement
Non tutélaire Défense nationale
Administration générale
Justice et sécurité intérieure
Lutte contre la pollution de l’air
Éclairage public
Phares de signalisation
Aménagement du territoire
Lutte contre les calamités naturelles (incendies, inondations, maladies infectieuses)
Assainissements divers
Lutte contre la pollution de l’eau, contre le bruit, etc.
Sauvegarde des espaces verts, des sites et beautés naturels
Éducation non obligatoire
Formation professionnelle
Santé
Recherche fondamentale et appliquée
Diffusion de l’information (radio, télévision, etc.)
Parcs publics, musées, diffusion de la culture
Transports collectifs
Transports (routes, autoroutes, etc.)
Urbanisme et rénovation urbaine
Certains spectacles
Biens et services privés marchands classiques (leur production et leur distribution sont assurées par le canal des marchés)

Source : Terny (1971, p.137)

L’absence de prise en compte de la distinction entre une offre nationale et une offre locale de la typologie de Terny montre le rôle encore mineur de l’existence des biens publics locaux au début des années soixante dix qui s’est longtemps prolongé. Ainsi en 1985, Bénard s’intéresse dans sa première typologie aux critères économiques qui permettent de distinguer les biens publics entre eux, à savoir le concernement et l’importance de la divisibilité des biens. Il propose une seconde typologie qui ajoute aux critères précédents un critère institutionnel (marchand, non marchand, mixte). Dans la première classification, il propose des exemples pour chaque type de biens isolés par son classement des biens et services publics communs qui n’existent pas dans la seconde.

Laffont (1982) réalise une taxinomie selon une arborescence. La destruction du bien, la possibilité d’exclusion, l’obligation d’usage et la nature du concernement (national ou local) servent de clé de tri. Picard (1987) distingue les biens publics entre eux, il évacue la comparaison avec les biens privés. Il reprend les propriétés traditionnelles des biens publics à savoir la possibilité d’exclusion, l’obligation d’usage, les effets d’encombrement comme moyen de segmentation des biens publics. Le dernier élément de distinction des biens publics est le niveau de l’offre (national ou local). Derycke et Gilbert (1988) s’interrogent sur la place secondaire de la différenciation du national et du local dans ces typologies. Ne faut-il pas à y voir un signe d’une prise en compte de l’échelon local dans l’économie publique qui tend vers une analyse autonome ?

Achour, Chung et Lapointe (1981) reprennent deux caractéristiques économiques à savoir la divisibilité et l’existence d’effets de débordement et les complètent par l’aire de desserte et par le mode de financement des biens publics locaux. Les effets de débordement sont qualifiés de clairs ou de flous en fonction de l’ampleur des externalités. La possibilité de tarification des biens publics est la caractéristique singulière des biens appelés biens mixtes optionnels. Derycke et Gilbert (1988) considèrent que cette taxinomie est la plus pertinente (Cf. Tableau 1.2).

L’analyse des typologies ne conduit pas à une meilleure compréhension de la nature des biens publics locaux. En revanche, elle renseigne quant à la place qu’occupait la préoccupation de l’offre de biens publics à l’échelon local dans la littérature francophone.

Par ailleurs, avec le poids de plus en plus important de la sphère publique locale et à la décentralisation de nombreuses compétences jadis du ressort de l’état, n’assistons-nous pas à la multiplication de l’offre de biens publics locaux ? L’exception qui était l’offre à un niveau local de biens publics ne deviendrait-elle pas la règle ?

Tableau 1.2 : La typologie des biens collectifs de Achour, Chung et Lapointe
Typologie des biens Caractéristiques Collectivité d’allocation optimale Mode de financement optimal
Biens publics purs Indivisibilité de la production et de la consommation : coût marginal nul, coût d’exclusion infini, non-rivalité des consommateurs. Le niveau le plus élevé possible selon les contraintes techniques de production. Imposition générale et nationale selon la capacité de payer des contribuables (exemple : impôt sur le revenu).
Biens mixtes clairs Divisibilité spatiale de la production ou de la consommation : exclusion territoriale.
Bien à l’aire de consommation : peu de débordements géographiques.
Le niveau le plus bas possible selon les contraintes techniques de production.

Le niveau de production devrait correspondre aux bassins de desserte.
Imposition générale et locale selon les bénéfices reçus par les contribuables de l’aire desservie (exemple : impôt foncier).
Biens mixtes flous Divisibilité spatiale
L’aire de prestation recouvre plusieurs collectivités (débordements).
Niveau supralocal qui permet d’internaliser les débordements Imposition supralocale selon les bénéfices reçus par les contribuables de l’aire de desserte.
Biens mixtes optionnels Divisibilité de la consommation Le niveau le plus bas possible selon les contraintes techniques de production. Tarifs ou taxes imposés aux utilisateurs des services.
Biens privés purs Divisibilité de la production et de la consommation. La firme individuelle et le marché. Le prix du marché des biens et services

Sources : Achour, Chung et Lapointe (1981, p. 214)