I. Le cinéma Colonial

Durant l’époque coloniale, le cinéma a une histoire au Maghreb, mais il n’y avait pas à proprement parler un cinéma maghrébin puisque les Maghrébins n’y jouèrent qu’un très petit rôle. Selon G. Sadoul, le cinéma maghrébin à ses débuts est un cinéma étranger, essentiellement français. ‘“ C’est un cinéma exotique et d’évasion dans le sens le plus primitif et lamentablement ’ ‘innocent’ ‘ du terme, exactement à l’image de la littérature feuilletonesque de l’époque ; y dominent les schémas fameux du chameau, du minaret et de la femme voilée, y sévissent les caïds aux yeux sanguinaires ou les princesses évanescentes des harems’ ‘ 15 ’ ‘ ”’. C’est la belle époque du centenaire de la conquête de l’Algérie, avec des films comme le Bled de J. Renoir, La Croix du Sud d’A. Hugon, Le chemin de l’honneur de M. Gleize, etc. A ses débuts au Maghreb, le cinéma est une entreprise étrangère venue momentanément s’expatrier en Afrique du Nord. Ce cinéma-là fut dominé avant tout par un souci d’exotisme répondant au besoin de dépaysement du public européen auquel il était destiné 16 . Le Maghreb et sa vérité matérielle, humaine ou spirituelle, n’ont jamais effleuré ce cinéma.

Dans la période de l’après-guerre, les nouvelles caravanes du cinéma étranger n’ignorent plus le Maghreb mais prétendent se l’approprier dans une vérité qu’ils lui accordent, cette vérité, interprétée superficiellement, et comme à la hâte, est à peine moins grossière que les réalisateurs du cinéma colonial fabriquaient naguère de toutes pièces dans leur imagination et leurs studios, mais on peut y sentir une espèce de Maghreb assimilé et partiellement reconnu, dans un souci évident et très discutable de bonne volonté (cf. Au coeur de la casbah de Pierre Cardinal, Alger 1951) ou dans un autre souci, aussi évident mais plus pitoyable, de rattraper le coche ... de l’histoire (cf. Les Studios Africa de Tunis, et leurs Actualités tunisiennes de 1949). Les autorités colonialistes montrent un empressement touchant et unanime à travers le Maghreb à promouvoir un cinéma local 17 et à l’utiliser dans leur course contre le destin. C’est ainsi qu’ils ont créé successivement le Centre Cinématographique Marocain en 1944, le Centre Cinématographique Tunisien en 1946 et le Service Cinématographique du Gouvernement Général d’Algérie en 1947... dont les fameux Ciné-Bus s’égaillent bientôt dans le bled...

Une deuxième tendance du cinéma étranger (et français) au Maghreb est, par contre, beaucoup plus intéressante, parce que plus intéressée par le Maghreb, plus engagée 18 si l’on veut. Elle est généralement le fait de jeunes cinéastes, qui n’ont connu les périodes précédents du cinéma au Maghreb que dans les cinémathèques ou les ciné-clubs et pour s’en indigner, pour qui, indépendamment même du cinéma, le Maghreb a une valeur de réalité humaine et historique, plus que de cadre avantageux pour prises de vue. Cela a été dû essentiellement à la rencontre de jeunes poètes et cinéastes Français avec le Maghreb, ce furent André Zwobada (Noces de sable, Maroc 1949), Albert Lamorisse (Bim, le petit âne, Tunisie 1949) et Jacques Baratier (Goha, Tunisie 1958, Prix de Cannes).

Ainsi au moment des indépendances dans les trois pays du Maghreb, le cinéma répondait surtout aux besoins de divertissement des colons européens 19 . De plus les longs métrages étaient gérés par les compagnies étrangères de distribution implantées au Maghreb et qui soumettaient les films arabes (essentiellement égyptiens) à des taxes plus élevées que les films européens ou hollywoodiens importés 20 . Preuve s’il en était d’un système colonial qui ignorait les besoins (et, dans une certaine mesure, l’existence même) du peuple maghrébin. En effet, avant les années soixante, le Maghreb ne fut que le décor d’un cinéma colonial réalisé par des Occidentaux pour les salles d’Europe et d’Amérique. L’exploitation était tributaire des grandes compagnies, les pays maghrébins s’en rendirent compte très vite au lendemain de l’indépendance 21 .

Notes
15.

G. Sadoul, Les cinémas des pays arabes, Centre Interarabe du Cinéma et de la Télévision, Beyrouth, 1966, p. 108.

16.

Ali Baba et les quarante voleurs de Jacques Becker (1954) et L’homme qui en savait trop de Alfred Hitchcock (1955), etc.

17.

F. Boughedir, Cinéma africain et décolonisation, thèse pour le doctorat de 3e cycle, Paris, Université de la Sorbonne Nouvelle, 1976, p. 330.

18.

CinemAction, “ Cinémas du Maghreb ”, Dossier réuni par M. Berrah, V. Bachy, M. Ben Salama et F. Boughedir, n°14, printemps 1981.

19.

A. Gabous, Culture et histoire dans un pays colonisé. Le cinéma en Tunisie. Mémoire de maîtrise à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), 1979, p. 17.

20.

H. Daldoul, Une stratégie de la décolonisation du cinéma africain; document ronéotypé publié par l’Association des cinéastes tunisiens, Tunis, 1974, p. 53.

21.

A. Ben Ali, Le cinéma colonial au Maghreb, Paris, Editions du Cerf, 1998, p. 189.