Petite conclusion

Le père et la mère donc, en tant que personnages de ces films, bien qu’ils soient valorisés ou dévalorisés de façons différentes et même opposées dépendant de chaque film, représentent presque toujours deux mondes distincts : celui du père, caractérisé par l’accès à l’espace extérieur et à une extériorité non moins importante ; et celui de la mère, représenté par l’intériorité de la maison familiale, les pulsions les plus primaires, etc. En définitive, il s’agit des deux compartiments étanches réservés par la tradition aux hommes et aux femmes, que nous avons étudié dans la partie consacrée au point de vue spatial. On ne peut pas d’ailleurs les opposer simplement, en faisant du père l’oppresseur triomphant et de la mère la victime d’un système injuste. Comme nous l’avons vu, la mère a aussi très souvent “ les clés du pouvoir ”, et les utilise adroitement. P. Bourdieu affirme à cet égard : ‘“ La supériorité des hommes a pour conséquence paradoxale l’existence d’une société féminine relativement autonome qui, vivant dans un univers clos, demeurant exclue des responsabilités essentielles, et même, dans la majorité des cas, des enseignements religieux, exerce, sur la société masculine, une influence profonde, tant à travers la prime éducation qu’elle donne aux enfants et par laquelle se transmettent les croyances magiques et les pratiques rituelles, que par la résistance souterraine et secrète, mais non moins efficace, qu’elle oppose à toute modification d’un ordre traditionnel dont elle est apparemment la victime’ ‘ 369 ’ ‘ ”’.

Telles que nous l’avons étudié dans ce dernier chapitre, les figures maternelles et paternelles sont pleines de contradictions. La conclusion générale est que ni les enfants issus du “ sexe fort ” ni ceux issus du “ sexe faible ” ne sont épargnés par les conséquences désastreuses de la Loi patriarcale. A travers cette étude, on a pu déceler les aspects du conditionnement des filles par des mères qui font perdurer les traditions en bloquant le processus égalitaire filles/garçons, on constate alors qu’un pouvoir qui s’appuie sur le traditionalisme ou le conservatisme, qui maintient les gens dans la continuité, bloque toute possibilité d’évolution. Face à ce type de pouvoir, l’homme et la femme ne pourront se libérer qu’en se tenant mutuellement la main, pour agir ensemble. Se pose donc le problème de la relation homme-femme, pour ou contre la société environnante, la tradition, la modernisation.

Tel que le précise A. Dore-Audibert dans une enquête exploratoire dans le but d’appréhender la dynamique des changements intervenus dans le modèle éducatif tunisien à travers les pratiques éducatives des mères : ‘“ c’est à partir d’un constat où sont impliqués homme et femme, que doit être repensée la lutte pour le changement, et cela, dès la naissance au sein de la cellule familiale et même avant la naissance, afin de changer les structures mentales bloquées sur le sexe de l’enfant’ ‘ 370 ’ ‘ ”’.

Qu’elle soit fondée par la nature ou par la religion, qu’elle soit égalitaire ou inégalitaire, la dichotomie des sexes est une caractéristique commune à toutes les sociétés humaines. En effet, ‘“ le sexe, ou plut sa dimension sociale, le genre, organise toutes les institutions, qu’il s’agisse du mariage, de la religion, de la politique, du travail, etc. Toute organisation sociale implique, en effet, un ensemble de rôles plus ou moins différenciés qui constituent un système de contraintes normatives auxquelles hommes et femmes sont tenus de se conformer pour être socialement intégrés’ ‘ 371 ’ ‘ ”’. En Tunisie, le système normatif dominant et les modèles d’action qui guident les conduites se réclament explicitement de la religion et de l’honneur. Ceux-ci définissent les rôles assignés aux hommes et aux femmes en fonction d’un critère ou d’un postulat consubstantiel au sexe : l’omnipotence des hommes et la domination des femmes. Or actuellement, grâce à la conquête de l’espace extérieur, les femmes échappent dans une certaine mesure au contrôle et à la domination des mâles. Celles qui ont, grâce à la scolarisation et à la formation professionnelle, acquis des compétences et des ambitions que leurs mères confinées à l’intérieur de l’espace domestique ignoraient, qui ont fait l’expérience du travail rétribué et de la marge d’autonomie qu’il confère, qui en contribuant aux ressources du ménage ont acquis un pouvoir de négociation non négligeable, ne peuvent répondre aux pressions de la conformité et se soumettre à la hiérarchie des statuts et des rôles avec la même rigidité que leurs mères ou leurs grand-mères.

Notes
369.

P. Bourdieu, Sociologie de l’Algérie, Paris, P.U.F., 1985, 7ème éd., pp. 86-87.

370.

A. Dore-Audibert, “ Conclusion et perspectives ” dans E. Ben Miled, A. Belkadi-Maaouia, M. Horchani, Education familiale et accès à la citoyenneté. La non-discimination à l’égard des femmes entre la convention de Copenhague et le discours identitaire, UNESCO-CERP, Tunis, 1989, p. 235.

371.

M. Horchani, “ Rôles féminins et identité de genre dans une société en mutation. Pratiques novatrices ” dans Ibid., p. 108.