3.2.  De l’importance du niveau des revenus et des préférences des ménages

Jusqu’à maintenant, l’on supposait que les ménages étaient similaires. Yinger montre qu’il n’en est rien. La capitalisation s’effectue, en réalité, au sein d’une même catégorie d’acheteurs et de vendeurs possédant des préférences identiques pour les consommations collectives et résidentielles (GUENGANT, 1992). Yinger en tire arguments pour justifier l’existence d’une stratification de la population.

Yinger considère que l’évolution des prix d’enchère variant en fonction de l’offre de biens publics n’est pas la même en fonction des catégories de revenu. Il justifie l’allure de ces deux courbes par l’hypothèse que la contrepartie monétaire d’un accroissement de bien public croît avec le revenu (c’est à dire
).

Il fait l’hypothèse qu’il est possible de regrouper les ménages en fonction de leurs revenus et de leurs préférences. Aussi chaque classe a-t-elle sa propre courbe de rente offerte P*(E,t) et chaque commune est-elle habitée par les ménages qui enchérissent le plus. L’offre de biens publics locaux et le niveau des taxes constituent une donnée pour les migrants puisqu’ils sont déterminés par les ménages déjà résidants. Yinger prend l’exemple de cinq communes et de deux groupes de population ayant chacun des préférences et des revenus différents (Cf. Graphique 4.1). Le prix des biens immobiliers dans une commune est déterminé par la fonction d’enchères des ménages qui y résident. Les ménages ayant des revenus importants sont prêts à payer plus que le prix de marché dans les communes 4 et 5 pour pouvoir bénéficier du niveau de l’offre de biens publics locaux proposée dans ces communes. C’est donc une sorte de tri des individus en raison de leurs préférences qui conduit à des communes spécialisées, fournissant un niveau de bien public adapté à chaque groupe de population, caractérisé par des revenus et des goûts singuliers‘. La courbe observée des prix d’enchère en fonction de l’offre de bien public est alors la courbe enveloppe des différentes catégories de revenus et de goût’ (GUENGANT, 1992).

Par ailleurs, l’impôt n’a pas d’influence sur le choix du lieu de résidence des ménages. Pour un niveau fixé d’offre de biens publics locaux, pour lequel les courbes d’enchères des deux groupes se rencontrent, et un taux d’imposition foncière (t), l’équation (4.33) indique qu’une augmentation du taux d’imposition de t à t’ conduit pour les deux groupes à la même diminution d’enchères proposée pour pouvoir se localiser dans la commune. Le taux d’imposition foncière n’est pas une clé de tri des ménages.

Ainsi, si la capitalisation existe, elle résulte de l’hétérogénéité en termes de goût et de revenu de la population. Les migrations orientées par les préférences conduisent à la constitution de communes homogènes dans leur composition et différentes les unes des autres. Ces différentes communes permettent d’observer des prix fonciers différents correspondants à des biens publics et à des taxes liés à la situation optimale de chaque catégorie d’individus.

Figure 4.3 : Stratification des ménages en fonction de l’offre de biens publics locaux
Figure 4.3 : Stratification des ménages en fonction de l’offre de biens publics locaux

Source : Yinger (1982)

En revanche, les préférences pour l’offre de biens publics locaux ont un impact sur le niveau d’enchères. Ainsi des ménages à revenus peu élevés ayant une forte préférence pour un niveau élevé de biens publics locaux offerts ont une fonction d’enchère dont la pente est plus raide que celle des autres ménages à faibles revenus. Ces ménages peuvent enchérir autant que les ménages à hauts revenus pour les communes 4 et 5. Dans ce cas, il pourrait exister des communes hétérogènes en termes de revenus de la population. Pour Yinger, cet exemple ne remet pas en cause les hypothèses de Tiebout.

Le modèle initial réduit le choix d’une localisation résidentielle des ménages à un arbitrage entre le logement, un bien numéraire et l’offre de biens publics locaux. Pourtant d’autres variables interviennent dans ce choix.