I.3. Une note d’espoir?

Certes la charge de la petite enfance des filles comme celle des garçons reste une prérogative maternelle. Mais aujourd’hui la prime éducation maternelle a tôt fait d’être complétée, relayée, voire remplacée par la scolarisation souvent obligatoire, dispensée et imposée par l’Etat ou des organismes privés. Les mères ne sont plus au même titre qu’auparavant transmettrices de savoirs. En outre, filles et garçons sont pareillement contraints à la même scolarisation extérieure. Une nouvelle mixité s’installe, sinon dans les salles de classe, du moins dans les cours de récréation ou sur le chemin des écoles, ouvrant une brèche dans la rigoureuse récréation. Le film Tunisiennes apporte un élément nouveau, non seulement dans les rapports mère/fils (Aïda/Mourad) mais dans les rapports père/fille/mère (Majid/Azza/Amina) en faisant basculer la fille entièrement du côté de sa mère et en effaçant l’autorité du père. Azza défend courageusement sa mère devant les remarques injustes de père qui se plaint des sorties de Amina. En fait, l’instruction des filles a, plus encore que celle des garçons, des effets tout à fait décisifs quant à la remise en cause des rôles féminins. La petite fille d’Aïda âgée d’à peine 8 ans dit à sa mère, “ je vais habiter toute seule ”, ce à quoi la mère et ses deux amies répondent par un grand éclat de rire. Vivre seule pour une femme ne serait donc plus tabou?

Cependant, on constate dans Tunisiennes que la scolarisation n’induit de véritable changements que lorsqu’elle atteint le niveau universitaire. Aziza et Aïda sont toutes les deux professeurs, et ont toutes les deux leurs destinées en main. Bien des parents redoutent la scolarisation universitaire (et même secondaire) de leurs filles qui risquent de revendiquer leur indépendance et de rejeter la soumission. Les parents d’Amina ont interrompu les études de leur fille après le bac pour la marier à Majid. Ils n’ont pas réussi à refaire la même chose avec leur fille cadette Aziza qui est devenue professeur à l’Université. Le film de N. Bouzid nous montre ces parents outrés et impuissants devant les incessantes revendications de leur fille Aziza qui désire vivre seule.

L’amélioration du niveau d’instruction des femmes contribue à changer les mentalités. Dans ce dernier domaine, les observations faites dans plusieurs enquêtes menées en Tunisie apportent des indications extrêmement intéressantes quant à la corrélation entre le nombre d’enfants et le degré d’instruction. Fait très intéressant, la fécondité ne subit que peu de variations selon que le père est illettré ou a suivi une scolarité primaire. Seuls les niveaux d’instruction supérieure atteints par les femmes sont accompagnés d’une moindre fécondité du ménage. On peut conclure qu’en matière de fécondité, seule est vraiment décisive la scolarisation féminine et plus précisément l’instruction supérieure, c’est-à-dire celle qui donne aux femmes l’accès aux lectures, à la réflexion, aux possibilités de choix de comportements.

La scolarisation des filles, surtout au niveau universitaire induit de profondes transformations au sein des familles et aboutit, à terme, à une remise en cause des rôles féminins. Elle pourra sans doute même conduire aussi vers des alternatives à la prééminence du rôle maternel 340 . Mais seuls des hommes-pères et quelques autres sont aujourd’hui sur ce chemin aux côtés de leurs filles. Les hommes-époux sont encore trop profondément des hommes-fils-de-mère-avant-tout, pour modifier leur comportement et favoriser un compagnonnage avec des épouses qui soient à la fois femmes et mères. Majid a en fait empêché Amina de poursuivre des études universitaires car selon lui une femme ne doit pas être “ trop instruite ”. Le développement de la scolarisation amène dans les rôles féminins deux changements : les mères ne sont plus les seules responsables de l’éducation et l’école dote les futures femmes d’une instruction conduisant à des activités nouvelles. Néanmoins, les mères restent encore les principales responsables de l’éducation de leurs filles. Qu’en est-il de l’éducation de leurs fils? Quelle influence ont-elles sur la personnalité du petit garçon? Comment parviennent-elles, à travers l’éducation des fils, à déterminer les rapports des sexes?

Notes
340.

M. Horchani , parlant des femmes tunisiennes, tente de saisir les rôles féminins entre les représentations traditionnelles et les pratiques novatrices et se demande comment apprend-on à devenir fille dans une société comme la société tunisienne caractérisée par la modernisation et ses corollaires en continuant à suivre les prescriptions d’un modèle inégalitaire devenu archaïque. Elle relève dans son enquête un changement très visible des mères vis à vis des enfants des deux sexes, qui ne cherchent plus à privilégier les garçons, sinon de façon très minime. L’enquête, menée en Tunisie en 1989 auprès de femmes et de jeunes filles, conclut que les mères font plus preuve de tolérance et d’ouverture vis-à-vis de leurs filles : 75 % d’entre elles pensent qu’une jeune fille doit arriver vierge au mariage, contre 90% en 1980. L’enquête montre également la corrélation entre le degré d’instruction des femmes (et non pas de leurs maris) et leur degré d’ouverture d’esprit (M. Horchani, “ Rôles féminins et identité de genre dans une société en mutation. Pratiques novatrices ” dans E. Ben Miled, A. Belkadi-Maaouia, M. Horchani, Education familiale et accès à la citoyenneté. La non-discimination à l’égard des femmes entre la convention de Copenhague et le discours identitaire, UNESCO-CERP, Tunis, 1989, p. 108.