I.2 - La concession :

La concession 101 , institution traditionnelle du droit administratif français, notamment utilisée dans le développement des chemins de fer, fut l'instrument choisi pour confier la responsabilité de la construction et de l'exploitation du tunnel aux promoteurs. Cependant, la concession était inconnue en droit anglais qui utilisait la franchise 102 pour assurer la même fonction. Or, si la franchise était souvent accordée à la suite du vote d'une loi privée, la concession, en droit français, est un contrat administratif. De ce fait, le choix de la concession garantissait aux promoteurs "l'application d'un régime sui generis 103 basé sur le droit international et" le "caractère contractuel des obligations" 104 .

Le 14 mars 1986, l'Acte de Concession unique accordant l'exploitation du tunnel sous la Manche au groupement France-Manche / Channel Tunnel Group fut signé de façon quadripartite : les deux Etats, la France et la Grande-Bretagne, et les deux sociétés concessionnaires conjointes et solidaires, France-Manche et Channel Tunnel Group. L'objet de cette concession était, d'une part, de fixer précisément les caractéristiques de l'ouvrage et, d'autre part, de définir les engagements réciproques suivants :

  • les Etats n'accordaient aucune garantie financière aux concessionnaires qui s'engageaient à construire et à exploiter la liaison fixe ;
  • la durée de la concession était fixée à 55 ans à dater de la ratification du traité entre la France et la Grande-Bretagne par les Parlements Nationaux, prévue pour le printemps 1987 ; la concession était donc acquise jusqu'en 2042 ;
  • le consortium était tenu de présenter un projet complémentaire de liaison routière avant l'an 2000 ;
  • le consortium devenait l'exploitant exclusif de la liaison fixe jusqu'en 2020, afin de pouvoir rembourser les investisseurs et pour assurer un rendement acceptable des capitaux ;
  • les délais impartis pour les travaux et la date de mise en service devaient être respectés ;
  • la liaison devait être maintenue en parfait état jusqu'à la fin de la concession quoi qu'il arrive. Les concessionnaires étaient, en particulier, responsables de tous dommages causés aux usagers ou au tiers ; ils devaient donc être couverts par des assurances appropriées et prendre toutes les dispositions possibles pour assurer la sécurité. En contrepartie, les concessionnaires étaient libres de fixer leurs tarifs et leur politique commerciale et la teneur des services offerts, tout en tenant compte des règles communautaires et nationales relatives à la concurrence et aux abus de position dominante. Enfin, les sociétés concessionnaires étaient soumises, en matière fiscale, aux législations nationales de droit commun.

Notes
101.

Concession n. f. Contrat par lequel la gestion d'un service public est confiée à une personne privée, Le Petit Robert, op. cit., p. 430.

102.

Franchise : (en angl. franchising) Contrat par lequel une entreprise concède à des entreprises indépendantes, en contrepartie d'une redevance, le droit de se présenter sous sa raison sociale et sa marque pour vendre des produits ou services. Ce contrat s'accompagne généralement d'une assistance technique, ECHAUDEMAISON, C.-D., Dictionnaire d'Economie et de Sciences Sociales, op. cit., p. 200.

103.

Sui generisloc. adj.-1743 ; mots lat. "de son espèce". Propre à une espèce, à une chose, qui n'appartient qu'à elle, Le Petit Robert, op. cit., p. 2164.

104.

MARCOU, G., VICKERMAN, R., "Le tunnel sous la Manche entre états et marché", Revue Politiques et Management Public, article déjà cité, p. 78.