III.3. Claustration et liberté, fonctionnement ambivalent d’une métaphore : “ les oiseaux en cage ”

L’idée de l’enfermement est si prégnante que la réalisatrice des Silences du palais recourt fréquemment à la métaphore - trop didactique- des barreaux ou de la cage où sont enfermées des oiseaux. Deux séquences de ce film, montrent Alia regardant derrière les barreaux de la grille du palais (photo 19, 20), une autre la montre debout devant une grande cage d’oiseaux. Dans “ la séquence du cauchemar ”, Alia se voit derrière les barreaux de la grille qui sert d’entrée principale au palais, essayant désespérément de l’ouvrir (photo n° 20). L’oeil de la caméra avance de plus en plus vers elle, et finit par cadrer son visage déformé par une bouche grande ouverte d’où s’échappe un hurlement silencieux. Aucun son ne sort de sa bouche. Encore une fois, cette scène nous ramène à la thématique principale du film : la loi du silence. Cette scène est en fait une métaphore du silence imposé aux femmes du palais qui ont tellement bien intériorisé cette loi qu’aucun son ne sort de leur bouche. Même pas dans leurs songes. Cette scène est prise du point de vue d’Alia qui regarde vers l’extérieur. Ce plan renforce le sentiment d’emprisonnement, parce qu’il montre l’impossibilité du personnage féminin de s’enfuir du palais. Alia est enfermée dans ce lieu extérieur mais clôturé (jardin), qui constitue l’espace intérieur, l’espace féminin par excellence, mais toujours l’espace de l’enfermement qu’il soit dedans ou dehors. Un autre plan du même film montre Alia qui regarde fixement la grande cage d’oiseaux (photo n° 22). Ce plan connote encore l’enferment, mais pour accentuer celui d’Alia qui a l’air de regarder à travers les barreaux de la cage, représentant symbolique, comme dans la séquence du cauchemar où elle regarde à travers les barreaux de la grille, la prison. Dans ces fragments, nous pressentons le symbole, la métaphore et la connotation de l’emprisonnement.

La métaphore de l’enfermement est également utilisée par le réalisateur de Halfaouine où plusieurs plans montrent des oiseaux qui volent libres au-dessus des flots. F. Boughedir tentera à la fin du film de déplacer finalement ce symbole initialement lié à Noura, surnommé comme l’indique le sous-titre du film l’oiseau des terrasses, au profit de Salih, le père spirituel et le confident de Noura qui est conduit en prison à la fin du film. Noura qui a la charge du canari de son ami, relâche dans un geste symbolique l’oiseau (photo n° 21). Dans ce film, nous observons de manière immédiate une double métaphore : la première, celle des oiseaux qui volent au-dessus des terrasses et des flots, compare l’oiseau libre à l’oiseau prisonnier dans la cage ; la seconde compare l’oiseau enfermé à la femme à l’intérieur de la maison puisque le plan suivant le regard de Noura se pose sur les femmes endormies dans la cour.

Dans Les Silences du palais et Halfaouine,ces plans sont diégétiquement liés au contexte : l’enfermement des femmes et dans Halfaouine, l’enfermement des femmes et des hommes. F. Boughedir utilise sa métaphore dans une portée universelle : l’enfermement de l’être humain en général. Si l’on considère la figure rhétorique composée de la cage au(x) oiseau(x), nous constatons qu’elle renforce l’isotopie du contexte, que ces plans sont métonymiquement liés aux autres et se constituent en symbole, Liberté vs Prison. Pour éclairer le fonctionnement de ces figures, nous prenons un exemple, celui des Temps modernes de Chaplin. ‘“ Dans le film de Chaplin alternent à un moment deux plans célèbres: des animaux entrent dans un enclos puis des ouvriers arrivent dans une usine. Les sens de cette substitution métaphorique exemplaire résulte d’une construction, du montage comparatif de deux séquences juxtaposées’ ‘ 300 ’ ‘ ”’. Pour notre exemple des oiseaux enfermés = personnages (féminins) enfermés, nous pourrions à partir de l’exemple de Chaplin, superposer le même schéma en mettant les femmes (et les hommes : Noura, Salih) à la place des ouvriers, et les moutons à la place des oiseaux et avoir ainsi, entre le comparant (ca) et le comparé (cé) un même élément, celui de l’absence de liberté.

La séquence finale de Halfaouine nous montre les oiseaux en plein vol au-dessus des terrasses, jusqu’à un point précis de la chaîne filmique où ils sont immobilisés en un plan fixe tandis que se poursuit la chanson “ oiseau des Terrasses ” répétant le leitmotiv “ vole oiseau vole ”. Leur vol, entre ciel et terrasses, connoterait la liberté de mouvement, le déplacement que rien n’entraverait. Dans ce film, la cage aux oiseaux apparaît deux fois, une fois avec l’oiseau, une autre fois vide, avec comme explication : sa fuite, son évasion, donc le recouvrement de sa liberté. A l’instar de l’oiseau, Noura surnommé “ l’oiseau des terrasses ”, parvient à la fin du film à se libérer de l’emprise paternelle et à s’échapper à la violence de son père en “ s’envolant ” sur les toits.

Dans Halfaouine et Les Silences du palais,la maison, le palais et la cage possédant les mêmes éléments signifiants en viennent à connoter l’enfermement, avec toute la référence mythologique arabe à la femme et l’oiseau. Le fonctionnement-cliché de ces plans en vient presque à se fixer en une catachrèse tellement la métaphore est usuelle. Si certaines métaphores paraissent banales car attendues et pré-culturalisées par le contexte de référence, cela vient d’une simple substitution autonymique, mais d’autres substitutions surgissent par dérapages incontrôlés d’un imaginaire censuré, produisant ainsi cette faille dans laquelle s’engouffrent des données à décrypter. Parmi les censures, la femme, les rapports hommes-femmes sont métaphorisés. Si l’on prend, appui sur l’identité des signifiants de la cage et de la maison (sème commun les barreaux), cette co-possession des sèmes (prisons, absence de liberté, tristesse, désir de fuite, univers clôturé donc sclérosé) permet une formalisation ensembliste comme dans l’exemple du film de Chaplin cité ci-dessus. La métaphore ne se présente pas tant comme substitution de sens que comme modification sémantique d’un des termes. Nous constatons que la comparaison concerne les femmes et les hommes. Cette métaphore qui unit des éléments séparés, fonctionne bien comme un paradigme syntagmatisé qui accentue précisément l’idée d’enfermement, elle concerne l’enfermement des femmes et des hommes dans l’exiguïté de rapports féodaux. Ni l’homme, ni la femme ne peuvent s’épanouir dans de tels rapports devenus anachroniques par rapport au contexte. Mais initialement la femme les accepte parce qu’elle n’a pas d’autres perspectives.

Notes
300.

J.-M. .Adam, Linguistique et discours littéraires, Paris, Larousse, 1976, p. 151.