II. Les rapports Mère/fils

II.1. Au commencement : la castration/circoncision

Que l’on s’entende bien : la castration n’a rien à voir avec la circoncision. Nous voulons parler ici de la castration psychique. Le seul lien qui puisse exister entre le complexe de castration, concept freudien, et la circoncision, ablation relevant autant du culturel universel que de l’organique, est un lien fantasmatique, celui de l’ablation totale du pénis. ‘“ Les psychanalystes estiment en effet que la circoncision est une sorte de “ castration’ ‘ a minima ’ ‘”, quelque chose qui permet à la structure paternelle de se déployer sans beaucoup de frais, dans la mesure où le garçon se contente de perdre son prépuce au lieu de disparaître lui-même dans sa totalité ou de se voir châtrer par le père, au sens psychanalytique du terme’ ‘ 341 ’ ‘ ”’.

Au commencement, le souvenir d’une paire de ciseaux qui “ taille dans le gland ”. La circoncision, souvent tardive, (pouvant avoir lieu jusqu’à l’âge de 7 ans), a toutes les chances de marquer la vie d’un homme. Lors de la séquence de la circoncision dans Halfaouine, des plans alternés nous montrent le petit frère de Noura hurlant, (gros plan sur les mains du barbier, muni d’une paire de ciseaux et s’apprêtant à couper le prépuce) et Noura pleurant et se tortillant sur un lit, dans une autre pièce. A travers la douleur de son petit frère, Il revit la sienne. Dans la plupart des cas, la circoncision est vécue comme le passage à l’âge d’homme : Si Azzouz tient fermement son fils cadet qui se débat et hurle devant les ciseaux du barbier. Il lui murmure : ‘“ Arrête de pleurer. Tu seras un homme après ça! ”’ Le sang qui coule, la douleur de la déchirure, la lente cicatrisation de la blessure, tout cela se passe dans la fête. Comme la naissance du garçon, la circoncision s’accompagne d’une fête qui donne à cet événement toute la publicité souhaitable, marquant aussi nettement son caractère social.

Comme nous le montre le film de F. Boughedir, la circoncision est un moment fort dans la vie de Noura, un rite de passage marqué par la violence, le sang, la souffrance, le bruit. C’est en fait une épreuve à la fois redoutée et désirée, elle ouvre l’accès à la sexualité future mais paraît représenter le domaine sexuel comme redoutable, c’est pourquoi il est nécessaire de s’en assurer la maîtrise, comme celle de la douleur de la circoncision. Par la violence, le garçon entre dans l’univers des hommes, univers extérieur et social où la personnalité doit se couler dans un rôle à tenir, dans des rapports sociaux très codifiés à observer, si différent de l’univers maternel demeuré celui de la maison, de l’allaitement, des caresses, du corps à corps, de la chaleur et de l’amour. Grâce à l’étape de la circoncision, le nouveau circoncis partage les privilèges masculins ; il a désormais sur les femmes, autorité, prééminence. En outre, dès lors qu’il participe au monde des hommes, il doit observer la règle ségrégative entre les deux univers sexuels. Si Azzouz ne cesse de répéter à son fils : ‘“ maintenant tu es un homme. Tu ne dois plus traîner dans les jupons des femmes! Tu ne dois plus assister à leurs réunions! ”’ En effet, la circoncision est une initiation à la différence sexuelle. On s’éloigne autant que possible du sexe féminin. M. Chebel a montré comment la circoncision détachait l’enfant mâle de sa mère en le débarrassant en quelque sorte de sa “ féminité ” pour l’introduire dans l’univers des hommes : ‘“ Le rituel de la circoncision se charge de le “ fixer ” dans son sexe. Il permet donc à l’enfant de rompre définitivement d’avec le monde du gynécée (c’est valable notamment pour les Arabes) et de se séparer de cet environnement’ ‘ 342 ’ ‘ ”’.

