II.2. Le cinéma comme “ langage ”

Le cinéma devenait moyen d’expression d’une subjectivité, comme la littérature. L’univers de la critique cinématographique, comme celui de la littérature, commence à se détourner des prestiges de l’authenticité mise à la mode par l’existentialisme. ‘“ Filmer, ce n’est plus tout à fait enregistrer le réel sur pellicule. La mise en scène est une technique de la conscience de soi’ ‘ 78 ’ ‘ ”’. Ainsi, le visuel se pare de qualités nouvelles qui ne relèvent plus de la fidélité à ce qui est montré mais bien plutôt à ce qui se dit à travers lui. La conséquence directe de cette nouvelle façon d’envisager l’image sera d’amener à la réalisation cinématographique des gens qui ressentent le besoin de s’exprimer, et pour qui le 7e Art est devenu un langage comme un autre.

Apparaît dans l’histoire du cinéma, une génération de réalisateurs, tels que Agnès Varda, Chris Marker, que ne paralysent plus ses ignorances techniques et sur qui ne régnera plus l’impérialisme d’un appareillage compliqué. De la sorte, on trouvera réalisé le voeu de Marc-Gilbert Sauvageon aspirant à un cinéma devenu “ parfait instrument technico-littéraire ”. Il est incontestable que les perfectionnements de l’outil ont eu un rôle déterminant sur cette évolution du cinéma vers l’affirmation d’une subjectivité personnelle analogue à ce que, seule jusqu’alors, permettait la littérature.

La plupart des cinéastes de l’époque ont une connaissance du cinéma que bien peu avant eux possédaient. De plus, il faut signaler les relations originales qu’ils entretiennent avec la littérature. Elle a été, dans leur jeunesse, la même découverte que le cinéma pour la génération précédente, témoin ces propos de Luc Moullet : ‘“ Nos réactions à l’égard de la littérature, lorsque nous découvrîmes pour la première fois la culture, c’est-à-dire le cinéma, furent violemment hostiles. Par la suite, elles se transformèrent en une sympathie légèrement condescendante, mais, le recul aidant, mêlée d’admiration. Il fallait que Stendhal fût vraiment le plus fort pour qu’avec si peu de moyens à sa disposition il ait réussi à s’élever à la hauteur de Murnau ou de Griffith’ ‘ 79 ’ ‘ ”’. Leur rapport au monde des lettres n’est donc plus honteux ou condescendant. Au contraire, ils l’affichent comme une conquête, et le cinéma est pour eux, parfois, une façon de dire leurs admirations littéraires.

Ainsi s’affirme, dans l’utilisation du littéraire par le cinéma, une dialectique de l’individuel et du collectif où les mots, servant la communication intersubjective, viennent s’intégrer au médium iconique, seul apte à le faire partager au plus grand nombre. Cette dialectique hantera, sous des aspects divers, les relations personnelles des écrivains avec le 7e Art, à travers l’adaptation ou le ciné-roman.

Par ailleurs, il est remarquable que les recours nombreux et explicites faits à la culture littéraire entraînent une redécouverte du pouvoir propre à la parole, jusqu’alors sacrifiée à la “ spécificité ” iconique. Voici que la parole écrite entre dans le film et qu’elle en devient une composante majeure, ce qui faisait parler André Bazin de ‘“ la fécondité du cinéma littéraire’ ‘ 80 ’ ‘ ”’. On admire la “ mise en scène ”, dans la mesure précisément, où elle ‘“ a substitué la parole à l’organisation dramatique du scénario’ ‘ 81 ’ ‘ ”’. La disparition du récit dramatique marque l’avènement, au cinéma, d’une réflexion sur la narrativité dont par exemple le film Hiroshima, mon amour de Alain Resnais apparaîtra comme la réussite exemplaire. L’exemple de la collaboration originale que sut établir A. Resnais avec des romanciers aussi différents que Jean Cayrol, Marguerite Duras, Alain Robbe-Grillet, Jorge Semprun, montre que les relations entre les deux types de processus créateurs se sont approfondies et enrichies mutuellement au point de donner naissance à des produits inédits dans l’histoire du cinéma et, aussi, de la littérature.

Notes
78.

A. Labarthe, Essai sur le jeune cinéma français, Paris, Le Terrain Vague, 1960, p. 35.

79.

L. Moullet, “ L’écrivain de cinéma en quête de son paradoxe ”, Cahiers du cinéma, n° 103, janvier 1960, p. 34.

80.

A. Bazin, “ De la politique des auteurs ”, Cahiers du cinéma, n° 70, avril, 1957, p. 20.

81.

M. Decaudin, Roman et cinéma, Revue des Sciences Humaines, fasc. 104, octobre-décembre 1961, p. 100.