II. L’espace du dehors

II.1. La ville

Le traitement de l’espace dans la tradition maghrébine se définit à partir de l’opposition : opposition entre l’intérieur et l’extérieur, la rue (ville) et la maison. Les films du corpus se situent essentiellement dans l’espace urbain où parfois la claustration est de rigueur. En ville, dans la société traditionnelle comme celle des Silences du palais,la claustration était de rigueur dans presque tous les milieux et l’enfermement était réservé même aux femmes des familles les plus riches. Dans le film de M. Tlatli, les citadines et les bourgeoises, à l’instar des “ femmes du peuple ” subissent également la réclusion. Le générique de ce film s’ouvre sur les images du personnage principal, Alia, en train de chanter, accompagnée d’un orchestre d’hommes. Dans la séquence suivante, on la voit monter dans une voiture avec son compagnon Lotfi et disparaître dans les rues de Tunis. Au début du film, la ville est connotée comme un espace d’ouverture et de liberté puisque la suite des événements nous apprend que la jeune femme y vit avec son compagnon, sans mariage. Le discours fluide de la ville se fait sur sa contrepartie, c’est-à-dire l’intérieur du palais avec ses isolements et ses désolations. La suite de la diégèse présuppose une position énonciative très marquée. Elle est insérée dans le flash-back, c’est-à-dire dans le parcours antérieur du personnage féminin. Ce flash-back, qui est constitué d’une “ juxtaposition filée” de plans, oriente la lecture en accolant une valeur positive au dehors. En effet, ‘“ la ville peut être le refuge des marginalisés, des célibataires soucieux d’indépendance, des femmes aussi, veuves, divorcées, trouvant dans la ville un moyen de subsister avec leurs enfants’ ‘ 283 ’ ‘ ’”. En Tunisie, le nombre des femmes chefs de famille dans les villes est assez important. N. Bouzid décrit avec justesse cette réalité dans son film Tunisiennes où Aïda, jeune femme divorcée, vit seule avec ses enfants. N. Bouzid montre également à quel point, dans ces grandes villes, les nouveaux habitants, et surtout les femmes seules à l’instar d’Aïda, perdent l’environnement sécurisant de la parenté.

Dans les films du corpus, l’espace urbain est composé de deux villes : la ville arabe, la “ médina ” et la ville moderne surnommée la ville “ française ”. Halfaouine est en fait un vieux quartier populaire situé dans la médina de Tunis. Il est le lieu d’une forme indirecte de critique sociale à plusieurs niveaux (moeurs, insuffisance de prise en compte par l’état des besoins sociaux, tensions que contiennent les rapports femmes-hommes, etc.), mais aussi d’une certaine manière Halfaouine est aussi un “ coup de chapeau ” à l’humour du peuple. L’humour est en fait à double sens car il semble un trait caractéristique du peuple, mais le cinéaste semble aussi l’utiliser et le considérer également comme un régulateur social. Sa mise en scène atténue les tensions et dans ce film elle atténue aussi la critique du cinéaste.

Dans Halfaouine et L’Homme de cendres, plusieurs plans sont de simples panoramiques ou travellings de la “ ville arabe ”. Le mouvement de la caméra est strictement descriptif sur un décor au sein duquel aucune action n’est menée. Les longues pauses descriptives de la ville ralentissent l’action principale. En littérature, l’exemple privilégié de cas de figure qu’est la pause reste ce que l’on appelle, précisément, la description ‘“ où un segment quelconque du discours narratif correspond à une durée diégétique nulle’ ‘ 284 ’ ‘ ”’. Dans le film de F. Boughedir, la deuxième séquence du film enclenche directement sur le générique qui se déroule sur un plan général inaugural de la médina et les inscriptions écrites (l’équipe de production et d’adaptation scénaristique) préparent le regard extérieur à se poser sur la communauté du quartier populaire Halfaouine et à suivre les événements de la fiction. Ces brusques changements temporel et spatial se font en l’absence de toute inscription. Après la première séquence du pré-générique qui se passe dans le hammam, le spectateur est propulsé brusquement dans l’espace du quartier de Halfaouine. Le passage du pré-générique (hammam/dedans) au générique (Halfaouine/dehors) repose sur une narration omnisciente et sur une vision panoptique et englobante. Le long panoramique, le travelling et les plongées du quartier de Halfaouine décrivent le début du récit. Autrement dit, les premières séquences annoncent déjà le régime de focalisation privilégié. Tantôt emphatique, notamment à l’intérieur de la maison et dans les ruelles de Halfaouine, tantôt parcimonieuse au hammam, la description d’un lieu est à la fois fragmentée et répétitive. Plus la description l’approfondit, plus elle fait de retours sur lui et le montre sous ses différentes facettes, et plus sa saisie devient difficile et ses connotations multiples. Le retour descriptif sur le même lieu le problématise et brouille le savoir qu’on a de lui. Donc la description suit rarement le sens d’une vectorisation linéaire, mais épouse plutôt un mouvement centrifuge.