Les ruptures se succèdent, s’accumulent d’un univers à l’autre. Autre rupture symbolique montrée dans Halfaouine : ‘“ l’exclusion du hammam des femmes’ ‘ 343 ’ ‘ ”’. Dès la circoncision, le jeune garçon se trouve exclu du hammam des femmes. Il accède, certes, alors au hammam des hommes, mais quelle différence entre les deux ! Comme on le voit dans le film de F. Boughedir, le hammam des femmes était pour Noura comme un prolongement de ce monde féminin qui l’entoure de sa sollicitude, un prolongement de la mère : domaine de l’humide, de la chaleur, des corps féminins longuement lavés, massés, les femmes y séjournent des journées entières dans une tiède atmosphère de détente tandis que les jeunes enfants jouent à leur guise. Le hammam des hommes est plus austère : on y demeure moins longtemps, l’animation y est tempérée, les corps sont pudiquement voilés, et la différence d’âge impose le respect aux jeunes.

Cependant, le hammam peut être considéré comme lieu de régression, d’évocation nostalgique du monde des femmes. A. Bouhdiba a longuement parlé de cet univers de nudités et de soins corporels féminins dans lequel s’éveille le petit garçon et qui le marque si profondément que le sociologue tunisien parle d’un ‘“ complexe du hammam’ ‘ 344 ’ ‘ ”’ qui demeurerait dans chaque maghrébin ; prolongement de la mère, il participerait à une “ fixation à la mère ”. Halfaouine montre avec justesse et sensibilité la blessure d’un jeune garçon expulsé du monde féminin du hammam et sa difficulté à s’introduire et à s’identifier au monde des hommes. Noura a du mal à se détacher du monde du hammam et revient plusieurs fois sur ce lieu. Une séquence le montre passant devant le hammam, une deuxième le montre assis au sous-sol, avec le “ Maître du feu ” du hammam. Dans une troisième séquence, on le voit marchant sur les toits du hammam. Ensuite il s’assied dans un coin et regarde avec mélancolie les terrasses. Une musique mélancolique accompagne ce plan. De toutes ces séquences se dégage une impression de nostalgie et de mélancolie. Dans le cas de Noura, nous pourrions parler du “ complexe du hammam ”. Le film montre avec pertinence la difficulté de séparer l’enfant mâle du monde des femmes. La’ Jamila supplie à plusieurs reprises le père de laisser Noura auprès d’elle. Elle insiste également auprès de la gérante du hammam pour que celle-ci laisse entrer Noura qu’elle juge prêt à aller au hammam des hommes. Aussi bien la mère que le fils ont du mal à se détacher l’un de l’autre. Comment expliquer cet attachement/enchaînement?

Dans la tradition maghrébine et tunisienne, le mariage n’est pour la jeune fille personnellement, dans l’histoire de sa vie, qu’un passage obligé où elle se trouve toujours en attente d’un statut durable. En revanche, la naissance d’un garçon constitue le véritable tournant de sa vie, l’événement décisif qui lui confère le seul statut possible pour une femme, la seule identification permise. Le véritable commencement d’une vie de femme, c’est la maternité, d’un fils. La naissance d’un garçon, pour une femme maghrébine, c’est la possibilité de se libérer enfin des contraintes, de s’ouvrir à un épanouissement.

Pendant l’enfance d’un fils, le couple mère-fils vit dans un bain de contacts, de communications multiples et constantes qui comblent l’un et l’autre, établissant ainsi entre eux un lien très fort. Lien très fort entre mère et fils et beaucoup plus durable, plus étroit qu’entre mère et fille. Dans Halfaouine, Salouha lave avec révérence le petit frère de Noura. Elle joue avec son sexe qu’elle embrasse en s’extasiant : ‘“ Tu grandiras mon beau petit bijou! Mes compliments à ta maman! ”’ Comme nous le montre cette séquence au hammam, les jeux de contacts corporels, touchers, effleurements, massages, mordillements, ne laissent à l’écart aucun endroit du corps de l’enfant et le sexe du petit mâle est tout particulièrement l’objet de multiples attentions et jeux de la part de la jeune maman qui, passant ainsi facilement du ludique à l’érotique.

