Conclusion de la première partie

Les modèles et les tests empiriques de la capitalisation de l’offre de biens publics locaux et les modèles de localisation résidentielle permettent d’analyser le comportement des ménages lorsqu’ils choisissent leur lieu de résidence. Cela conduit à isoler les déterminants micro-économiques de la localisation des ménages. Les deux approches sont complémentaires. En effet, les modèles de localisation se situent dans un espace isotrope (dans le modèle canonique d’Alonso) progressivement complexifié par les auteurs, alors que les modèles de capitalisation se situent dans un espace organisé avec des communes. Cette différence n’est pas rédhibitoire et n’obère pas les enseignements retirés de l’une ou l’autre des approches dans le cadre de la valorisation immobilière de l’offre de biens publics locaux.

Malgré sa simplicité, le modèle d’Alonso apparaît comme le point de départ de la détermination des variables qui expliquent la localisation des ménages qui réalisent un arbitrage entre un bien composite et la taille du logement (le sol) en fonction de leurs revenus et de leurs préférences représentées par leur fonction d’utilité. Les localisations ne se distinguent que par la distance au centre. L’existence d’un gradient négatif d’offre de rente permet que des ménages s’établissent du centre de l’espace jusqu’à sa périphérie compensant les coûts de transport croissants avec la distance au centre. Si le gradient n’était pas décroissant, les ménages rationnels se localiseraient tous au plus près du centre. La distance au centre s’avère un des déterminants micro-économiques du choix de localisation des ménages. Ainsi elle ressort comme une variable expliquant le prix des logements.

Si le modèle d’Alonso représente la base des modèles de localisation, il demeure bien trop réducteur pour saisir le comportement de ménages lorsqu’ils décident de résider quelque part. En effet, l’hypothèse d’isotropie de l’espace n’est pas compatible avec des espaces urbains complexes, aussi bien dans les activités et les populations abritées que dans l’aménagement des espaces privés et publics. Cette constatation aboutit à privilégier une approche anisotrope de l’espace urbain. Aussi les caractéristiques des localisations varient-elles en fonction de leur situation dans l’espace. L’anisotropie de l’espace revient à modifier l’arbitrage des ménages et à le compléter par d’autres attributs qui interviennent dans la fonction d’utilité des ménages. Elle s’accompagne également d’une sophistication de la spécification des coûts de transport et de la prise en compte de l’existence d’espaces polycentriques.

La meilleure spécification des coûts de transport consiste à revenir sur les hypothèses de radialité des déplacements et de coûts de transport uniformes pour tous les ménages quels que soient leurs revenus. Cela consiste à substituer aux coûts de transport dépendant de la distance au centre comme dans le modèle d’Alonso, la notion de coûts généralisés de transport qui prend en compte le nombre de déplacements, la distance parcourue et le temps de parcours (WINGO, 1961). Cela réside dans l’introduction de la valeur du temps qui varie de manière croissante avec le revenu des ménages. Les coûts de transports s’établissent à un niveau plus élevé pour les ménages à hauts revenus que pour les autres.

À côté de la prise en compte de la spécification des coûts de transport qui passe par une différenciation des ménages en fonction de leurs revenus et de leur composition (FUJITA, 1989), une complexification du réseau de transport peut être introduite dans l’analyse (MUTH, 1969). Parallèlement, les motifs de déplacement (CAPOZZA, 1973) et les modes de transport (MILLS, 1967 ; CAPOZZA, 1973 ; GANNON, 1993) peuvent aider à une meilleure représentation des réseaux de transport et de leurs usages, et à leur insertion dans le choix de localisation des ménages. La congestion des infrastructures de transport est également une caractéristique retenue pour compléter les modèles de localisation résidentielle (SOLOW, 1972).

Cette meilleure spécification de l’espace par un coût de transports saisi sous une forme plus compliquée et plus proche de l’observation empirique vise à expliciter pourquoi le gradient de rente offerte n’est pas forcément décroissant avec la distance au centre. En effet, le gradient de rente offerte peut croître en certains points (ou zone) de l’espace infirmant la théorie de la localisation résidentielle d’Alonso. Les transports et les coûts qu’ils génèrent pour les ménages expliquent en partie les variations singulières de la courbe de rente dans l’espace. D’autres facteurs interviennent dans cette remise en cause de l’homogénéité de la rente pour tous les logements situés à la même distance du centre.