Après la représentation emphatique du hammam du prégénérique et du panoramique de la vieille ville, le générique de Halfaouine s’achève sur un plan en plongée de la mosquée à l’heure de la prière. Ce plan est soutenu par les voix des croyants appelant Dieu à absoudre leurs péchés. Le thème du plan suivant se situe aux antipodes du thème religieux. Il nous montre deux jeunes gens, Moncef et Mounir, sillonnant le quartier et molestant les femmes voilées, entièrement enveloppées dans le safsari 285 . Le spectateur est introduit dans le quotidien de la communauté du quartier. Dans ce quotidien, on voit souvent le personnage principal, Noura, circuler dans les petites ruelles et les méandres de la “médina ”. Sa circulation, passant d’un plan à un autre, subsume en quelque sorte la distance séparant les différents segments spatiaux et tisse un lien entre eux.Les raccords entre les différents plans de la vieille ville ont une signification spatiale. Au plan narratologique, c’est par l’expression successive de ces significations que le grand imagier fait avancer le récit. L’un des rapports spatiaux est celui qui articule, par exemple, deux segments spatiaux d’une ruelle de la médina (deux segments de l’espace diégétique) en chevauchement partiel d’un plan à l’autre.

Dans les séquences où Noura traverse l’espace de la médina, le cut in ou le raccord se fait soit en plan rapproché (plan de la façade de la petite échoppe de Salih) soit en gros plan (détail de la façade : gros plan sur la pancarte accrochée au dessus de la porte de l’échoppe, “ Chez Salih, chaussures, théâtre et chansons ”). Il fait se répéter, à la faveur du passage entre deux plans, une portion du segment spatial vu dans un premier temps. Le plan qui vient en deuxième lieu montre ainsi un détail du premier. L’opération inverse, présente le passage du plan rapproché de la façade au plan moyen du même espace, qui montre le détail (la pancarte), pour revenir au plan initial (la façade), le détail est montré avant l’ensemble. Les trois plans montrent, bel et bien, le même espace, mais ils le montrent dans des proportions différentes. De tels raccords, si on voulait les traduire en langage parlé, trouveraient leur équivalent approximatif dans l’“ici même ” que pourrait dire le narrateur verbal : “ Voyez, ici même, (dans l’espace de ce plan de façade), il s’agit d’une boutique de cordonnier ”.

Noura passe ses journées à déambuler dans la rue, espace exclusivement masculin, où le spectateur aperçoit fugitivement des silhouettes de femmes enveloppées dans un “ safsari ”, se profilant dans les rues. La femme, même voilée, devient une rivale de l’homme dans la conquête de l’espace. Le voile est un premier pas vers la liberté et l’expression d’un progrès pour les femmes qui est en même temps un risque pour les hommes. Comme l’explique Assia Djebar, ‘“ les femmes voilées sont d’abord des femmes libres de circuler, plus avantagées, donc, que les femmes entièrement recluses... La femme voilée qui circule de jour dans les rues de la ville est donc, dans une première étape, une femme ‘‘évoluée’’’ ‘ 286 ’ ‘ ”’.

Dans Halfaouine, entre les femmes confinées dans la maison (La’ Jamila et Salouha), et les femmes voilées d’un safsari blanc dévalant à la hâte les ruelles de la Médina, l’espace extérieur semble être réservé aux hommes. La présence des femmes est entourée de divers justificatifs qui l’autorisent (nécessité de la vie pratique : faire le marché, etc.) L’interruption dans cet univers d’une femme non-voilée, Latifa, qui décide et maîtrise sa vie, et dont l’itinéraire s’apparente au trajet masculin est un événement qui bouleverse la conception de Noura lorsqu’il découvre cette femme rebelle. Le choc de cette découverte va profondément agir sur lui. On verra qu’il s’en suivra une prise de conscience de l’existence de la femme, en tant qu’individu.