On voit à travers le personnage de Noura souvent accroché aux jupons de sa mère, à quel point il est difficile pour un jeune garçon de se détacher d’une mère maternante, à l’affectivité investie exclusivement dans ce rapport à son fils (ou aux fils) en l’absence d’une relation satisfaisante au mari. Selon C. Lacoste-Dujardin, les risques encourus sont très grands : ‘“ d’une part, régression préoedipienne qui maintient la dépendance à la mère ; d’autre part, l’individualisation de l’enfant est très difficile et il demeure immature affectivement’ ‘ 345 ’ ‘ ”’. Dès les premières années, les pères, absents, laissent les femmes, les mères principalement, assister de façon non seulement constante, mais encore exclusive, les petits enfants. Les mères favorisent alors la constitution d’une image paternelle floue, distante. La non-introduction du père est lourde de conséquences ; il en résulterait une carence paternelle grave pendant la période capitale de structuration de l’Oedipe. Pour que cette structuration ait lieu, disent les psychologues, pour que le petit garçon se situe en troisième dans la “ triangulation oedipienne ”, il faut que le couple parental soit perçu avant l’âge de cinq ans. Or le plus souvent les rapports entre père et enfant sont fort distants jusque vers l’âge de six à sept ans.

L’image maternelle est si forte qu’elle est la source de blocage. Blocage qui ne peut permettre une identification défensive que sous deux formes apparemment opposées, mais souvent conjuguées : de régression dans la dépendance maternelle ou maternante, et/ou de réaction de ressentiment, d’agressivité, voire d’hostilité, de type sadique disent les psychiatres, et ce, non seulement envers la mère, mais, ce qui est plus grave, envers toutes les femmes. Ainsi des femmes, les mères, construisent elles-mêmes la misogynie des hommes, les rendant incapables d’établir des relations d’égalité avec une femme. La réaction d’agressivité est amplement illustrée dans Tunisiennes et Halfaouine par les comportements masculins dans les villes : interpellations, propositions, injures, gestes déplacés des hommes envers les femmes, sont monnaie courante et entraînent en retour des comportements féminins défensifs : voiles, réclusion, ou parfois offensifs : provocation (cf. Latifa dans Halfaouine ;la soeur d’Aïda dans Tunisiennes). Cette agressivité prend aussi place dans la vie privée. La relation conjugale n’en est-elle pas souvent la meilleure illustration puisque le mari, à l’instar de Majid (Tunisiennes), agit parfois brutalement avec sa femme pour mieux prouver sa virilité ? Ces mêmes mères n’ont-elles pas depuis l’enfance encouragé les comportements violents de leurs fils, jugés par elles comme l’expression d’une virilité dont elles se sont faites les admiratrices ?

Certes, le fils a le privilège du sexe dominant, mais cette prérogative lui a toujours été reconnue par sa mère, complice des manifestations viriles de son petit homme. Sa revanche sur la domination masculine, la femme-mère l’a prise par son influence sur son fils dépendant. Car le lien de la mère à son fils s’est constitué dans la dépendance. Dépendance naturelle, biologique, depuis le don de vie fait par la mère : dette originelle dont le fils se sent redevable et qui lie de façon obligée et indéfectible l’enfant à sa mère. Cette dépendance du garçon est la rançon du dévouement maternel au fils-roi : le fils est à jamais débiteur de sa mère. Face au refus de Hachemi (L’Homme de cendres) de se marier sa mère lui rappelle sa dette : ‘“ C’est ce que je mérite après t’avoir porté pendant plusieurs mois? Après t’avoir enfanté dans la douleur? ”’