Au-delà des seuls effets des coûts de transports variant d’un lieu à l’autre, chaque localisation peut être définie par une série d’attributs (PAPAGEORGIOU, 1990). Ces attributs revêtent différentes formes comme des éléments concernant les transports, l’environnement, les effets externes présents, et cetera. Ces attributs sont constitués des aménités positives ou négatives qui interviennent dans le choix résidentiel des ménages (FUJITA, 1989).

L’existence de biens publics locaux peut être introduite dans l’analyse par l’intermédiaire des attributs de lieux et des aménités. Les biens publics locaux se caractérisent par le fait que leur consommation est appréhendée parfois comme un effet externe. Dans tous les cas, les biens publics locaux sont réputés provoquer des effets externes (effet de débordement, congestion et impact du financement). Les biens publics locaux ne sont pas spécifiquement considérés dans les modèles de localisation les plus connus. Ils participent à la différenciation des localisations dans l’espace et des rentes offertes.

L’économie publique locale est ‘considérée comme plus publique et financière que territoriale et spatialisée. En d’autres termes l’intégration de l’espace dans les raisonnements et la modélisation de l’économie publique semble incomplète ou insatisfaisante’ (DERYCKE, 1997, p. 829). Le modèle de Tiebout, fondement de l’économie publique locale, est directement concerné par cette critique.

Le modèle de Tiebout (1956) explique les choix résidentiels des ménages en fonction de l’offre de biens publics locaux. Les ménages choisissent leur commune de résidence qui satisfait au mieux la demande de biens immobiliers. Plus le nombre de communes est élevé, plus l’offre de biens publics locaux est proche des préférences des ménages. Ce modèle s’inscrit dans le questionnement de Samuelson (1954) sur la détermination de l’offre optimale de biens publics en l’absence de mécanisme obligeant les ménages à révéler leurs préférences pour les biens publics. Tiebout montre que l’étude du vote par les pieds (la mobilité) est une méthode permettant de saisir les préférences des ménages pour les biens publics locaux. A partir du modèle de Tiebout, Oates élabore un test sur la capitalisation des dépenses des collectivités pour financer l’offre biens publics locaux et du financement par l’impôt de cette offre par les ménages. La capitalisation indique la valorisation immobilière par les ménages de l’offre de biens publics locaux.

Ces deux approches du choix résidentiel des ménages paraissent être distinctes, dans le sens qu’elles ne se situent pas dans deux perspectives explicatives similaires. En définitive, dans le cadre de notre objet, elles peuvent se compléter. En effet, les biens publics locaux sont des biens localisés dont la consommation dépend le plus souvent de la plus ou moins grande proximité entre le lieu où ils sont offerts et les lieux de consommation où les ménages le consomment. Par ailleurs, les biens publics locaux ne sont pas forcément disponibles sur l’ensemble du territoire de la commune. Pour la plupart des biens publics locaux, l’offre n’est pas identique, quelle que soit la localisation des ménages par rapport à cette offre.

Dans le modèle de Tiebout, les biens publics locaux sont fournis au niveau de chaque commune et sont disponibles pour tous les résidents de la commune. Une analogie peut être faite avec les modèles de localisation résidentielle. En effet, nous pourrions appréhender le modèle de Tiebout et son extension en termes de capitalisation comme un cas particulier d’un modèle de localisation avec effets externes ou aménités. L’ensemble des communes constituerait l’espace caractérisé notamment par l’offre de biens publics et son financement. Ces derniers seraient similaires pour toutes les localisations repérées comme faisant partie d’une même commune. De plus, en levant l’hypothèse d’homogénéité de l’offre de biens sur l’ensemble du territoire de la commune, les deux modèles fusionnent pour n’en donner plus qu’un. Le financement de l’offre de biens publics pourrait être considéré comme une aménité négative. Dans ce cas, les ménages se retrouvent dans la même situation que dans le modèle de Tiebout, ils choisissent la localisation qui propose le panier offre de biens publics locaux – financement de l’offre qui correspond à leurs préférences. Ceci conduit à supposer que les déterminants micro-économiques des choix de localisation des ménages des modèles de localisation résidentielle s’appliquent aux tests empiriques de la capitalisation.

