CHAPITRE III
L’ANALYSE NARRATOLOGIQUE DES FILMS DU CORPUS

Les synopsis des films du corpus

L’Homme de cendres 114 , (N. Bouzid, 1986) : Hachemi, jeune sculpteur sur bois de la vieille ville de Sfax, est sur le point de se marier. L’union a été organisée par ses parents. Cet événement provoque en lui une remise en question de sa vie, de son passé d’où resurgit un pénible accident dont son ami Farfat a été également victime. Encore enfants, leur maître d’apprentissage, Ameur, les a violés ; ce souvenir les traumatise et ils se réfugient dans leur amitié de toujours. Avec deux autres amis, ils forment un groupe désemparé qui se situe mal entre l’adolescence et les responsabilités de l’âge adulte, entre la tradition, la morale familiale et la liberté. A travers l’histoire de Hachemi, nous découvrons un monde souterrain dans lequel sont échangés des rapports de violence et de manipulation entre les hommes et les femmes.

Tunisiennes 115 ,(N. Bouzid, 1998):Ce film est l’histoire parallèle de trois jeunes femmes : Amina, Aïda et Fatiha. Amina, rencontre dans un marabout une amie d’enfance, Aïda, qu’elle a perdu de vue pendant 15 ans. Cette rencontre provoque en elle une remise en question de sa vie en général et de sa vie de couple en particulier. Elle est en fait mariée à Majid, un riche entrepreneur, qui la maintient dans une dépendance psychologique et financière. Aïda est divorcée avec deux enfants, et son compagnon palestinien la quitte pour retourner dans son pays. Sa vie amoureuse est parsemée d’échecs car les hommes la fuient considérant qu’elle est “ trop libre ”. Fatiha est une réfugiée algérienne qui a fui son pays à cause des troubles politiques et surtout à cause de l’assassinat de sa soeur par les “ islamistes ”. Sa déception est grande en Tunisie car elle constate avec amertume qu’‘“ une femme est toujours étrangère en Terre d’Islam, en terre d’hommes, que ce soit l’Algérie ou la Tunisie ”’. Slah, un ami d’Aïda, est violoniste. Il est divorcé, souffre de la solitude et rêve de rencontrer l’âme soeur. Ce film raconte la solitude des femmes et des hommes qui se croisent mais ne se rencontrent jamais à cause d’un système de valeurs sclérosées et déplacées dans une société tunisienne contemporaine tiraillée entre tradition et modernité.

Halfaouine, L’Enfant des terrasses , (F. Boughedir, 1990) : Un jeune enfant de dix ans, accompagne sa mère au hammam des femmes de Halfaouine, un des quartiers populaires de la vieille ville de Tunis. Sa puberté naissante attise son inquiétude d’être partagé entre le monde des hommes qui l’attire et celui des femmes qui le protège encore. Cette histoire commune à tous les enfants du monde prend une valeur particulière dans le monde musulman de la Tunisie. F. Boughedir essaie de ‘“ parler le plus justement possible d’enfance et de sexualité en terre d’islam au moment où les interdits reviennent plus rigides que jamais’ ‘ 116 ’ ‘ ”’. A travers les pérégrinations de Noura dans la médina de Halfaouine, nous découvrons la vie des habitants de quartier : son ami de toujours Salih, amateur de femmes et d’alcool ; deux personnages hypocrites : son père et le Cheick Mokhtar ; deux personnages féminins contradictoires : sa tante maternelle Latifa, une figure “ émancipée ” de la femme tunisienne et sa tante paternelle Salouha, une figure “ archaïque ” ; etc. A travers le regard d’un enfant, Noura, F. Boughedir nous fait découvrir la vie quotidienne de cette petite communauté de Halfaouine, microcosme de la société tunisienne.

Les Silences du palais , (M. Tlatli, 1994) : Une jeune femme, Alia, n’a pas trouvé d’autre emploi pour sa magnifique voix que de chanter dans les mariages et les grandes fêtes de famille. Son compagnon, Lotfi, dont elle est enceinte ne veut pas s’engager et lui demande d’avorter... Elle apprend alors la mort d’un prince (appartenant à la famille du Bey), Sid’Ali, son ancien maître chez qui elle a passé toute sa jeunesse. De retour au palais, elle rencontre la vieille servante Khlati Hadda qui fait déclencher les souvenirs à rebours. A travers ses pérégrinations dans l’espace clos du palais, Alia y revoit les images cruelles de sa mère, Khadija, des servantes, des années de soumission et de souffrance. Elle y est née de père inconnu, bien que tout laisse à penser qu’elle soit la fille naturelle du prince. Le silence reste de règle. Sa mère est morte sans rien révéler, esclave des habitants du palais qui l’ont achetée à l’âge de dix ans pour les servir, en tant que servante, cuisinière, courtisane, danseuse ... A travers le regard d’une enfant, Alia, ce film retrace la vie d’une communauté essentiellemnt féminine au moment de la colonisation de La Tunisie. Ces deux films, Halfaouine et Les Silences du palais sont “ narrés ” par des “ enfants ” : Noura et Alia. Nous pourrions y voir une similitude avec la littérature. Ch. Bonn, étudiant la littérature algérienne de langue française, remarque que plusieurs romans sont bâtis à partir du ‘“ regard d’un enfant-prétexte, souvent personnage central observateur’ ‘ 117 ’ ‘”’. Il nous semble que cette remarque convient aux films de F. Boughedir et de M. Tlatli chez qui la préoccupation pour le regard du personnage-narrateur-enfant, est majeure.

Notes
114.

Le titre arabe est Le Vent du Sud.

115.

Le titre arabe est Bent familia, c’est-à-dire : “ Fille de bonne famille ”.

116.

F. Boughedir, interview dans Libération, Paris, le 17 juillet 1990.

117.

Ch. Bonn, Le roman algérien de langue française : Vers un espace littéraire décolonisé?, Paris, L’Harmattan, 1985, p. 169.