CONCLUSION GENERALE

L’objectif de notre thèse était d’appréhender la valorisation immobilière des biens publics locaux et plus particulièrement de l’aménagement de l’espace public urbain.

Pour l’atteindre, nous avons mobilisé les enseignements des modèles de localisation résidentielle, ainsi que des modèles et des tests de capitalisation immobilière de l’offre de biens publics locaux, afin d’isoler les déterminants micro-économiques du choix des ménages en termes de localisation. L’objet de nos travaux nous a conduit à nous intéresser à la remise en cause de l’hypothèse de l’isotropie de l’espace dans les modèles de localisation qui autorise la prise en compte de l’existence de l’offre de biens publics locaux dans les choix résidentiels des ménages. L’anisotropie des caractéristiques des localisations, au-delà d’une simple différence liée à la distance au centre, tend à rendre intelligible la croissance du gradient de rente à certains endroits de l’espace.

Par ailleurs, nous avons introduit dans le modèle de Tiebout et dans son extension en termes de capitalisation, la spatialité de l’offre des biens publics locaux au sein des communes, qui aboutit à ne plus considérer les communes comme des clubs, rendant ainsi possible une analogie entre les modèles de localisation résidentielle et les modèles de capitalisation. En effet, en levant l’hypothèse de l’uniformité de l’offre de biens publics locaux au sein d’une commune, les ménages ne choisissent plus une commune de résidence, mais un lieu de résidence ayant certains attributs, notamment l’offre de biens publics locaux, les aménités et l’appartenance à une commune déterminant le niveau de taxe foncière. Aussi, existe-t-il une capitalisation de l’offre de biens publics locaux entre communes, et au sein de chacune des communes étudiées.

La spatialisation de l’offre des biens publics locaux nous a conduit à remettre en cause la capitalisation telle qu’Oates la définit. En effet, la prise en compte dans l’analyse de la valorisation immobilière de la localisation et des caractéristiques des biens publics locaux entraîne l’absence de pertinence du recours aux dépenses publiques comme indicateur de l’offre des biens publics locaux. Oates s’est intéressé à la capitalisation immobilière des dépenses publiques, alors que nos travaux concernent la valorisation immobilière de l’offre de biens publics. Pourtant, l’analyse des tests empiriques de la capitalisation nous a apporté des informations méthodologiques importantes sur la spécification des variables à retenir dans la fonction des prix hédonistes, tant sur la variable fiscale, que sur les variables offre de biens publics locaux.

Pour le test empirique, nous avons retenu une spécification proche de celle du modèle de Yinger. Celle-ci implique que les ménages valorisent les impôts négativement et l’offre de biens publics locaux positivement, en intégrant des considérations en termes de préférences des ménages dans les prix des biens immobiliers. L’offre de biens publics locaux oriente le choix de localisation des ménages en fonction de leurs préférences. Le prix des biens immobiliers intègre entièrement les impôts payés par les ménages. Aussi cette variable n’intervient-elle pas dans leurs choix de localisation résidentielle. En revanche, elle participe à la formation du prix du logement.

Le test empirique concerne la valorisation immobilière de l’aménagement de l’espace public urbain. L’analyse du marché de l’immobilier nous a conduit à nous intéresser au marché des logements dits anciens achetés par des particuliers sur le territoire de la commune de Lyon en 1995. L’enquête de terrain auprès de 1336 transactions immobilières a permis de compléter les informations obtenues sur les attributs des immeubles qui abritent les logements et sur l’aménagement de l’espace public urbain riverain du logement. Les résultats de l’estimation de la fonction de valorisation immobilière obtenus en recourant aux outils traditionnels de l’économétrie n’infirment pas la théorie. La simulation de la valorisation immobilière de scénarios concernant l’aménagement de l’espace public urbain confirme l’importance de l’aménagement dans la formation du prix des logements puisque l’écart de prix ceteris paribus entre les scénarios extrêmes atteint 45 % (modèle 3). Sur l’échantillon étudié, la valorisation immobilière de l’aménagement de l’espace public urbain représente environ vingt et un millions de francs soit 3,8 % du montant des transactions estimées.

Malgré ces résultats conformes à la théorie, nous remettons en cause l’utilisation de méthodes économétriques standard pour estimer la fonction de valorisation immobilière avec des données qui se caractérisent par une localisation singulière dans l’espace au sein de quartiers homogènes en termes d’attributs, provoquant ainsi l’apparition d’autocorrélation spatiale. Afin de tenir compte de l’autocorrélation spatiale dans l’estimation de la fonction, nous avons recouru à l’économétrie spatiale et plus particulièrement au modèle spatial autorégressif et au modèle spatial avec autocorrélation des résidus. L’estimation de l’équation a requis la définition de matrices de distance représentant les liens spatiaux entre les observations. La détermination de ces matrices est l’un des points faibles de l’analyse puisque le choix est arbitraire. Aucun test ne fournit d’indication sur sa forme.