Cette analogie conduit à s’interroger sur la méthode utilisée par Oates pour évaluer la capitalisation de l’offre de biens publics. En effet, le fait de lever l’hypothèse d’homogénéité de l’offre de biens publics locaux sur le territoire de la commune, oblige à remettre en cause la mesure de l’offre de biens publics locaux par les dépenses engagées pour les fournir. Rosen et Fullerton (1977) sont les premiers à dénoncer l’utilisation des dépenses publiques comme indicateur de l’offre (quantitative et qualitative) des biens publics locaux. Ils précisent que le recours aux dépenses publiques suppose que les fonctions de production sont les mêmes d’une commune à l’autre.

Figure 1 : L’analyse de la valorisation immobilière de l’offre de biens publics locaux
Figure 1 : L’analyse de la valorisation immobilière de l’offre de biens publics locaux

La liaison pertinente n’est pas entre les caractéristiques et les effets de l’offre de biens publics locaux et le prix des biens immobiliers, mais entre les caractéristiques et les effets de l’ordre de biens publics locaux qui interviennent dans la fonction d’utilité des ménages. Le recours aux dépenses publiques ne résulte pas uniquement d’une approximation de l’offre de biens publics. En effet, l’ensemble des tests empiriques détermine un taux de capitalisation des dépenses publiques et du niveau des impôts les finançant, qui est censé refléter la prise en compte de ces variables dans le prix des biens immobiliers. L’utilisation des caractéristiques des biens publics empêche la détermination du taux de capitalisation de l’offre de biens publics.

Par ailleurs, les ménages ne peuvent pas évaluer le niveau des dépenses publiques engagées pour l’offre de biens publics locaux. L’utilisation des dépenses publiques pour le test de capitalisation signifie que la fonction d’utilité des ménages possède pour argument les dépenses publiques. Cette hypothèse est difficilement crédible. Les ménages sont sensibles aux modifications d’utilité provoquées par l’existence, les caractéristiques des biens publics locaux et leurs externalités. Par exemple, les dépenses générées par la création d’une station de métro ne sont pas directement capitalisées par les ménages, mais ce sont les gains d’accessibilité et les changements d’aménités qui sont valorisés dans le prix de l’immobilier.

Cette valorisation immobilière des caractéristiques de l’offre de biens publics plutôt que des dépenses publiques peut expliquer que les taux de capitalisation sont rarement proches de 100 %. En effet, outre le problème du choix du taux d’actualisation et de l’horizon temporel qui conduit à des taux de capitalisation différents, les ménages vont plus ou moins valoriser les dépenses en fonction du type de biens publics qu’elles financent.

Les critiques des tests empiriques et des modèles de capitalisation n’impliquent pas l’abandon de la question de la mesure de l’impact de la fiscalité sur le prix des biens immobiliers, ni la remise en cause de la pertinence de la comparaison entre les dépenses publiques locales et leurs effets allocatifs et redistributifs. Cette problématique demeure pertinente. Mais seule l’analyse coûts-avantages peut apporter une réponse à cette question. Elle permet de mettre en parallèle les dépenses publiques et les variations des prix de l’immobilier résultant de l’offre de biens publics locaux. Elle requiert la valorisation monétaire des effets externes des politiques publiques. La capitalisation de l’offre de biens publics locaux participe à la connaissance et à la valorisation monétaire de l’impact des politiques publiques.

De plus, la spatialisation de l’économie publique locale et notamment de l’analyse de la capitalisation conduit à s’interroger sur ce qui peut se passer au sein d’une commune. En effet, remettre en cause l’uniformité de l’offre de biens publics locaux partout dans la commune suggère qu’il existe une capitalisation relevant non plus de la différence d’offre de biens publics locaux d’une commune à l’autre, mais d’une capitalisation à l’intérieur de la commune résultant des variations de l’offre de biens publics locaux. Ainsi la capitalisation externe s’accompagne d’une capitalisation interne (Starrett, 1981). L’existence de cette capitalisation confirme l’analogie des modèles de capitalisation et des modèles de localisation résidentielle lorsque l’espace est introduit dans l’analyse. L’analogie avec les modèles de localisation conduit à considérer que les mêmes phénomènes se déroulent entre les communes et au sein des communes.

