II.3. Retrouvailles et collaboration

Ainsi, les retrouvailles avec la littérature incitent de plus en plus le cinéma à sacrifier le montré au profit d’un approfondissement de la réflexion, où les règles du récit se dissolvent, remplacées par la subjectivité d’une parole d’auteur. On voit donc que la réflexion sur le 7e Art poursuivait sans faillir sur la voie “ littéraire ”. Certes il s’agit d’“influence ” d’un art sur l’autre, mais il s’agit également de retrouvailles et de convergences, les barrières s’abolissent entre les modes d’expression et les genres, et permettent d’envisager l’oeuvre comme une totalité empruntant à tous les langages. 

Concept essentiellement mouvant, soumis aux vicissitudes d’une évolution historique qui en rend quasiment impossible l’analyse, on a vu que la notion d’“ influence ”, du fait même des ses avatars, est significative d’une transformation progressive des rapports entretenus par les écrivains avec les images modernes. Une sorte d’évolution dialectique se dégage : après une vague d’enthousiasme pour l’idée de rencontres et d’échanges entre travail littéraire et travail cinématographique, chez un nombre important d’écrivains des années 20, l’apparition du cinéma parlant suscite un mouvement de reflux. Le concept même d’influence est alors la plupart du temps renié avec la plus grande énergie dans les milieux littéraires, devenus en général hostiles à un cinéma qui leur semble ‘“ piller maladroitement la littérature dans un but de grande diffusion commerciale’ ‘ 82 ’ ‘ ”’. Enfin, apparaît peu à peu, après la seconde guerre mondiale, une troisième étape où les antagonismes entre cinéma et roman se trouvent en quelque sorte dépassés par un nouveau mode de collaboration entre les créateurs dont Alain Robbe-Grillet ou Marguerite Duras, pour les écrivains, Alain Resnais pour les cinéastes, offrent des exemples particulièrement significatifs : ils expriment l’établissement d’une relation non plus d’influence, ni de rivalité, mais d’“ osmose originale 83  ” entre les deux moyens d’expression.

Parallèlement, il aura fallu, pour que s’opère cette réconciliation féconde, que des écrivains passent eux-mêmes derrière la caméra pour tenter d’adapter des textes d’abord écrits pour être lus. Certains, comme Malraux, Cocteau, Giono, ont transposé eux-mêmes leurs romans ou leurs pièces pour l’écran et ont ainsi accompli une sorte de trajet parfois complexe allant des mots écrits aux images. Au cinéma imprégné de littérature de la Nouvelle Vague correspond, dans les mêmes années, une littérature imprégnée de cinéma. Le 7e Art est présent dans le roman, non seulement sous forme de thèmes plus ou moins développés, amis encore grâce aux nombreuses citations, comparaisons, métaphores qui témoignent que l’horizon culturel les inclut désormais à l’égal des autres références littéraires ou artistiques, même chez les auteurs les moins soupçonnables d’avant-gardisme. Un domaine dans lequel les retrouvailles et collaboration entre littérature et cinéma se manifestent le plus est sans doute celui de la narratologie. Les critiques parlent souvent de l’adaptation de la narratologie littéraire au récit cinématographique. Qu’elle est l’influence de la littérature sur le cinéma dans le domaine de la narratologie? Comment sont transposés, dans le cadre de l’analyse narratologique, les procédés littéraires dans le filmique?

Notes
82.

C. Connolly, “ Le cinéma va tuer le roman ”, Nouvelles littéraires, 17 juin 1948.

83.

A. Robbe-Grillet, “ Roman et Cinéma ”, Roman, n° spécial, septembre 1951, p. 60.