Petite conclusion

Les années fastueuses pour le cinéma tunisien ont donc commencé vers 1990 et durent jusqu’à nos jours. Bien que la production de films soit restée relativement faible durant ces années, elle a presque triplé au cinéma et s’est multipliée par dix à la télévision. On remarque une hausse de la production dans les années quatre-vingt dix. Contrairement à l’Algérie où la réalisation relativement élevée de films coïncide avec des moments de prises de positions politiques marquées ou des événements commémoratifs, la Tunisie se caractérise par un cinéma qui, historiquement, n’est pas véritablement lié au politique. Le cinéma tunisien n’a pratiquement pas traité de combats ou de lutte de libération nationale.

Néanmoins, les cinéastes tunisiens vivent une situation assez paradoxale. D’abord l’absence de véritables bases pour le développement de l’industrie cinématographique (production, développement, distribution) aboutit à une perpétuation des liens de dépendance avec l’industrie cinématographique occidentale et au maintien du cinéma à un niveau de sous-développement technique et artistique. Ensuite, les cinéastes en Tunisie veulent, d’une part, contribuer au processus de développement national et à l’édification d’une société plus équitable ; et d’autre part, ils sont tenus à ne pas dépasser les limites prescrites par la société. Ce qui consisterait, en cas de critiques, à ménager les institutions, à tenir compte des frontières politiques et religieuses, à ne pas trop devancer les événements. En effet, les cinéastes tunisiens, même s’ils ne sont pas “ croyants ”, sont tout de même dans “ l’Islamité ”, c’est-à-dire une manière d’être au monde à partir d’une culture, et tiennent en général compte d’un contexte culturel spécifique. Néanmoins, les films du corpus rompent avec les habituelles idées d’inspiration humaniste où sont débattues des questions brûlantes, entre autres ‘“ la sauvegarde des valeurs fondamentales de l’Islam face à la poussée formidable de la civilisation technicienne qui a déjà déshumanisé l’Occident’ ‘ 62 ’ ‘ ”’.

Parmi les nouveaux thèmes abordés dans le cinéma tunisien figure un sujet de prédilection, celui des rapports entre les femmes et les hommes et plus particulièrement celui de la condition féminine. C’est la raison pour laquelle tous les films de notre corpus, à l’exception de L’Homme de cendres de N. Bouzid (1986), appartiennent à la dernière décennie. Dans les textes filmiques étudiés, l’image cinématographique ou le signe linguistique offrent aux sujets féminins les moyens de s’inscrire dans une langue “ autre ”, et dans un mode de représentation plus total. Ces textes proposent une sémiotisation d’éléments hétéroclites (les soupirs, les cris, le silence, etc.), qui expriment le vécu de femmes tunisiennes dont un nombre considérable est interdit du dehors.Mettant en rapport des femmes et des hommes, des individus et des groupes, chaque film constitue, à l’intérieur du monde fictif de l’écran, des hiérarchies, des valeurs, des réseaux d’échange et d’influences. Les films du corpus restituent, avec autant de précision possible, l’imaginaire collectif notamment dans la représentation de l’univers féminin et dans la mise en scène des rapports femme-homme. Ils s’insèrent dans un contexte politique, économique, idéologique et social. Dans cette étude, nous verrons comment les films traitent de ce contexte et comment y inscrivent-ils les rapports entre les sexes.

Des images filmiques ressort un bouleversement des rapports séculaires entre les femmes et les hommes. En effet, le cinéma constitue un enjeu majeur dans la société tunisienne où il joue un rôle social dynamique. Le discours cinématographique est un des discours les plus propices à l’étude de la représentation de la femme et des rapports entre les sexes à cause de sa grande popularité et de son accessibilité, par opposition au théâtre ou à la littérature, par exemple. Néanmoins cette “ opposition ” n’est qu’apparente car le cinéma est en réalité étroitement lié à la littérature. Dans le chapitre suivant, nous allons étudier les relations complexes entre le cinéma et la littérature.

Notes
62.

R. Armes, op. cit., p. 94.