Les tests empiriques de la capitalisation issus des travaux d’Oates s’accompagnent également de critiques internes. En effet, le choix des variables explicatives est susceptible de provoquer des biais de l’estimation de la fonction de capitalisation. Au côté des variables caractérisant la structure des biens immobiliers, les variables concernant l’offre de biens publics locaux et de leur financement posent des problèmes de définition. Nous connaissons les difficultés pour déterminer la variable correspondant à l’offre de biens publics locaux, à savoir le recours aux dépenses publiques ou aux caractéristiques de l’offre. La spécification de la variable fiscale est également sujette à controverses. En effet, les premiers tests ont été réalisés à l’aide du taux de la taxe foncière qui ne permet pas d’appréhender la différence de charges fiscales pour les ménages, qu’elle induit en fonction de la valeur du bien immobilier. La question est donc de choisir entre le taux de l’impôt foncier et le montant de l’impôt foncier. Privilégier la charge fiscale induit de recourir à l’estimation d’un système d’équations simultanées par les doubles moindres carrés comportant la détermination de la capitalisation et de la charge fiscale. En outre, cela oblige également à considérer que la variable fiscale n’est pas forcément une variable exogène mais une variable endogène, à estimer en même temps que l’équation de capitalisation par la méthode du maximum de vraisemblance (Reinhard, 1981; Sonstelie et Portney, 1980 ; Linneman, 1978). Ces critiques montrent le rôle important d’une part de ces variables comme déterminants micro-économiques du choix du lieu de résidence par les ménages et d’autre part de la difficulté du choix de la spécification des variables dans un test empirique.

Ces tests supposent que la capitalisation est un phénomène durable observable à tout moment sur le marché de l’immobilier. Seul Yinger (1982) considère que la capitalisation de l’offre de biens publics locaux est pérenne. Edel et Sclar (1974) indiquent qu’il s’agit de la défaillance du marché tel que décrit par Tiebout qui provoque l’apparition d’une capitalisation. Brueckner (1982) et Wildasin (1987) montrent que la capitalisation est un verdict caché sur le caractère optimal de l’offre de biens publics locaux. La capitalisation disparaît lorsque l’offre de biens publics locaux est optimale. L’analogie avec les modèles de localisation résidentielle implique de poser comme hypothèse que la capitalisation est immuable. Cela suppose que le montant de la taxe est complètement valorisé de façon négative dans le prix des biens immobiliers et que seule l’offre de biens publics locaux détermine le choix résidentiel des ménages.

L’introduction de l’anisotropie de l’espace dans les modèles de localisation résidentielle et des modèles de capitalisation permet de mieux cerner les déterminants micro-économiques des choix de localisation des ménages. Ainsi les caractéristiques de l’espace, qui se composent des attributs de lieu et des aménités, de la nature et du type de l’offre de biens publics locaux et de son financement, déterminent la localisation des ménages et indirectement le prix de l’immobilier. Dans la seconde partie, nous allons réaliser un test empirique concernant la valorisation immobilière de l’aménagement de l’espace public urbain en utilisant les enseignements de l’analyse des déterminants micro-économiques résultant de l’examen des modèles et des tests de capitalisation et de localisation résidentielle. Afin de pouvoir passer de la théorie à la réalisation d’un test empirique, nous montrerons la nécessité de recourir à la méthode des prix hédonistes (Chapitre V). Les tests empiriques de capitalisation ne justifient pas le passage de la théorie à sa confrontation à la réalité. La plupart des tests empiriques reprennent la fonction de capitalisation définie par Oates sans s’interroger sur sa spécification.

Nous examinerons les différentes sources de données disponibles sur l’immobilier. Par ailleurs, nous justifierons la réalisation d’une enquête de terrain dont l’objet est de fournir des données supplémentaires sur l’immeuble accueillant le bien immobilier et sur l’aménagement de l’espace public urbain. Enfin, nous définirons la méthodologie et les résultats de l’estimation de la valorisation immobilière de l’aménagement de l’espace public urbain par la méthode des prix hédonistes (Chapitre VI).

L’introduction de l’espace dans l’analyse des localisations des ménages conduit à nous interroger sur l’existence de relations entre les observations concernant les transactions immobilières. La distribution spatiale des résidus remet en cause une des hypothèses des modèles économétriques standard et entraîne des biais dans les estimations. Nous analyserons les causes des phénomènes d’autocorrélation spatiale des observations et les modèles économétriques spatiaux qui permettent d’en tenir compte dans les estimations (Chapitre VII). La détermination de la valorisation immobilière de l’aménagement de l’espace public urbain en fonction de plusieurs spécifications de l’autocorrélation spatiales sera réalisée et comparée aux résultats de l’estimation a spatiale (Chapitre VIII).