Pour pouvoir circuler plus librement dans la Médina, Latifa opte parfois pour le port du voile qui lui fournit par son anonymat une protection. A l’opposé de Latifa, Salouha vit cloîtrée et n’ose guère s’aventurer, même voilée, en dehors de la maison. Ce n’est que dans la séquence finale du film qu’elle décide pour la première fois d’imiter Latifa. Elle se voile et part à la poursuite de l’homme qui fait battre son coeur, le Cheick Mokhtar, dans les ruelles étroites de la Médina. La décision de Salouha provoque la colère de son frère, Si Azzouz, qui essaie de l’empêcher de sortir car la menace est grande lorsque la femme sort, même voilée. Si Azzouz en sait quelque chose puisqu’il “ reçoit ” dans sa boutique des femmes voilées. Mais pourquoi l’homme craint-il à ce point la présence de la femme dans l’espace du dehors, même voilée? Pourquoi cherche-t-il à la limiter à l’espace confiné de la maison?

Dans la société maghrébine traditionnelle, l’homme astreint la femme à la réclusion afin de l’abriter des regards étrangers qui nuiraient à son honneur de mâle. Dans la tradition arabo-musulmane, le regard est investi de valeurs très puissantes. Dans ce cas, le viol oculaire ou fantasmatique subi par la femme touche également l’homme. Le rempart le plus sûr pour protéger l’honneur masculin reste la claustration mais également le port du voile. Les hommes se sentent menacés de perdre leur pouvoir sur le corps féminin dont ils se servent comme objet sexuel et comme instrument de fécondité. Ainsi, l’interdiction de voir et d’être vue cristallise la volonté de domination exclusive d’hommes effrayés que leur privilège de regarder et donc de posséder l’espace et l’Histoire du monde ne leur soit enlevé par les femmes. ‘“ L’évolution du personnage féminin, en menaçant l’exclusivité des hommes, concourt à les déposséder d’un lieu d’exercice solitaire du pouvoir qui leur appartenait comme un privilège’ ‘ 287 ’ ‘ ”’. Empêcher le corps féminin dans l’espace du dehors c’est empêcher donc l’existence de cet Autre féminin dont l’homme redoute obscurément la rivalité.

Dans Tunisiennes, en revanche, aucune femme ne porte le voile, sauf Mariam, la soeur d’Aïda. L’omission du voile est donc un premier pas vers la liberté et l’expression d’un progrès pour les femmes qui est en même temps un risque pour les hommes. Par l’omission du voile, la femme sort de l’anonymat et impose son existence. Son regard est à son tour dévorant, car la femme dont la révolte a été perpétuellement réprimée aspire furieusement à découvrir le monde et à le dévorer, à le "boire" avec son regard. Après avoir conquis l’espace du dehors, Amina s’exclame : ‘“ je veux ’ ‘voir’ ‘ la vie! ”’. Les héroïnes de Tunisiennes représentent une génération qui échappe, souvent pour la première fois, à ces voiles physiques : la réclusion, la pièce d’étoffe qui masque le corps et le visage, la stricte ségrégation sexuelle, etc. Cela ne signifie pas qu’elles puissent se dérober à d’autres voiles, invisibles certes, mais non moins effectifs : ‘“ le voile compact des convenances’ ‘ 288 ’ ‘ ”’ et le voile d’interdits affectant encore les femmes maghrébines qui croient l’avoir dépassé.

Toutefois, dans le même film, on observe que la femme se plie parfois volontairement au port du voile qui devient comme un bouclier qui la protège du regard avide et meurtrissant des hommes, et qui lui permet de circuler dans l’espace masculin. Dans le plan suivant la visite au Marabout, la caméra effectue un aller-retour entre le regard de la soeur d’Aïda (la seule femme voilée du film) et un homme dans la rue qui pose un regard avide sur sa jambe légèrement dévoilée, en descendant de la voiture. Dans un mouvement brusque, elle se protège de la “ brûlure ” de ce regard-agresseur en rabattant les pans du safsari (du voile) sur sa jambe. Le voile permet, en effet, à la femme d’esquiver le regard masculin qui la surveille et qui lui garantit un anonymat sécurisant. Il n’est guère étonnant que le processus du dévoilement soit aussi paradoxal pour la femme. D’une part, il symbolise un acte courageux de révolte contre un asservissement ancestral, d’autre part, il représente la perte de la protection et l’exposition à l’agression oculaire (et parfois physique) des hommes.