Pas plus que la mère de Hachemi n’a introduit le père auprès du fils, elle n’accepte de sacrifier la dyade mère-fils en introduisant le père pour constituer une triade mère-fils-père. Tout en faisant un enfant (mâle) à leur mari et surtout au patrilignage, les femmes se font elles-mêmes des fils, les seuls véritables hommes de leur vie. Quand Hachemi fuit la maison familiale, sa mère s’enferme dans sa chambre et refuse de boire et de manger. A son mari qui tente, tendrement, de l’attirer dans ses bras elle rétorque sèchement : ‘“ Je n’ai pas le coeur à ça. Je pense à mon fils ”’. Elle guette jour et nuit son retour. Une fois Hachemi rentré, au petit matin, sa mère se précipite dans ses bras, folle de joie, : ‘“ Mon chéri, mon chéri, tu m’as manqué! Comme si je t’enfantais de nouveau. Mais tu sens le vin! Ton père va ’ ‘nous’ ‘ tuer! Entre, il va ’ ‘nous’ ‘ voir’ ‘ 346 ’ ‘ ”’. Le discours de la mère de Hachemi fait penser au fameux trio : la femme, l’amant et le mari. A travers son discours, le père devient un élément menaçant le couple mère/fils. En effet, les rapports entre les deux sexes sont sous forme de dyade (fils/mère, fils/père, fille/mère, fille/père) dont le couple mère/père est totalement absent.

La mère (son image) qui, du fait même de sa condition de femme qui n’a pas droit à la parole, du fait des silences qu’elle accumule et des désirs qu’elle refoule, a une forte présence dans la sphère affective de l’enfant-mâle, témoin-impuissant- de sa négation. La mère est “ abolie ” en tant que sujet qui parle, en tant que sujet qui formule un désir. Sa parole est dans la procréation. L’enfant mâle qui naît est une parole qu’elle gagne sur le système répressif ; en même temps c’est ce qu’elle perd, c’est-à-dire ce qui va s’éloigner de son propre corps, d’abord à la naissance, et ensuite au mariage. C’est la raison pour laquelle le mariage est un acte hautement symbolique dans la vie d’une mère de garçon. Selon La’ Néfissa, la mère de Hachemi, le mariage d’une fille que l’on “ donne ” est de moindre importance que celui du garçon qui doit “ emplir la maison ”. Or, bien d’autres femmes jouent ainsi des rôles déterminants dans le mariage de leurs enfants, de leurs garçons. Bien d’autres femmes exercent au sein de leur famille une incontestable prépotence par rapport aux hommes. Existerait-il un pouvoir des femmes qui demeurerait le plus souvent occulte mais qu’ici des circonstances exceptionnelles auront permis d’atteindre à la notoriété ?

Comme le montre L’Homme de cendres et Halfaouine, les rôles des hommes et des femmes sont nettement partagés dans les cérémonies du mariage et de la circoncision. Aux hommes est revenu d’accomplir toute la partie apparente, officielle, dans le champ public, social : accords “ officiels ” entre hommes, organisation des transports, organisation de l’espace extérieur de la fête, organisation des repas d’hommes. En dehors des manifestations extérieures, pour tout ce qui du domaine privé, du domestique, de l’officieux, mais aussi du réel, en commençant par l’initiative même de la fête, sa décision, le choix des invités, les conditions jusqu’aux rites, aux danses et aux réjouissances, les femmes sont reines : la conception et les modalités de la fête du mariage et de la circoncision appartiennent aux femmes, surtout aux mères de garçons, comme La’ Jamila (Halfaouine) et La’ Néfissa (L’Homme de cendres). Néanmoins comment réagissent les garçons, et notamment, face à la mainmise maternelle?

