II.2 Les hommes sur le chantier :

Pour un chantier d'une telle envergure, il fallut réunir une main-d'oeuvre abondante : des ingénieurs, ouvriers et techniciens dotés d'une expérience en la matière aux postes-clés ainsi que des ouvriers semi-qualifiés pour l'exécution des tâches ; tous avaient pour consigne : efficacité et professionnalisme.

Les postes à haute responsabilité sur le chantier étaient occupés par des spécialistes faisant partie de l'élite des tunneliers, c'est-à-dire des hommes qui vont d'un grand chantier à un autre de par le monde ; on pouvait ainsi noter la présence d'Irlandais, d'Australiens, de Néo-Zélandais, de Sri-Lankais, de Canadiens, d'Autrichiens, de Gallois, d'Ecossais, d'Anglais entre autres experts, ce qui souligne à nouveau le caractère international du tunnel sous la Manche : "C'est un peu une mafia, une confrérie internationale" 172 aux dires de Peter Bermingham 173 .

Les relations entre les travailleurs anglais et français, plus particulièrement, étaient quasi inexistantes au début du chantier, mais au fil des travaux, une certaine collaboration s'instaura non sans quelques accrocs et quelques concessions du côté français. Philippe Vandebrouk 174 était nettement plus positif, voire excessif, quant aux relations franco-britanniques ; selon lui, une certaine harmonie s'est instaurée au fil des années ; à l'occasion de la remise des clés de l'ouvrage, le 10 décembre 1993, il déclara : "C'est un peu l'aboutissement d'un rêve : pour la première fois, l'Angleterre n'est plus tout-à-fait une île. La réalisation de ce rêve a par ailleurs été une très belle aventure humaine. Nous avons réussi à former une équipe très unie et motivée. C'était formidable de voir tous ces gens fiers de travailler pour le projet et qui vous disaient toujours bonjour avec le sourire. Aujourd'hui, ça me manque !" 175 .

Sur ces sept ans de chantier, on déplora la mort de dix personnes seulement (huit du côté anglais et deux du côté français) ; en effet, grâce à une politique de sécurité très sévère, le taux d'accidents fut au moins moitié moins élevé que pour la moyenne de la profession. Toutes proportions gardées, on déplora onze morts sur les onze kilomètres de chantier de construction du tunnel du Mont-Blanc au début des années 60, ou encore 34 morts sur une distance à peu près équivalente sur le chantier de construction du tunnel du Seikan au Japon 176 .

Notes
172.

WILSON, D., op. cit., p. 63.

173.

Directeur de Land Tunnels à Folkestone.

174.

Directeur des opérations France à Transmanche Link.

175.

PELLERIN, O., "Tunnel sous la Manche, Le projet du siècle", Equipement magazine, n°61, juin-juillet 94, pp. 15-18.

176.

LEMOINE, B., op. cit., p. 166.