IV.Le cinéma algérien : la voie “ autonomiste ” ou la nationalisation des structures cinématographiques

Il s’agit de la récupération par l’état des secteurs-clés de l’industrie cinématographique, l’importation et la distribution de films, l’infrastructure industrielle et technique etc., en excluant toute participation du capital privé local ou étranger. L’idéologie qui sous-tend cette option gouvernementale est la suivante : le cinéma est, de par ses incidences éducatives, culturelles, politiques, un produit trop “ spécial ” pour être laissé aux mains d’intérêts étrangers au pays, et être soumis aux lois du profit financier et au système de la libre entreprise. En somme, cette option suppose une conception neuve de ce qui est le cinéma : un instrument idéologique qui doit être national, au même titre que l’éducation, la télévision ou les postes de télécommunications. Cette voie a permis à ce pays de créer une industrie cinématographique nationale rentable, conforme à ses options culturelles et politiques. D’après les détracteurs de la cette voie, le cinéma nationalisé ne serait qu’une arme supplémentaire (avec la télévision) au service de la seule politique décidée par l’état. De plus, la bureaucratie qui résulte de l’établissement des structures cinématographiques paralyseraient celles-ci. Cette voie “ autonomiste ” semble bien être la seule voie “ efficace ” ayant débouché sur la naissance d’une industrie cinématographique dans quelques pays africains.

Les mouvements de lutte nationale considéraient le cinéma comme un atout majeur dans la lutte pour la libération. Ainsi, l’armée créa une unité de films documentaires dirigée par le documentariste français et partisan du F.L.N. (Front de Libération Nationale) René Vautier, dont le film le plus célèbre à l’époque fut Algérie en flammes (1959). Après la guerre de libération, le gouvernement algérien continua à jouer un rôle majeur dans l’organisation de l’industrie cinématographique, gardant le monopole de la production, de la distribution et de l’exploitation des films 34 . En raison de cette implication directe et du fait que le cinéma algérien soit né de la guerre, il n’est pas surprenant que le thème central de quasiment tous les premiers films algériens 35 ait été la guerre de libération - un sujet d’extrême importance pour la première génération de cinéastes algériens dont beaucoup avaient participé activement à la lutte. Bien que la création de l’ONCIC (Office National du Commerce et de l’Industrie Cinématographiques) modifia le secteur de production, les films algériens exploraient toujours les mêmes thèmes parmi lesquels la guerre demeurait le sujet de prédilection, quoique les approches fussent très nombreuses et très variées. La Révolution agraire du début des années 70 trouva une réponse immédiate dans le cinéma et constitua le deuxième thème de prédilection du cinéma algérien 36 .

Pour les Algériens (et les Palestiniens), le cinéma national est né de la guerre. Ses pionniers savent ce que l’Algérie doit à ses paysans, a ses villages de montagne. Il n’est guère de film où ils ne figurent. Célébré dans les films des lendemains de l’indépendance au titre de l’Histoire, le paysan algérien réapparaîtra, acteur et objet de son rôle, à l’heure de l’héritage : en 1971, avec la promulgation de la révolution agraire 37 . C’est avec la plus grande méfiance que furent examinés les projets liés à l’émancipation de la femme, par exemple. Le pas était donné, d’abord, au cinéma politique. La prudence des bureaucrates écarta les oeuvres originales 38 , celles qui justement entendaient aider à la naissance d’une société nouvelle, libérée non seulement du fardeau colonial mais aussi d’un système de valeurs traditionnelles considérées comme intangibles.

En effet, l’essentiel de la production cinématographique au Maghreb, jusqu’aux années 1980, était destiné à critiquer aussi bien les régimes néo-colonialistes internationaux que les régimes prévaricateurs des nouveaux Etats nationaux. Les cinéastes tunisiens et marocains 39 se consacrèrent à développer des thèmes négligés par la majorité des cinéastes algériens qui continuent à s’intéresser au thème de la lutte contre le colonialisme.

Notes
34.

W. Tamzali, Regards sur le cinéma algérien suivi d’une introduction fragmentaire au cinéma tunisien, Alger, Editions En.A.P., 1979, p. 32.

35.

Le vent des Aurès, Lakhdar-Hamina (1966), Hassan Terro, Rouiched (1967), El goula, M. Kateb (1972), Une si jeune paix, J. Charby (1965), etc.

36.

Le charbonnier de Bouamari (1972), Noua de Tolbi (1972), L’héritage et Vent du sud de Riad (1975), Les spoliateurs et Les déracinés de Merbah (1976), Les pêcheurs de Bendeddouche (1977), Pour que vive l’Algérie de Azizi(1978), etc.

37.

K. Khayati, Cinémas arabes. Topographie d’une image éclatée, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 60.

38.

“ Le respect des thèmes établis par le pouvoir central était particulièrement fort dans les années 70, de sorte que lorsque Rachedi voulut traiter de l’émigration (Le doigt dans l’engrenage, 1974), il dut réaliser un film indépendant à petit budget et en 16 mm”, (R. Armes, Dictionnaire des cinéastes du Maghreb, Editions ATM (l’Association des Trois Mondes), Paris, 1996, p. 13).

39.

On peut citer entre autres le marocain S. Ben Barka (Les Mille et Une Mains, 1972), le tunisien Ridha Béhi (Soleil des hyènes, 1976), etc.