La présence d’hétéroscédasticité nous a contraints à l’estimation de la fonction par plusieurs méthodes afin d’observer si les résultats étaient obérés. Les résultats, sous réserve des conséquences de la présence d’hétéroscédasticité, indiquent que l’estimation par les méthodes économétriques standard entraîne généralement une modification des paramètres de l’équation de valorisation immobilière. En revanche, à l’exception de la variable distance au centre, toutes les autres variables demeurent généralement significatives du point de vue statistique. L’écart des prix, ceteris paribus, entre les scénarios polaires, en termes de valorisation immobilière, diminue pour s’établir à 41 % au lieu de 45 %. En revanche, l’estimation de la valorisation sur l’ensemble de notre population représente environ 3,8 % du montant estimé des transactions comme précédemment.

Le risque d’existence de colinéarité entre la variable spatiale et les autres variables explicatives ne permet pas d’affirmer que la prise en compte de l’autocorrélation spatiale tend à montrer que les paramètres estimés par la méthode des moindres carrés ordinaires sont généralement surestimés. En revanche, les tests d’autocorrélation indiquent que les observations sur le marché de l’immobilier se caractérisent par l’existence d’autocorrélation spatiale dont il est nécessaire de tenir compte pour obtenir des estimations moins biaisées.

Les limites de nos travaux permettent d’envisager des perpectives de prolongement de recherche extrêmement variées sur la valorisation immobilière de l’offre de biens publics locaux. En effet, l’objet demeure encore peu analysé en France. Longtemps, l’indisponibilité de données a empêché des analyses rigoureuses du marché du logement basées sur les transactions immobilières individuelles. Souvent les études sur le logement se sont contentées de recourir à des prix d’offre, à des prix moyens calculés par commune, quartier, arrondissement et aux loyers en remplacement des transactions immobilières individuelles. Pourtant, le développement des dépenses publiques locales liées au désengagement de l’état, aux transferts de compétences vers les collectivités locales accompagnant les lois de décentralisation, rend, aujourd’hui, plus vive la question de l’évaluation des politiques publiques locales analysées au travers du prisme des préférences des ménages révélées par les prix des biens immobiliers.

Notre thèse s’est intéressée à la valorisation de l’aménagement de l’espace public urbain pour les logements dits anciens achetés par des particuliers en 1995 à Lyon. Cette restriction du champ de l’analyse à la commune centre d’une agglomération millionnaire provoque des biais certains dans nos estimations. En effet, nous connaissons les effets de débordement résultant de l’offre de biens publics locaux que nos choix méthodologiques ne permettent pas de prendre en compte du fait de l’isolement de la commune de Lyon par rapport aux communes périphériques. Le choix de circonscrire le champ d’études résulte de notre volonté de travailler sur des données exhaustives d’un segment du marché immobilier. Par ailleurs, la nécessité de réaliser une enquête de terrain pour relever les caractéristiques des immeubles et de l’aménagement de l’espace public urbain rendait impossible, dans le cadre de notre travail, l’extension du périmètre d’analyse.

Pourtant, la constitution de structures intercommunales favorisée par l’état, visant à gérer en commun certains biens et services publics locaux, milite en faveur de l’étude de la valorisation immobilière de l’aménagement de l’espace public urbain sur le périmètre de ces structures intercommunales. Nous avons vu l’importance des transports dans l’aménagement de l’espace public et dans la formation des prix de l’immobilier résidentiel. Les transports urbains de personnes sont coordonnés par une autorité organisatrice qui regroupe parfois plusieurs collectivités territoriales pour définir l’offre de transports publics sur le Périmètre de Transports Urbains. Afin de pouvoir mesurer l’impact des transports sur les biens immobiliers résidentiels, il faut s’intéresser aux prix de l’immobilier résidentiel sur ce périmètre. Aussi une première possibilité d’extension de nos travaux consisterait-elle à élargir la zone d’étude à l’ensemble de l’agglomération lyonnaise représentée par le territoire de la Communauté Urbaine de Lyon.

Une partie des effets de l’aménagement de l’espace public urbain concerne l’impact des transports sur les choix résidentiels des ménages. L’accessibilité est indirectement déterminée par la proximité d’une station de métro et par la possibilité de stationner de manière bilatérale sur la chaussée. Ces mesures demeurent élémentaires. Une réflexion est à mener sur la définition de l’accessibilité et sur la détermination d’un indicateur d’accessibilité dépendant de la distance (distance-temps) de l’observation par rapport aux principaux centres (activités, achats, loisirs) et des modes de transport de l’agglomération lyonnaise.