Le héros de L’Homme de cendres est un jeune homme fragile qui sans doute a besoin d’amour mais qui ne supporte pas celui que sa famille, et notamment sa mère, lui propose, sous une forme envahissante et contraignante, à contre-courant de ses désirs, si incertains qu’ils soient. Sa mère, ainsi que tout l’entourage familial, le pousse à se marier, contre son gré, avec une jeune fille qu’il n’a jamais rencontrée. Ils restent sourds face à son désarroi devant la perspective d’un mariage imminent. Selon D. Brahimi, ‘“ ’ ‘L’Homme de cendres’ ‘ est un démenti constant de ce qu’on croit savoir sur le caractère douillettement enveloppant et chaleureux de la vie communautaire, là où la famille nucléaire n’est encore que faiblement implantée’ ‘ 347 ’ ‘ ”’. En effet, Hachemi ne supporte pas cette vie en groupe où chacun cherche à lui imposer sa pression. Ses rapports à sa mère sont partagés entre la tendresse (cf. plans où il se réfugie dans sas bras) et la violence (cf. plans où il la repousse). Cette violence est réciproque puisque La’ Néfissa enferme Hachemi dans une pièce pour lui faire subir un acte “ d’exorcisme ” car elle est convaincue qu’il est possédé par les “ djinns ”, les mauvais esprits. Une fois la séance achevée, Hachemi parvient à s’échapper de la maison et se réfugie, dans son atelier. Comme Farfat, qui vit dans un recoin des remparts de Sfax, Hachemi entre dans une marginalité solitaire parce qu’aucune institution familiale ou sociale ne respecte leur individualité. La société tunisienne vit dans un consensus qui désavoue la différence. Hachemi est parvenu, pour la deuxième fois à déjouer les plans de sa famille qui désire le marier contre son grès. Nous pourrions y voir une sorte de triomphe, certes provisoire, sur l’institution famille en particulier et sur l’institution sociale en général. Cependant, il va sans dire que le “ triomphe ” de Hachemi peut être négatif, ‘“ Le personnage du héros est toujours un antihéros puisqu’il doit éternellement échouer à quelques épreuves avant d’en triompher. Dans le film narratif, le héros est celui qui ne l’est plus tout à fait’ ‘ 348 ’ ‘ ”’. Dans L’Homme de cendres, Hachemi, échoue à se faire entendre par ses parents. Il quitte la maison familiale, son travail, et se réfugie dans une maison close. La fin du film nous montre un héros désemparé, ne sachant quelle issue prendre. Hachemi est toujours en fuite à la recherche d’une solution. Parviendrait-il à trouver une issue?

Depuis des siècles, on fait vivre les femmes collectivement, dans des harems, des gynécées ou des maisons très ordinaires, et surtout on les désigne collectivement, par cette catégorie de “ femmes ” que l’imaginaire féminin a fini lui aussi par intégrer. ‘“ Mais s’il s’agit d’épreuves individuelles, il semble qu’elles soient réservées aux hommes, et caractérisées par le fait que l’homme doit y prouver, seul face à divers obstacles, son courage et sa virilité. La virilité se prouve en solitaire, la féminité est une qualité collective, ainsi va le patriarcat’ ‘ 349 ’ ‘ ”’. Il est vrai que dans Tunisiennes et Les Silences du palais, le personnage principal, le “ je ” féminin est souvent confondu avec le “ nous ” collectif des autres personnages féminins du film. Dans les deux autres films du corpus, L’Homme de cendres et Halfaouine, le personnage principal est masculin et se démarque nettement du reste du groupe. Dans ces deux films, il s’agit de l’aventure solitaire d’un jeune garçon (Noura) et d’un jeune homme (Hachemi), opposés à tout ce qui les entoure y compris leur propre famille.

Dans L’Homme de cendres, nous abordons les rapports des sexes d’un point de vue masculin. Le héros voit s’aggraver son déchirement entre son moi profond et son moi social. Tiraillé entre ces deux instances, c’est lui qui semble souffrir le plus de cette situation d’enfermement installée par sa famille. Les violences qu’il subit répétitivement font de lui le pendant masculin des autres femmes des films du corpus. Lui aussi est victime du monde d’usages, le monde des obligations sociales. Ce film reconnaît à l’homme la liberté d’exister, en tant que tel. Il se place à contre-courant du conditionnement social et familial maghrébin qui fait de l’homme un animal de combat, un élément représentatif et défensif et non un être à part entière doué de sensibilité.