La ville, toujours personnifiée au féminin, représente l’espace de la liberté de circuler, de voir et d’être vue, d’accéder à l’éducation. La féminisation de la ville est une façon de conquérir et de maîtriser un espace réservé aux hommes. La conquête de cet espace permet de circuler dans l’espace masculin, de parler avec et en face de l’homme alors que la femme vit habituellement cloîtrée dans la maison. Tunisiennes montre une prédilection pour l’espace citadin, sans doute parce que la ville est un lieu “ d’ubiquité ”, un lieu pluriel, “ polyphonique ”, où le sacré ‘“ découvre soudain qu’il a un corps, dans lequel le roi est nu’ ‘ 289 ’ ‘ ”’. Dans l’espace de la ville moderne, la femme-regardeuse peut circuler et conquérir visuellement et matériellement l’espace masculin ; dans ce cas, le regard est étroitement lié à la mobilité du corps. Cependant, on y voit que les lieux publics ne sont fréquentés par les femmes qu’en rapides passantes, elles ne peuvent ni flâner, ni guère s’attabler à la terrasse des cafés, à l’exception de quelques rares salons de thé, à l’exemple de celui où se sont rencontrés Majid et Aïda. Les nombreuses familles rurales installées dans les villes sont souvent d’autant plus rigoureuses sur la conduite des femmes qu’elles considèrent la ville comme plus dangereuse que le village. Et lorsque la mixité commence à faire sentir ses effets, ce comportement est encore l’objet de la réprobation d’une partie importante de la population. La délimitation du social et du sexuel et leur positionnement respectif se joue dans la rue, nouveau lieu de socialité hétérosexuelle et paradigme du progrès.

Dans Tunisiennes, les femmes occupent indifféremment les espaces clos et les espaces ouverts. La rue est un espace social que les femmes empruntent pour aller de la maison au travail. L’espace du dehors peut être également un lieu de plaisir et d’évasion. Pour Amina, la ville est connotée comme un espace d’ouverture et de liberté puisqu’elle peut y circuler librement. La ville lui permet de fuir l’espace de sa maison, une cage dorée où elle vit prisonnière de la violence de son mari. Les trois femmes du film peuvent se promener librement en ville, néanmoins leur présence reste toujours suspecte. La rue signe de liberté, zone de confluence hétérosexuelle, nouveau lieu de transit d’Eros, est ingénument écartée et évitée. C’est pourquoi une multitude de chaperons sont mis à la disposition de ce corps féminin, de ce corps séducteur dans lequel on ne peut jamais investir sa confiance. La peur de la rue et des lieux publics est omniprésente. La narration ne dément nullement cette peur ; la rue reste un lieu incertain, trouble, impossible à démarquer. Les trois personnages féminins décident de ‘“ faire comme les hommes mariés et de sortir en célibataires ”’. Elles se font harceler par deux hommes : ‘“ trois femmes seules, vous n’avez pas d’hommes pour vous faire sortir? ”’ Un plan nous montre les deux hommes les poursuivant en voiture, les coursant, leur bloquant dangereusement la route pour leur faire peur. Fatiha n’ose plus sortir dans la rue et choisit de s’enfermer dans la maison d’Aïda, ‘“ quand je sors, dit-elle, les hommes me dévisagent comme si j’étais nue ”’. La diégèse confirme sa peur puisqu’elle se fait “ palper ”, par un homme qui lui saisit brusquement la main ( cf. la séquence dans le Taxiphone).