Par ailleurs, nos travaux concernent l’aménagement de l’espace public urbain, les autres biens publics locaux ne sont pas pris en compte dans notre analyse. L’Inventaire Communal réalisé par l’INSEE qui regroupe l’ensemble des équipements communaux peut être utilisé pour connaître les biens publics locaux offerts dans chaque commune. Une réflexion préalable à l’utilisation de l’Inventaire Communal est nécessaire. En effet, la constitution d’un indice d’équipements publics dans les études s’approche souvent plus du calcul d’une mesure ad hoc que d’un indicateur pertinent résultant d’un examen du rôle de chaque bien public local dans le choix résidentiel des ménages. De plus, l’oubli de certaines variables explicatives biaise l’estimation des paramètres de la fonction des prix. Aussi, est-il nécessaire de poursuivre une réflexion sur la valorisation des autres biens publics locaux existants dans le prix des biens immobiliers résidentiels.

En outre, nos travaux ont porté sur la valorisation immobilière de l’aménagement de l’espace public urbain à un moment donné. Or, il serait intéressant de mener également une étude de la valorisation immobilière de l’aménagement de l’espace public urbain en diachronique. Par exemple, l’analyse pourrait mesurer la variation de l’introduction d’une nouvelle infrastructure de transport comme celle des lignes de tramway sur le prix de l’immobilier résidentiel.

Enfin, la détermination de la valorisation immobilière de l’aménagement de l’espace public urbain représente la première étape de la méthode des prix hédonistes. Les résultats obtenus en termes de valorisation immobilière ne correspondent pas au consentement à payer pour l’aménagement de l’espace public urbain puisque aucune information sur les caractéristiques socio-économiques des ménages n’est connue. Par ailleurs, l’absence de connaissance du montant de l’impôt payé par les ménages conduit à des estimations biaisées. Ces informations sont détenues par les services fiscaux mais sont rarement accessibles. Des enquêtes supplémentaires devraient être effectuées pour pouvoir collecter ces données. Ceci signifie qu’il faudrait lever l’anonymat des transactions immobilières.

Les perspectives de prolongement de la valorisation immobilière de l’aménagement de l’espace public urbain ne se cantonnent pas à la seule extension du périmètre de l’étude, à la prise en compte de l’existence d’autres biens publics locaux ou à une meilleure spécification des transports. Elles peuvent également s’étendre à l’approfondissement des explorations méthodologiques réalisées dans nos travaux.

L’existence d’autocorrélation et d’hétéroscédasticité spatiales dans les données observées remet en cause l’estimation des modèles par les méthodes économétriques standard. Le marché de l’immobilier se caractérise par des données spatialisées, ce qui conduit à s’interroger sur l’existence de relations entre les transactions immobilières. Afin d’obtenir des estimations non biaisées, il est nécessaire de recourir à des modèles spatiaux autorégressifs et avec autocorrélation des résidus. Les résultats obtenus en utilisant ces modèles montrent la difficulté de l’estimation lorsqu’il existe de l’hétéroscédasticité des résidus et un risque de multicolinéarité. L’économétrie spatiale propose des modèles spécifiques permettant de tenir compte à côté de l’autocorrélation de l’hétéroscédasticité des résidus. Ces modèles n’ont pu être appliqués à nos observations pour des raisons de difficultés d’application à des populations statistiques d’effectif élevé. Les résultats obtenus illustrent l’intérêt de recourir aux modèles spatiaux pour obtenir des paramètres non biaisés même si cela conduit parfois à des résultats plus décevants en termes de significativité de certaines variables.

Dans les méthodes de prise en compte de la dépendance spatiale présentées, nous avons évoqué les modèles de géostatistique basés sur la théorie des variables régionalisées. Ils permettent d’estimer la valeur d’un paramètre dans tous les points de l’espace étudié à partir de données ponctuelles. L’intérêt de la méthode est, d’une part, de fournir une estimation spatiale du prix des biens immobiliers, et d’autre part, de déterminer une valorisation de la localisation. En effet, du fait de l’utilisation première de la méthode en géologie, les résultats permettent de dresser des cartes avec des isocourbes qui représentent les variations de la valeur de la variable endogène en fonction de la localisation dans l’espace étudié. La carte est réalisée grâce aux propriétés des variables régionalisées. Les caractéristiques de chaque localisation ne sont pas connues mais les observations ponctuelles autorisent le calcul de la valeur de tous les points de l’espace. Dans le cadre de l’analyse de l’aménagement de l’espace public urbain et de sa valorisation dans les prix de l’immobilier et l’analyse du marché de l’immobilier, cette méthode semble apporter un nouvel éclairage.

Enfin, nous avons supposé implicitement que les hypothèses de la méthode des prix hédonistes étaient vérifiées sur le marché de l’immobilier. Pourtant, une forte asymétrie informationnelle et des coûts de transactions élevés caractérisent ce marché. Il serait intéressant de mesurer l’impact de la remise en cause des hypothèses sur l’estimation des paramètres de la fonction de valorisation immobilière de l’offre de biens publics locaux.

L’étude des choix de la localisation résidentielle et de la valorisation des biens publics locaux demeure encore à ses premières explorations en France. Les perspectives de recherche présentées soulignent l’étendue des applications possibles et des questionnements méthodologiques résultant de la problématique de la valorisation immobilière de l’offre de biens publics locaux.