II.1 Aperçu du déroulement des travaux :

Le forage du tunnel de service côté anglais débuta en décembre 1987.

Il faut distinguer plusieurs grandes étapes dans le déroulement des travaux :

  • de 1987 à 1991 : on assista au forage des tunnels qui constituait, d'une part, l'aspect le plus spectaculaire, le plus "épique" du projet, du fait du gigantisme des ouvrages à réaliser (un total de 150 kilomètres de tunnel) et, d'autre part, l'aspect le plus risqué aux yeux de l'opinion publique car il s'agissait là du forage du plus grand tunnel sous-marin du monde (pour ce qui est de la partie située sous la mer tout du moins). Après quelques problèmes techniques au démarrage, les travaux furent menés à des cadences et dans des délais "industriels", compte tenu des techniques actuelles de forage.
    Le 1er décembre 1990 eut lieu la jonction historique sous la Manche dans le tunnel de service, à peine trois ans après l'entrée en action du premier tunnelier.
    A cette occasion, Malcolm Rifkind 166 adressa le message 167 suivant, au nom du Premier Ministre britannique :
    ‘"La jonction est un évènement capital tant pour ce qui concerne les relations entre la Grande-Bretagne et la France que pour l'Europe dans son ensemble. C'est aussi une réussite technique remarquable dont les deux pays peuvent tirer une immense fierté."
    "Cet ouvrage est un formidable témoignage des talents et de l'ingéniosité du secteur privé. J'attends avec impatience le passage du premier train qui scellera la nouvelle liaison permanente entre le Royaume-Uni et l'Europe continentale’" 168 .
    De façon beaucoup moins formelle et en matière de construction, Colin Kirkland déclara à propos de cette jonction :
    ‘"C'est toujours passionnant pour les foreurs, mais bien souvent moins spectaculaire que l'homme de la rue ne le croit habituellement. Il imagine, je suppose, que l'on abat à coup de pioche une énorme paroi de roche et qu'on la voit s'effondrer, et qu'il y a l'autre type d'en face. Cela est extrêmement rare et, bien sûr, il n'en est pas question sous la mer. Lorsque vous êtes à 40 mètres sous le fond de la mer et qu'il y a encore 60 mètres d'eau au-dessus, si le tunnel s'effondrait, la fête serait quelque peu tempérée ! En fait, c'est un grand brouhaha pour un spectacle sans éclat’" 169 .
    En mai et juin 1991, on assista à l'achèvement des deux tunnels ferroviaires sous la Manche.
    Il ne faut pas oublier les autres travaux gigantesques à chaque extrêmité des tunnels, à savoir : les deux terminaux 170 de Coquelles (côté français) et de Cheriton (côté anglais).
  • de 1991 à 1993 : l'année 1991 marqua ainsi la fin de tous les grands travaux de génie civil, que ce soit en sous-sol ou en surface, et le début de la phase d'équipement du système de transport : la pose des voies et de la caténaire, l'installation électromécanique (systèmes de ventilation et de refroidissement, alimentation électrique, dispositifs de sécurité...), le système de télécommunication, la signalisation, les centres de contrôle... .

Il s'agissait là d'un immense chantier d'équipement. En effet, le tunnel sous la Manche n'était pas un simple ouvrage souterrain, mais un système de transport complet qui devait être capable d'accueillir tout le trafic routier et d'en assurer le transport dans des navettes ferroviaires spéciales, et ceci 24 heures sur 24, tout au long de l'année, à un rythme très rapide et en toute sécurité. De plus, ce système devait être capable de gérer le passage en alternance des trains de compagnies de chemin de fer.

L'année 1992 fut une année-clé, d'une part, pour l'équipement de ce système et, d'autre part, pour le début des procédures de réception et d'essais des différents équipements déjà en place. Ces tests se prolongèrent progressivement jusqu'en 1993, année prévue de l'ouverture du tunnel sous la Manche.

L'année 1993 fut témoin des derniers essais, en particulier en ce qui concerne le matériel roulant spécial, c'est-à-dire les navettes qui allaient assurer le transport des véhicules routiers d'un terminal à l'autre.

Il s'agissait donc d'un ouvrage gigantesque, d'une prouesse technique sans précédent. Sur le plan technique, aucune surprise désagréable ne vint ralentir le processus si ce n'est une mise en route laborieuse des premiers tunneliers du côté français en raisons de mauvaises conditions géologiques (zones calcaires perméables) ; le retard fut progressivement rattrapé.

Le 10 décembre 1993, TML remit officiellement les clés de l'ouvrage à Eurotunnel. Le rôle du constructeur s'achevait là ; ce fut un moment historique pour les dix entreprises après plus de sept ans de chantier. Eurotunnel devint responsable de la conduite du programme final des essais supervisés et controlés par la CIG.

A l'approche de la mise en service du système, Eurotunnel dut effectuer une dernière série d'essais afin d'assurer à ses futurs usagers une sécurité optimale, ce qui engendra un nouveau report dans l'ouverture du tunnel. A cette occasion, un ingénieur de TML se fit fort d'expliquer les raisons de ce retard : "Personne n'a vraiment compris que le système de transport que nous sommes en train de mettre en place est un gigantesque prototype".(...)"Lorsque la SNCF fait des choses équivalentes, il lui faut quatre à cinq ans. Dans le cas du tunnel, on aura tout fait en deux ans et demi. Or, ce matériel roulant est entièrement nouveau : les locomotives sont plus puissantes qu'ailleurs parce qu'il faut qu'elles tirent des navettes bien plus pesantes que des trains normaux".(...)"on comprend qu'il ne s'agit pas là d'un tunnel mais d'un système roulant inédit, et qu'il faut du temps pour le roder" 171 .

Notes
166.

Ministre des Transports britannique.

167.

voir annexes 5 et 5 bis.

168.

Press notice n° 433 F : "Breakthrough is a momentous occasion, both for relations between the United kingdom and France and for Europe as a whole. It is also an outstanding engineering achievement in which both countries can take enormous pride. This project is a tremendous tribute to the skills and ingenuity of private enterprise. I look forward to the passage of the first train which will forge the United Kingdom's new permanent link with continental Europe", The Department of Transport, 1 December 1990.

169.

WILSON, D., op. cit., p. 123.

170.

voir annexe 6.

171.

BENSAHEL, N., "Les passagers d'Eurotunnel seront en retard à Londres", Libération, article déjà cité.