La figure féminine principale dont il est question dans ce film est la mère, sans doute parce que le personnage principal masculin connaît d’abord la femme comme mère. Dans la culture maghrébine traditionnelle, la figure de la mère l’emporte sur celle de l’épouse. En effet, l’identité d’épouse est inconnue de la société arabe patriarcale qui ne reconnaît à la femme qu’un unique statut : celui de mère. La mère de Hachemi est une mère égoïste qui utilise la religion pour asseoir son pouvoir sur son fils et l’amener, contre son gré, à satisfaire ses désirs personnels. Dans le Coran il est recommandé, ou commandé, d’obéir à ses parents 350 . La désobéissance aux parents, et surtout à la mère, est considérée comme un acte suprême de blasphème. La malédiction poursuivra à jamais celui ou celle qui ferait preuve d’un pareil acte de désobéissance. L’arme principale utilisée contre les enfants paraît être “ assahat ” (l’anathème). En effet, les parents sont investis du pouvoir d’Allah de faire porter leur bénédiction ou leur malédiction, sur leurs enfants. Le potentiel destructeur contenu dans cette malédiction parentale se traduit par une peur traditionnelle que l’on retrouve dans plusieurs adages et proverbes, l’un des plus courants est le suivant : ‘“ quiconque reçoit la malédiction de ses parents ne peut être sauvé par les saints. Quiconque reçoit la malédiction des saints peut-être sauvé par ses parents’ ‘ 351 ’ ‘ ”.’ C’est la raison pour laquelle les parents sont craints et les enfants acceptent, en silence, tels que soient leur âges, les comportements abusifs des parents. La plus grande intensité se trouve dans la séquence du retour de Hachemi à la maison familiale qu’il a déserté pendant quelques jours. Sa mère l’accueille les bras grands ouverts tandis que son père l’accueille avec ... une ceinture. Dans cette séquence, le père flagelle violemment le fils qui subit sans protester, en silence, les injures et les coups paternels. La mère assiste en silence à ce spectacle. Cependant, Hachemi ne semble pas blessé par la passivité de sa mère. Toute sa colère est dirigée vers son père. Hachemi craint sa mère, mais dans un autre domaine : celui de la sexualité. Pourquoi cette crainte? Comment la sexualité influence-t-elle les rapports mère/fils dans ce film?

Notes
341.

M. Chebel, Histoire de la circoncision des origines à nos jours, Paris, Editions Balland, 1992. p. 121.

342.

Ibid. p. 109.

343.

La scène où le garçonnet est expulsé du hammam parce qu’il a lorgné une femme avec “ un regard d’homme ” est usuelle, surtout dans les romans maghrébins écrits par des hommes.

344.

A. Bouhdiba, La sexualité dans l’Islam, Paris, Quadrige/PUF, p. 207.

345.

C. Lacoste-Dujardin, Des mères contre les femmes, Paris, La Découverte, coll. “ Textes à l’appui ”, 1985, p. 90.

346.

Soulignés par nous.

347.

D. Brahimi, Cinémas d’Afrique francophone et du Maghreb, Paris, Nathan, 1997, p. 106.

348.

M. Vernet, “ Personnage ”, dans J. Collet, M. Marie, D. Percheron, J.-P. Simon, M. Vernet (éds), Lectures du film, Paris, Editions Albatros, (coll. ça/cinéma), p. 179.

349.

D. Brahimi, Appareillages, Paris, Editions Deuxtemps Tierce, 1991, p. 66.

350.

“ Ton Seigneur a décrété que vous n’adoriez que Lui et marquiez de la bonté à vos père et mère. Si l’un d’eux ou tous les deux doivent auprès de toi atteindre la vieillesse, ne leur dis pas : “ Fi ! ” et ne les brusque point, mais dis-leur des paroles vertueuses! Incline vers eux l’aile de la déférence, par mansuétude et dis “ Seigneur! Sois miséricordieux envers eux comme ils le furent quand ils m’élevèrent tout petit. Le paradis est situé sous les pieds des mères!” (Le Coran, XVII, 23/24 et 24/25, traduction de Masson) ; “ Nous avons commandé à l’homme le bien envers ses père et mère ” (Le Coran, XXIX, 13/14).

351.

Ibid.