La diégèse est donc d’abord l’histoire comprise comme pseudo-monde, comme univers fictif dont les éléments s’accordent pour former une globalité 100 . Il faut donc la comprendre comme le signifié ultime du récit. Ensuite, son acception est plus large que celle de l’histoire qu’elle finit par englober. Aussi peut-on parler d’univers diégétique qui comprend aussi bien la série des actions, leur cas supposé (géographique, historique ou social) que l’ambiance de sentiments ou de motivations dans lesquelles elles surgissent. Le récit est l’énoncé dans sa matérialité, le texte narratif qui prend en charge l’histoire à raconter. Mais cet énoncé, qui n’est formé dans le roman, que de langue, comprend au cinéma des images, des paroles, des mentions écrites, des bruits et de la musique, ce qui rend déjà l’organisation du récit filmique plus complexe. Selon les auteurs de l’Esthétique du film 101 , lerécit filmique est un énoncé qui se présente comme un discours, puisqu’il implique à la fois un énonciateur et un lecteur-spectateur.
Au cinéma, il est souvent difficile de distinguer les signes qui démarquent l’énonciation de la narration. Le problème de l’énonciation se pose de façon frontale et a été soulevé par plusieurs auteurs dont D. Chateau 102 , F. Casetti 103 et Ch. Metz 104 . Le premier propose un système générique de l’énonciation au cinéma, tandis que le second affirme que l’énonciation traverse de part en part le film, y compris dans le film narratif. Par exemple, dans un discours filmique, le jeu musical qui sert à accentuer un mouvement dramatique ou le déplacement de la caméra qui isole un visage afin d’en amplifier l’expression, sont considérés comme des signes d’énonciation.
Dans l’étude du niveau narratif, la théorie cinématographique s’est essentiellement inspirée des travaux de G. Genette sur le récit littéraire. Selon l’auteur des Figures, la narratologie littéraire distingue trois notions interdépendantes : la narration, le récit et l’histoire. Genette définit l’histoire comme : ‘“ Le signifié ou contenu narratif [...]. [Le] récit proprement dit [est] le signifiant, énoncé, discours ou texte narratif lui-même, et [la] narration est l’acte narratif producteur et, par extension, l’ensemble de la situation réelle ou fictive dans laquelle il prend place ’ ‘ 105 ’ ‘ ”’. Dans sa définition, l’auteur assimile histoire à diégèse. Il entend par histoire ce que la théorie cinématographique entend par diégèse. Au cinéma, l’histoire est l ’ensemble des événements effectivement produits, alors que la diégèse est l’univers fictionnel présupposé par le film.
Une analyse narrative est donc l’étude du récit, de la narration et de l’histoire, et de leurs relations réciproques. Cette étude comporte d’une part l’analyse du temps qui consiste à montrer, grâce à l’ordre, la durée et la fréquence, comment se font les jeux temporels entre l’histoire et le récit. D’autre part, cette étude comporte l’analyse du mode c’est-à-dire la représentation narrative et l’étude de la voix, en d’autres termes les modes d’implication de l’instance narrative. On peut distinguer entre trois types de rapports qui sont nommés, à la suite de G. Genette, ordre, durée et mode.
Afin d’aborder l’analyse des récits de films, nous avons surtout adopté la démarche de G. Genette qui a été le point de départ de la réflexion sur la narration. Distinguant entre histoire, récit et narration, l’auteur propose de faire l’étude de leurs relations respectives. Nous avons écarté l’analyse du temps (du récit par rapport à l’histoire, etc.) pour laisser place, d’une part, à l’étude de la voix (“ qui raconte ”) qui relève des implications des instances narratorielles, et, d’autre part, du mode (“ qui voit ”), soit la perspective narrative adoptée par le récit et la régulation de l’information. Les questions relatives au mode ou au “ qui voit ” appartiennent à la notion de focalisation qui concerne le savoir du narrateur et des personnages. Nous en nous discuterons dans le chapitre suivant (voir focalisation).
“ La diegesis, chez Aristote et chez Palton, était avec la mimesis, une des modalités de la lexis, c’est-à-dire une des façons, parmi d’autres, de présenter la fiction, une certaine technique de la narration. Le sens moderne de “ diégèse ” est légèrement différent de celui d’origine ”, dans J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet (éds), Esthétique du film, Paris, Nathan-Université, 1983, p. 80
J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, Ibid, p. 76.
D. Chateau, “ Diégèse et énonciation ”, Communications, n° 38, Paris, Seuil, 1983, pp. 89-94.
F. Casetti, D’un regard l’autre, le film et son spectateur, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1990.
Ch. Metz, L’énonciation impersonnelle ou le site du film, Paris, Méridiens Klincksieck 1991.
G. Genette, Figures III, Paris, Seuil, coll. “ Poétique ”, 1972, p 72.
R. Barthes, op. cit., p. 25-26.