Petite conclusion

Entre la tradition invivable désormais, la loi qu’on transgresse en se culpabilisant, les conduites interdites, le paroxysme des sentiments est porté à son comble. Et le couple meurt de ne pas pouvoir exister. La sexualité en général et celle du couple en particulier est au service du groupe, elle est socialisée. Il faut donc taire la sexualité spontanée, personnelle et surtout le désir. Amina l’explique avec amertume ‘“ il y a longtemps que j’ai oublié ce que signifie le mot ‘plaisir’ ”’. La sexualité libidineuse, biologique est prohibée et doit être obligatoirement asservie au social. Dans tout cela, le couple n’a pas de place, car il n’a de réalité que dans sa finalité procréatrice. Le couple n’existe qu’épisodiquement, sans l’idéologie du couple telle qu’on la connaît ailleurs, puisque mari et femme jouent essentiellement leurs rôles, dans la famille agnatique, chacun de leur côté, au sein de deux groupes séparés, distincts, celui des hommes et celui des femmes. En fait, le mariage ne saurait être en aucune façon la consécration d’un couple, ce qui est une vision européocentriste. Le mariage n’est pour la femme comme pour l’homme qui sont mariés “ par les parents ” qu’une étape qui permettra d’accroître la famille patrilignagère, et, pour la femme, un passage obligé pour atteindre la maternité.

Entre l’homme et la femme, à l’instar de Majid et Amina, ressentiments, griefs réciproques s’enchaînent dont ni l’un ni l’autre ne sont principalement responsables. Ils sont pris dans un véritable engrenage où, malgré le désir de l’un ou de l’autre, leurs comportements se trouvent inexorablement induits. Point de couple mari-femme, pas d’égalité possible entre deux personnes de sexe différent jusque-là inconnues l’une de l’autre, imposées l’une à l’autre par une volonté supérieure et qui partagent une seule tâche commune à eux deux seuls : avoir des rapports sexuels fécondants de manière à assurer la reproduction sociale et la puissance du lignage. Dans le couple mari et épouse, l’incommunicabilité s’est établie dès les premiers instants de leur vie conjugale. Entre eux s’est amorcé un jeu de rapports de force, comme s’ils étaient d’emblée engagés dans une lutte, chacun redoutant la domination de l’autre. Aucune des bases sur lesquelles se fonde le couple ne peut exister : nulle intimité n’est permise. Avec le temps, la maternité de la femme suppléant la maternité de la mère souvent alors disparue, le fils devenu père peut parfois devenir plus proche de sa femme et une forme de couple peut exister qui lie les parents : un homme-père et une femme-mère et non pas des partenaires : point d’homme-mari et point de femme-épouse.

La ségrégation entre les sexes marque encore très fortement les comportements, car le monde social était représenté dans la société patrilignagère comme organisé autour de cette dichotomie et l’est encore dans la société maghrébine contemporaine. Dichotomie entre deux univers séparés, celui des hommes et des femmes. L’absence de communication entre les deux sexes revêt une valeur normative. Les mariages arrangés, à l’instar de celui de Majid et d’Amina, ne prédisposent pas les conjoints à une communication de qualité puisque l’intimité conjugale est réprouvée. Cette incommunicabilité commence dès l’enfance ; les mêmes conduites sont toujours prescrites aujourd’hui : réserve, évitement, chemins séparés, voile, voire enfermement des femmes. L’incommunicabilité entre les hommes et les femmes est notamment saillante au niveau de l’utilisation de la parole. La parole féminine et la parole masculine sont enfermées dans des mondes disjoints régis par des règles sociales hiérarchisantes dans lesquelles la parole des femmes et celle des hommes se croisent mais ne se rencontrent quasiment jamais. Quels sont les critères de découpage de la parole et de sa distribution dans les films du corpus? Comment s’exprime la parole féminine? Quel rôle joue la parole dans les rapports entre les sexes?