La rue restaure l’érogéneité du corps féminin et reste encore une zone incertaine, susceptible d’être débordée (cf. plan de la main de Fatiha effleurée par un homme, plan de l’homme qui glisse un regard indiscret dans l’échancrure de la robe d’Aïda, plan d’un autre qui regarde fixement les jambes de la soeur d’Aïda, etc.). Le regard jeté sur la femme qui circule dans la rue est connoté négativement : les personnages féminins dans Tunisiennes et Halfaouine souffrent des regards masculins, agressifs et malfaisants. Le regard masculin y est décrit comme un regard avide, qui viole, dévore et souille la femme qui le subit, et qui se sent dépossédée de son propre corps (cf. Fatiha dans Tunisiennes). La femme est surtout la cible passive de ce regard car seuls les hommes y ont droit. Le thème du regard subi est habituel dans les films du corpus. Ce thème y est en fait beaucoup développé, et son traitement est presque unanime, ce qui n’est pas surprenant, car il répond à une réalité sociologique du monde musulman et maghrébin. Et quand, par hasard, un corps concret investit un espace à majorité masculine, il est palpé, histoire de vérifier sa réalité (cf. Fatiha dans un café, dans un Taxiphone). Mais la présence des femmes ne parvient pas vraiment à envahir les nouveaux espaces. L’espace filmique qui en est le cadre traduit ce difficile passage. L’espace public est filmé par une caméra baladeuse. Les mouvements de caméra y sont nombreux et les angles de prises de vue multiples.

Alors que les femmes, dans Tunisiennes ou Halfaouine, sont présentées en tant qu’objets du regard, le réalisateur dans L’Homme de cendres s’en prendra au personnage principal pour le transformer en objet de spectacle, exposé au regard de tous, notamment à celui des femmes. Dans la maison familiale, plusieurs plans montrent comment Hachemi est constamment traqué par le regard de sa mère, de sa soeur ou des autres femmes de la maison. Dans la ville, il devient l’objet du regard d’une jeune femme qui essaie de le séduire, d’une autre, plus vieille, qui le fixe avec des yeux avides. Le récit reproduit la polarisation des regards pour ensuite analyser cette zone neutralisante où peuvent s’établir des ponts de communication entre Hachemi et les femmes. Cette zone sera la maison close où Hachemi parvient finalement, par le truchement de la jeune et douce prostituée Amina, à surmonter son blocage sexuel et psychologique ainsi que sa peur des femmes. Le stéréotype ou l’arbitraire du regard se glisse subrepticement dans l’écriture du texte filmique. Le regard se trouve souvent chargé de valeurs péjoratives ou amélioratives selon la position et le statut du personnage dans l’espace et dans la pyramide des structures sociales refigurées dans le texte.

Dans L’Homme de cendres, les deux espaces, la ville arabe et la ville moderne s’opposent l’un à l’autre, architecturalement et symboliquement, car le premier appartient à un passé riche événements, tandis que le second appartient à un présent sans intérêt. A un premier niveau, ce film réfère au cadre géographique, une ville du Sud, Sfax, où l’histoire se déroule. Cependant, une relecture à un deuxième niveau indique que le Sud n’est pas un espace physique ; mais un espace isolé, une société autarcique fonctionnant selon des règles particulières, contraires à celles en vigueur dans les lieux ouverts et urbains comme Tunis. Tout au long du film, Farfat ne cesse d’exprimer son souhait de quitter Sfax “ ville maudite ” pour aller à Tunis, “ ville de la liberté ”. Dans L’Homme de cendres,les plans de la ville reposent sur une stratégie déductive et comparative. En extrapolant un peu, on dira que le regard de la ville, comme origine du discours filmique et du savoir en impose à la maison. Son image dépasse ses cadres géographique, anthropologique et architectural (espace ouvert, liberté), et touche à des dimensions qui les surplombent et les supplantent. Autrement dit, le désir de Hachemi de se libérer du poids des traditions représenté par sa famille acquiert sa vraisemblance et sa vérité grâce à la visualisation de la ville dont la représentation outrepasse sa stricte signification géographique. Cependant, il existe un autre espace dans lequel Hachemi se libère, momentanément, des pressions familiales et sociales, c’est l’espace de la mer.

Notes
283.

O. Chraïbi, op. cit., p. 72.

284.

G. Genette, FiguresIII, Paris, Seuil, 1972, p. 128.

285.

En Tunisie, le Safsari surnommé “ le voile blanc ” est un tissu dans lequel les femmes s’enveloppent pour se voiler quand elles sortent.

286.

A. Djebar, Femmes d’Alger dans leur appartement, Paris, Editions des femmes, 1980, p. 191.

287.

J.-M. Clerc, Assia Djebar. Ecrire, Transgresser, Résister, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 40.

288.

N. Fassi, Le ressac, Paris, L’Harmattan, 1990, p. 60.

289.

C. Bonn, “ L’ubiquité citadine, espace de l’énonciation du roman maghrébin ”, Peuples méditerrannée (Villes tourmentées), n° 37, octobre-décembre 1986, p. 60.