II.2. La mer, espace infini de liberté...

Dans Tunisiennes, L’Homme de cendres et Halfaouine, la mer est l’espace dans lequel se réfugient les personnages des agressions de leurs entourages. L’eau symbolise la libération possible, le grand large, l’océan qu’on franchit pour gagner l’“ Ailleurs ”. Ces trois films sortent résolument des intérieurs clos des Silences du palais pour s’ouvrir à l’espace, pour s’ouvrir à la mer... La mer, encore et encore, est un élément de purification et de jouissance, un infini de liberté. Dans ces films, les plans d’ensemble de la mer montrent un paysage ouvert sous un ciel immense et dégagé, éclairé par une lumière solaire éclatante qui s’oppose au clair-obscur des espaces du dedans. Suivent des plans rapprochés des visages des personnages principaux dans chaque film. Visages détendus, joyeux, balayés par le vent, comme lavés de la pesanteur glauque du monde réel. Dans Tunisiennes, une séquence de la mer nous montre Amina, Aïda et Fatiha riant et dansant sur la plage (photo n° 18). Dans cette séquence, nous voyons Amina sourire et s’amuser pour la première fois. C’est comme si la mer lavait toutes ses blessures. Dans L’Homme de cendres, la séquence de la mer est une suite de flash-backs dans lesquels Hachemi se revoit, enfant, jouant avec Farfat et Jacko (photo n° 17). Plans alternés des flash-backs et d’images du présent où on voit le visage sombre de Hachemi se détendre et un grand sourire se dessiner sur ses lèvres. Aussi bien dans Tunisiennes que dans L’Homme de cendres,La mer a un pouvoir de purification et de jouissance sur le personnage principal. De même pour Halfaouine.Les trois amis du film, Noura, Moncef et Mounir se rencontrent dans deux séquences à la plage pour partager des moments d’amitié et de complicité, à l’instar de Hachemi et de ses amis dans L’Homme de cendres. La mer est également l’espace dans lequel Noura se réfugie dans les moments douloureux : son expulsion du hammam et l’arrestation de son ami et père spirituel, Salih.

Dans toutes les séquences de la mer, le cadrage montre les personnages des films, souriants, dans une lumière exceptionnellement claire ; tout donne à ces séquences de la mer une portée symbolique où l’idée du bonheur est associée à la fuite hors de la société. En outre, la mer est le symbole de la dynamique de la vie. ‘“ Tout sort de la mer et tout y retourne : lieu des naissances, des transformations et des renaissances. Eaux en mouvement, la mer symbolise un état transitoire entre les possibles encore informels et les réalités formelles, une situation d’ambivalence, qui est celle de l’incertitude, du doute, de l’indécision et qui peut se conclure bien ou mal. De là vient que la mer est à la fois l’image de la vie ou celle de la mort’ ‘ 290 ’ ‘ ”’. Dans L’Homme de cendres, nous voyons Farfat qui, après une crise de désespoir, s’auto-interpelle ainsi : ‘“ Tu es fini Farfat! Ils t’ont enterré vivant! ”’ Il se jette ensuite à la mer dans l’espoir de se noyer. Il est sauvé de justesse par ses amis.

Tel qu’on le découvre dans les films tunisiens, les lieux extérieurs nouvellement investis par les femmes et les comportements actuels portent encore les marques du code de l’honneur. Il est certain que la présence des femmes dans l’espace extérieur en a bouleversé la division originelle. Néanmoins, ce bouleversement n’est qu’apparent car l’espace extérieur, pour qui sait observer, nouvellement ouvert aux femmes, reste avant tout masculin. La conception de l’honneur canalise donc les pratiques quotidiennes. En fait, nous voyons dans les films du corpus que les femmes sont à peine tolérées dans l’espace du dehors puisque la société tunisienne, jusqu’à très récemment, ne reconnaissait aux femmes que l’espace du dedans.

Notes
290.

J. Chevalier, A. Gheerbrant, op. cit., p. 623.