IV. Narrativité et Temporalité

Dans l’analyse des films, il sera peu question du temps. En fait, nous ne voyons pas l’intérêt, dans le cadre de notre analyse, d’une comptabilité ou d’une expérimentation proprement technique du temps. Il nous importe plus de savoir comment des matières temporelles composites sont productrices de sens. Contrairement au verbe, qui nous situe immédiatement sur l’axe temporel, l’image cinématographique ne connaîtrait qu’un seul temps que Laffy décrit ainsi : ‘“ tout est toujours au présent au cinéma’ ‘ 154 ’ ‘ ”’. L’image filmique serait au présent parce qu’elle nous donnerait l’impression de suivre l’action “ en direct ”.

Au cinéma, le spectateur n’a pas, comme le lecteur de roman qui veut se rassurer, la ressource de sauter à la fin de l’épisode pour vérifier de quelle façon s’accomplit le programme. La durée filmique, c’est tout simplement celle de la projection, le temps mis par le film à passer sur l’écran. ‘“ La durée diégétique, c’est celle de l’histoire racontée, le laps de temps fictif rapporté par le film’ ‘ 155 ’ ‘ ”’. Le récit littéraire est éventuellement atemporel ; le récit cinématographique est régi par la durée, régulière donc mesurable de la projection. Dans Tunisiennes, par exemple, deux tiers des segments sont des unités temporelles sans rupture perceptible ; le film joue donc sur le temps de l’histoire. On pourrait ne voir là qu’un effort supplémentaire vers le réalisme.

Au cinéma l’image montre des lieux, des objets, des bâtiments, des hommes et des femmes avec leurs vêtements, leurs coupes de cheveux, leurs langages, etc., autant de points de repère pour une “ datation éventuelle de la fiction ”. Contentons-nous ici de souligner l’intérêt d’un relevé des marques implicites de la datation, référence à des événements historiques (cf. guerre de libération dans Les Silences du palais), détails matériels (costumes, objets, décors). La contemporanéité est le plus souvent implicite : le lecteur ou le spectateur est censé reconnaître “ son ” présent. Par exemple un spectateur tunisien reconnaît la contemporanéité d’un film comme Tunisiennes.

Notes
154.

A. Laffay, Logique du cinéma, Paris, Masson, 1964, p. 18.

155.

D. Percheron, “ Diégèse ” dans J. Collet, M. Marie, D. Percheron, J.-P. Simon, M. Vernet (éds), Lectures du film, Paris, Editions Albatros, (coll. ça/cinéma), p. 74.